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Eaux du Nil : Le Caire face à l’entêtement éthiopien

Samar Al-Gamal, Mardi, 25 février 2014

La construction en Ethiopie d’un barrage hydroélectrique sur le Nil Bleu continue de provoquer de vives tensions avec Le Caire. L’Egypte a peur d’une réduction de son quota sur les eaux du fleuve et vient d’être lâchée par le Soudan, pourtant un allié de longue date.

Eaux du Nil
(Photo : AP)

« A l’issue des travaux, le Grand Ethiopian Renaissance Dam sera le plus grand barrage d’Afrique : long de 1 800 m, haut de 170 m et d’un volume total de 10 millions de m3 », fait savoir la société italienne en charge de la construction du barrage éthiopien le long du Nil Bleu, en aval de la frontière avec le Soudan.

Le projet, lancé il y a moins d’un an, fait grincer des dents en Egypte, où l’on craint que cette déviation, à l’endroit où les eaux du Nil Blanc et du Nil Bleu se rejoignent pour former le Nil, ne modifie le débit du fleuve, débit vital pour l’Egypte et le Soudan. Les Egyptiens considèrent que leurs « droits historiques » sur le Nil sont garantis par les traités de 1929 et 1959, fixant des quotas en eau et accordant un droit de veto sur tout projet en amont que Le Caire jugerait contraire à ses intérêts (lire page 5).

La crise diplomatique qui avait sévi à la fin de l’exercice de Mohamad Morsi a été désamorcée, mais aucun règlement n’a été enregistré. Les ministres des Affaires étrangères des deux pays s’étaient rencontrés en marge de la réunion de l’Onu en septembre à New York, puis le ministre d’Etat éthiopien, Berhane Gbere Christos, a rencontré l’adjoint du ministre des Affaires étrangères, Hamdi Loza, en marge du sommet africain, avant que le ministre égyptien de l’Irrigation et des Ressources hydriques, Mohamad Abdel-Motteleb, ne se rende à Addis-Abeba.

Mais le chef de la diplomatie, qui a mené cinq tournées en Afrique, a évité l’escale éthiopienne. Une source diplomatique parlant sous couvert de l’anonymat révèle que les récentes discussions étaient surtout « d’ordre technique » sur les normes de construction du barrage que Le Caire juge trop importantes. La même source parle aujourd’hui « d’un gel des contacts. L’Ethiopie n’a laissé aucune marge pour les négociations ». Addis-Abeba a notamment rejeté la formation d’une commission neutre composée d’experts internationaux, pour arbitrer les contentieux qui surgiraient entre les trois pays du bassin du Nil Bleu sur l’impact hydraulique et environnemental du barrage. Les responsables éthiopiens ont également opposé une fin de nonrecevoir à une seconde proposition d’un document contenant des principes « d’établissement de confiance », pour garantir « le respect » par Addis-Abeba de la sécurité de l’eau en Egypte et au Soudan. Mais Addis-Abeba l’estime contraire à l’accord d’Entebbe signé en mai 2010 par 6 pays du bassin du Nil. Le ministre égyptien de l’Irrigation et des Ressources hydriques parle de « l’intransigeance du gouvernement éthiopien dans les négociations », en soulignant que l’Egypte cherchera désormais à « internationaliser la question ». Le Caire entend ainsi, selon lui, formuler une demande officielle à Addis-Abeba dans les prochains jours, pour arrêter les travaux de construction du barrage jusqu’à parvenir à « un consensus et dans l’intérêt des deux peuples ».

« La seule bouée de sauvetage »

En visite en Tanzanie et au Congo dimanche et lundi derniers, le ministre égyptien des Affaires étrangères, Nabil Fahmi, a soulevé la question avec ses interlocuteurs, appelant les pays du bassin du Nil « à reconnaître l’importance cruciale de l’eau du Nil pour l’Egypte, qui s’appuie sur ce fleuve pour obtenir plus de 95 % de son eau, ce qui fait de ce fleuve la seule bouée de sauvetage du pays, contrairement au reste du bassin », explique le porteparole du ministère, Badr Abdel- Aati, qui a accompagné Nabil Fahmi dans sa 5e tournée africaine. Le Caire s’est lancé dans une vaste offensive diplomatique sur le continent, notamment auprès des grands investisseurs en Ethiopie. La question, semble-t-il, était le sujet principal à l’ordre du jour du ministre de la Défense, Abdel- Fattah Al-Sissi, à Moscou. « Parce qu’avec la Chine, la Russie est l’un des pays d’influence et d’investissement en Ethiopie », affirme la source diplomatique, qui explique que Le Caire ne peut pas annoncer officiellement qu’il mène une telle campagne.

Le ministre de l’Irrigation a pourtant dévoilé son intention de se rendre en Norvège, en Suède et en France, pour expliquer la position de l’Egypte. « Des contacts ont déjà été faits avec l’Italie et la Banque mondiale », d’après la même source anonyme.

L’Egypte compte surtout sur la difficulté pour l’Ethiopie de financer ce barrage, pour une production prévue de 15 000 Gwh/an, dont le coût s’élève à 3,2 milliards d’euros. La rhétorique du Caire consiste à persuader la communauté internationale de rejeter la construction du barrage, car il pourrait conduire à de nouveaux conflits et une instabilité dans la région du bassin du Nil. Mais la mission de l’Egypte, déjà difficile, s’est encore compliquée par une volte-face soudanaise.

Khartoum, qui adoptait jusqu’à présent la position égyptienne, a décidé de rester « neutre ». Le ministre soudanais des Affaires étrangères, Ali Ahmed Karti, a même critiqué la gestion que l’Egypte fait du litige. Le Caire joue maintenant presque seul.

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