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Dans la cour des grands grâce aux flots de dollars

Aliaa Al-Korachi, Lundi, 10 février 2014

Immobilier, industrie, hôtellerie de luxe, sport et télé, le nombre d’investissements qatari, notamment en Europe et aux Etats-Unis, ne cesse de croître. Une stratégie qui permet à Doha de se protéger.

Dollars
Le président français, François Hollande, et l'émir du Qatar, le cheikh Hamad bin Khalifa Al-Thani.

Un mini-Etat mais un maxi-investisseur. C’est ainsi que le Qatar est perçu, aujourd’hui, en Europe et aux Etats-Unis où chaque jour ou presque, de nouvelles pistes relatives aux investissements de l’émirat sont évoquées. Doha a réussi au cours des dernières années à se positionner sur la scène internationale comme « l’investisseur le plus actif dans le monde ». Le fonds souverain de l’émirat gazier a occupé en 2012 la 12e place du classement Preqin (une société de recherche sur le capital-investissement). Une puissance économique qui est due au Qatar Investment Authority (QIA), le fonds souverain du Qatar, créé en 2005, ayant des avoirs d’une valeur de plus de 100 milliards de dollars, et avec pour objectif de « développer, investir et gérer les fonds de l’Etat dans tous les secteurs et régions du monde ». Mais l’afflux des fonds qatari se dirige massivement vers l’Occident. L’Europe se taille la part du lion. Il suffit de dire que les investissements qatari dans les trois grandes puissances européennes, la France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne, sont chiffrés à 65 milliards de dollars, soit deux fois plus que ses investissements en Afrique évalués à 30 milliards de dollars en 2012.

Dans l’Hexagone, l’une des cibles privilégiées en Europe, le Qatar est actuellement actionnaire des fleurons de l’économie française : Total (4,8 %), Vinci (7 %), Lagardère (12%) ou encore Veolia environnement (5 %) ou Vivendi (3 %). Il y possède en outre plusieurs grands hôtels et palaces : Le Martinez, Le Carlton, Le Palais de la Méditerranée et Le Lambert. Des budgets colossaux ont été investis dans le domaine du football avec l’acquisition d’une majorité d’actions dans le club français Paris Saint-Germain et l’achat d’une chaîne sportive 100 % française, BeinSport, ou encore des parts dans LVMH. L’offensive économique du Qatar à Paris commence à inquiéter les Français qui s’interrogent sur la contrepartie, notamment après avoir témoigné d’un changement dans la diplomatie commerciale du pays en faveur du Qatar.

Les investissements qatari en France sont très largement exonérés d’impôts, grâce à une convention fiscale négociée sous l’ex-président Nicolas Sarkozy. Ainsi, les résidents qatari y sont exonérés de l’ISF, et les plus-values immobilières ou encore les gains en capital réalisés en France sont aussi exonérés d’imposition.

Londres fait aussi partie des pays où cet émirat du Golfe investit en masse. Au Royaume-Uni, le QIA détient près de 85 % du Shard Building, la plus haute tour d’Europe. Le fonds est aussi propriétaire des magasins Harrod’s, et détient 27 % de Songbird Estate, l’actionnaire majoritaire de Canary Wharf Group qui possède la quasi-totalité du district financier. Le QIA a également des parts dans la banque britannique Barclays.

Une vague d’investissements qatari conquit également l’Allemagne, dans des fleurons tels que Volkswagen, Porsche, Siemens, Hochtief ou BASF. Pour ce pays, le Qatar a été présenté comme un sauveur, lorsque le fonds souverain qatari est venu pour renforcer le leader du BTP allemand Hochtief en investissant 400 millions d’euros. Egalement aux Etats-Unis, le Qatar Holding a investi depuis deux ans l’équivalent de 1 milliard de dollars dans Bank of America (BoA), l’une des plus importantes banques américaines qui a été sur le point de faire faillite. Current TV fondée par Al Gore a été aussi rachetée en décembre 2012 par le Qatar, devenant par la suite Al-Jazeera America.

Selon Fakhri Al-Feqqi, professeur d’économie à l’Université du Caire, la crise financière de 2007 plongeant les économies occidentales dans la récession a été une aubaine pour le Qatar qui en a profité pour accélérer sa politique d’investissement à l’échelle mondiale. Du côté occidental, les fonds qatari ont été les bienvenus.

Mais s’imposant dans la cour des grands à travers les finances, quelles sont les ambitions du Qatar, qui selon des économistes, n’ont aucun effet durable ? « Les investissements tous azimuts du Qatar en Occident s’apparentent davantage à des achats compulsifs qu’à une réelle stratégie de long terme qui pourrait par exemple servir à assurer la diversification économique du pays qui demeure largement dépendant du secteur des hydrocarbures », dit Al-Feqqi.

Une question de survie

Pour Achraf Al-Chérif, professeur de sciences politiques à l’Université américaine du Caire, derrière cette politique d’investissements massifs se cache une véritable « angoisse existentielle ». Coincé entre deux géants régionaux que sont l’Arabie saoudite et l’Iran, le Qatar a besoin d’exister hors de ses frontières pour compenser sa vulnérabilité géopolitique militaire, ainsi que sa faiblesse démographique. « Les investissements ne sont pas seulement conçus comme une tentative du Qatar de diversifier les sources de ses revenus, mais aussi les sources de sécurité. Investir dans de grandes entreprises ou institutions étrangères via son fonds souverain lui permet de constituer une base d’alliés puissants disposés à le soutenir en cas de danger », dit Al-Chérif.

En outre, s’appuyant sur sa capacité financière auprès des grandes puissances, le Qatar joue aujourd’hui un rôle régional de premier plan. Selon le politologue égyptien, « vu l’absence des grandes forces régionales traditionnelles, à savoir l’Iraq, l’Egypte et l’Arabie saoudite, le Qatar a profité de ce vide afin de devenir pour l’Occident un médiateur principal dans la région, notamment sur des dossiers chauds comme l’Iran, Israël et le terrorisme ».

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