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Une protection minime

Aliaa Al-Korachi, Mardi, 22 avril 2014

Les textes de lois en Egypte sont inefficaces lorsqu'il est question de la violence contre les journalistes de terrain.

Lettre morte. C’est le statut de l’article 12 de la loi 96/1996 portant sur la réglementation de la presse, qui évoque la protection des journalistes lors de l’exercice de leur fonction sur le terrain. Selon l’article, le journaliste est « un fonctionnaire public », qui doit jouir de toutes les garanties juridiques qui criminalisent via le code pénal « ce qui attaque ou insulte un fonctionnaire public lors de l’exercice de son travail ».

Pour Abir Al-Saadi, membre du conseil du syndicat des Journalistes, bien que la protection du journaliste soit garantie par la loi, elle n’a jamais été respectée, puisque jusqu’à présent, les mécanismes clairs pour sa mise en oeuvre font défaut. « Le lieu de travail du journaliste est le lieu où se déroule l’événement. Malheureusement, le journaliste est traité notamment dans ses missions de travail dans les instances gouvernementales comme persona non grata », dit-elle.

Le risque est aussi grand pour le journaliste en lui privant d’un de ses droits, cités 4 fois dans cette loi, soient « le libre accès à l’information » et « sa protection pour y parvenir ». Ce droit est renforcé dans la nouvelle Constitution, devenant un texte constitutionnel avec l’article 68, qui devrait, selon Al-Saadi, attendre le nouveau Parlement pour être traduit dans une nouvelle législation en des formules bien précises et des mécanismes clairs. « L’élaboration d’une telle loi est imminente, puisque actuellement, l’atmosphère générale est défavorable pour l’action du journaliste, qui risque aujourd’hui sa vie pour parvenir à l’information, ou risque de se retrouver derrière les barreaux sur accusation de diffusion de fausses informations », ajoute-t-elle.

Dans le droit international

Donner un statut particulier pour la protection physique du journaliste a beaucoup mobilisé la communauté internationale. C’est ce qu’explique Ahmad Refaat, professeur de droit international à l’Université du Caire. Selon l’article 79 du protocole additionnel aux Conventions de Genève de 1949: « Mesures de protection des journalistes », les journalistes « qui accomplissent des missions professionnelles périlleuses dans des zones de conflit armé sont considérés comme des civils » et bénéficient, en tant que civils, « de toute la protection accordée par l’ensemble du droit international humanitaire aux personnes civiles ». L’article II de la Déclaration de l’Unesco sur les principes fondamentaux concernant la contribution des organes d’information au renforcement de la paix et de la compréhension internationale en 1978, stipule aussi qu’« il est indispensable que les journalistes et autres agents des organes d’information, dans leur propre pays ou à l’étranger, jouissent d’une protection qui leur garantisse les meilleures conditions pour exercer leur profession ». Quant au plus récent document international, la résolution du Conseil de sécurité adoptée en 2006 stipule que « le matériel et les installations des médias sont des biens de caractère civil et, en tant que tels, ne doivent être l’objet ni d’attaque, ni de représailles ».

Pour mieux renforcer la sécurité des journalistes, l’ONG française Reporters sans Frontières (RSF) a adopté un nouveau traité spécifique pour la protection des journalistes. Intitulé « Projet de convention internationale sur la protection des journalistes dans les zones de conflit armé et de violences internes », il propose comme solution de créer un emblème composé de 5 lettres en majuscules noires PRESS sur un fond de couleur orange de forme circulaire, afin de dissuader les adversaires d’attaquer un groupe de personnes parmi lesquelles se trouverait un journaliste. Cette solution est controversée, puisque selon Al-Saadi, l’essentiel ici en Egypte c’est de sensibiliser les parties en conflit « au respect de cet emblème, et au fait que le journaliste est le transmetteur de la réalité et ne fait pas partie de la polarisation politique qui règne en maître en Egypte. Sinon, cette distinction serait négative ».

Journalistes et carte de presse

La violence contre les journalistes a jeté aussi le feu sur la loi du syndicat des Journalistes. Aujourd’hui, tout porte à croire, comme estime Khaled Al-Balchi, président du comité des législations au sein du syndicat, que cette loi vise essentiellement à « sanctionner les journalistes plutôt qu’à les protéger ». Cette loi, qui date de l’année 1970, pose des conditions draconiennes pour l’adhésion des journalistes, avec en tête la nomination par l’une des institutions journalistiques. « Il conditionne la nomination et néglige le professionnalisme de ces journalistes que les journaux exploitent en les poussant dans des zones à risque sans la moindre formation », déplore Al-Balchi, alors que cette catégorie sans cartes de presse représente la majorité parmi les journalistes qui font du terrain. Selon Emad Hassan Mekkawi, doyen de la faculté de l’information à l’Université du Caire, ils n’ont ainsi aucun statut juridique, puisque la loi 96 définit « le journaliste » comme étant la personne possédant une carte de presse délivrée par le syndicat. Leur nombre serait de 16000, selon les estimations de Mekkawi, contre 6 500 journalistes inscrits au syndicat. Il estime aussi qu’« il est temps d’amender cette loi qui n’apporte aucun appui face aux défis qu’affronte le journaliste ».

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