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Waël Khalil: « Il n’y a aucune intention de réformer en profondeur l’organisme de la police »

Propos recueillis par Héba Nasreddine, Mardi, 23 octobre 2012

Waël Khalil, membre du Conseil national des droits de l’homme, estime que l’absence de définition légale de la torture permet à la police d’outrepasser ses droits. Entretien.

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Al-Ahram Hebdo : Le récent rapport du Centre Al-Nadim pour la réhabilitation des victimes de violence et de torture fait état de 247 cas de torture policière lors des premiers 100 jours du mandat de Morsi ? Quel est votre avis ?

Waël Khalil :Tout d’abord, il faut noter que ce chiffre est loin de la réalité. Les cas ne dépassent pas les quelques personnes qui ont déposé des plaintes ainsi que quelques autres refusant, pour des raisons sociales, de dévoiler avoir été torturés ou détenus. De toute façon, ce chiffre est le symbole de transgressions commises sous le mandat du nouveau président, qui avait promis de préserver la révolution et répondre à ses revendications. Mais il semble que ce nouveau régime a oublié que les premières lueurs de la révolution avaient éclaté le jour de la fête de la police, signe de protestation à ses transgressions, levant le slogan de « Liberté, justice et dignité humaine ». Malheureusement, on assiste aujourd’hui aux mêmes politiques et répressions policières de l’avant-révolution. Rien n’a changé sauf le slogan qui était « La police et le peuple sont au service de la patrie »pour devenir « La police est au service du peuple ».

Le rapport du Centre Al-Nadim n’est pas le seul qui dévoile ces transgressions. Plusieurs autres ONG nationales et internationales de défense des droits de l’homme viennent de publier des rapports similaires, y compris Human Rights Watch et Amnesty international. Nous, au Conseil national des droits de l’homme (NCHR), avons traité le même sujet, et nous avons présenté en détails 14 cas de tortures dans les centres de la police et dans les prisons au mois de septembre, où une personne a trouvé la mort. La police continue à se considérer au-dessus des lois, malgré les déclarations du nouveau ministre de l’Intérieur « de sauvegarder les droits des citoyens ». En outre, aucune mesure officielle n’a été prise à la suite de la publication de ces chiffres. Si les officiers responsables d’avoir brutalisé ne comparaissent pas en justice, il n’y aura aucun espoir que les victimes obtiennent leurs droits, et les officiers ne craindront pas la sanction s’ils se livrent une nouvelle fois à de tels actes.

— Quelles procédures seront adoptées suite à la publication d’un tel rapport ?

— Notre rôle ne se limite ni à enregistrer les cas des victimes, ni à publier des rapports et des communiqués. Notre tâche a d’autres dimensions plus larges, qui diffèrent d’une ONG à l’autre. Le Centre Al-Nadim contient une section médicale pour la réhabilitation des victimes de la torture. Quant au NCHR, nous lançons des enquêtes pour recueillir des preuves comme des certificats médicaux, photos et vidéos avant de dresser des plaintes au procureur général et au ministre de l’Intérieur. Et si nous ne recevons pas de réponses, nous transférerons l’affaire à la justice. Mais le problème réside dans l’accès à des informations et documents permettant d’identifier les responsables présumés. Le fait que le ministère de l’Intérieur est à la fois juge et partie rend notre mission difficile. Et dans ces cas, nous avons recours plutôt aux médias pour éveiller l’opinion publique contre ces infractions brutales, comme ce fut le cas avec Khaled Saïd qui a trouvé la mort après avoir été torturé par des agents de police.

— Comment justifiez-vous ces violations systématiques des droits de l’homme par la police ?

— Chez les hommes politiques au pouvoir, il n’y a aucune intention de réformer en profondeur l’organisme de la police. Ils se contentent de nommer de nouveaux dirigeants, sans se préoccuper de modifier les politiques et les mécanismes adoptés. Nous avons organisé autrefois des stages pour former les policiers aux droits humains et les informer sur de nouvelles techniques pour obliger le suspect à reconnaître son crime et mettre fin à la pratique de torture des détenus. Mais ces stages ne dépassaient en fait pas le stade des recommandations, car nous n’avons aucune autorité pour obliger à changer de politique.

Le pire est que plusieurs lois actuelles, comme le code pénal et la loi relative aux rassemblements, sont utilisées pour restreindre brutalement la liberté d’expression et le droit de manifester, détenir des personnes sans inculpation, permettant ainsi aux forces policières de commettre des abus sans rendre compte de leurs actes. Nous avons également des réserves sur le projet de la nouvelle Constitution qui ne criminalise pas la torture et l’usage d’acte cruel, inhumain.

— Le gouvernement prépare un projet de loi pour « la protection des acquis de la révolution », accordant à la police une impunité totale pour « maintenir l’ordre public et lutter contre les actes de sabotage ». Qu’en pensez-vous ?

— C’est une vraie farce. Je ne comprends pas comment Morsi, issu des Frères musulmans qui ont été sévèrement réprimés sous l’ancien régime, suit les mêmes démarches de transgressions policières. Cherche-t-il un bras de fer avec l’opposition ? A mon avis, il doit saisir l’occasion de faire face au passé sanglant de la police et garantir que personne ne soit au-dessus des lois. Mais ce que nous remarquons est un flux de verdicts innocentant les policiers accusés d’avoir tué des révolutionnaires, une sortie sécurisée aux militaires qui ont commis de multiples transgressions aux droits humains lors de la période transitoire. Et voilà la préparation d’une nouvelle loi d’urgence mais avec une nouvelle appellation. C’est de là que vient le rôle des ONG et du peuple. Les deux ensemble doivent s’y opposer, quel qu’en soit le prix.

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