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Le Qatar inquiète l’Egypte

Samar Al-Gamal, Mardi, 11 février 2014

Les relations entre Le Caire et Doha passent au froid. Le soutien affiché du Qatar aux Frères musulmans pousse l'Egypte à convoquer l'ambassadeur qatari, tandis que son homologue égyptien est, lui, retenu au Caire.

Qatar
(Photo : Reuters)

« Les relations entre l’Egypte et le Qatar se distinguent par des aspects qui reflètent la profondeur de l’interdépendance officielle et populaire entre les deux pays. Elles se caractérisent par la coordination des positions et par la compréhension. La stabilité est le trait marquant », peut-on lire sur le site du SIS (l’Organisme général de l’information), une institution égyptienne de propagande étatique, dirigée par un diplomate. Au ministère des Affaires étrangères pourtant, l’ambassadeur du Qatar vient d’être convoqué. Le Caire se plaint de « l’ingérence de Doha dans ses affaires intérieures », à la suite de critiques formulées contre « la répression » des Frères par le régime en place depuis la destitution du président Frère Mohamad Morsi. Le Qatar affirmait ainsi que la décision de qualifier la confrérie des Frères musulmans d’« organisation » terroriste est « un prélude à une politique de tirer pour tuer » contre les manifestants.

Il a affirmé que le « dialogue inclusif » entre toutes les parties est la seule solution à la crise de l’Egypte. Tout pays qui a tenté d’intervenir assumera « la responsabilité des conséquences », a ainsi réagi le ministère dans une lettre remise à l’ambassadeur du Qatar.

Quelques jours auparavant, l’ambassadeur égyptien au Qatar, en vacances au Caire, a été retenu par son ministère. Il a été reçu dimanche par Nabil Fahmi pour « une évaluation des relations », comme l’explique le porte-parole du ministère Badr Abdel-Ati. Il « évalue et étudie notre réaction », refusant de préciser quand l’ambassadeur égyptien sera de retour dans la capitale qatari.

Des sources officielles égyptiennes précisent pourtant que « Le Caire attend de voir un changement dans le comportement du Qatar », parlant de « promesses d’apaisement ». La même source révèle une médiation saoudi-koweïtienne. « Le roi Abdallah et l’émir du Koweït se sont réunis avec l’émir du Qatar, mais il n’a jamais rempli ses engagements », précise le porte-parole.

Il n’a jamais été question de lune de miel entre Le Caire et Doha. La courte entente, qui a prévalu durant une année au pouvoir d’un président Frère musulman et quelques mois la précédant, n’était apparemment qu’une exception. La relation s’est envenimée depuis la destitution du président islamiste Mohamad Morsi qui était fermement soutenu par Doha. Les responsables égyptiens interrogés par l’Hebdo ne trouvent pas d’explications à cet engagement sans faille des Qatari auprès des Frères. Mais Le Caire accuse le Qatar et sa chaîne de télévision Al-Jazeera de soutenir les Frères musulmans, dont certains ont trouvé refuge dans le petit émirat du Golfe.

La chaîne qatari, qualifiée de chaîne des révolutions arabes en 2011, ne l’est plus. La semaine dernière, le procureur général a décidé de détenir plusieurs journalistes de la chaîne pendant 15 jours pour « diffusion de graphiques endommageant la réputation de l’Egypte » (lire page 4). Le ministre des Affaires étrangères ne cache pas qu’Al-Jazeera est l’une des raisons de la détérioration des relations entre ces deux pays arabes. C’était le cas même sous Moubarak qui voyait dans la politique du Qatar « une véritable menace pour l’Egypte », comme l’explique un responsable qui a travaillé de près avec le président déchu. Les critiques formulées sur la chaîne contre « ses politiques et ses hommes le dérangeaient ». Les relations plutôt bonnes avant 1996 se sont détériorées avec le coup d’Etat du fils contre son père, et Moubarak se serait même plaint de la politique qatari auprès des Américains. La première visite de Moubarak au Qatar n’aura eu lieu qu’en novembre 2010. Mais Al-Jazeera, devenue porte-parole des Frères, n’était plus la seule raison de litige.

Les islamistes soutenus par Doha

Les pays arabes, y compris l’Egypte, ne peuvent pas l’admettre publiquement mais cette tension est aussi liée à la montée des mouvements islamistes dans la région que le Qatar a appuyés sans réserve. Doha a mis son actif financier au profit du régime des islamistes alors que les Saoudiens et les Emiratis étaient sceptiques. Les responsables qatari ont ainsi transféré 5 milliards de dollars à l’Egypte pour l’aider à s’acquitter de ses obligations financières sous Morsi. En contrepartie, Le Caire aurait donné à Doha un nombre d’avantages, dont une sorte d’exclusivité en matière d’investissements, et aurait aussi promis aux Qatari de les soutenir pour occuper le futur poste de secrétaire général de la Ligue arabe. L’enthousiasme du Qatar vis-à-vis des Frères s’est opposé à un scepticisme surtout de Riyad et d’Abu-Dhabi, alliés indéfectibles de Moubarak mais qui paradoxalement soutiennent les Frères en Syrie.

Relations au plus bas

Les liens qu’entretient le Qatar avec l’Iran est un autre sujet d’inquiétude du Caire qui craint une dérive vers l’orbite iranienne. A la surprise des pays du Golfe mais aussi de l’Egypte, qui entretient des relations diplomatiques au plus bas avec Téhéran, le Qatar a invité le président iranien Mahmoud Ahmadinejad à assister à une réunion du Conseil de Coopération du Golfe (CCG) en 2007. L’appui accordé au Hamas, à la frontière de l’Egypte, dérange davantage Le Caire. Selon le politologue Ahmad Abd-Rabbo, Doha cherche à confirmer son influence régionale et mondiale.

Le politologue Wahid Abdel-Méguid estime, lui, qu’il est encore difficile de savoir quelle stratégie adoptera le Qatar sur le long terme avec ce changement à la tête de l’Egypte qui semble se confirmer par l’élection présidentielle.

Sa diplomatie basée sur les aides et sur sa chaîne de télévision ne tiendra pas longtemps. « La crispation des relations pourrait aboutir à une crise beaucoup plus accentuée entre Doha et les pays arabes riverains du Golfe », dit-il (lire page 5). Pourtant, ces pays auraient appelé les autorités égyptiennes à éviter de prendre une position radicale envers le Qatar. Une nouvelle réponse négative face à la demande saoudienne pourrait pousser Riyad à agir autrement en gelant la représentation du Qatar au CCG, pense Abd-Rabbo. Un risque que Doha ne voudrait pas prendre, même si Le Caire ne croit pas à une issue positive de la médiation du Golfe.

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