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Islamistes : A la conquête des campus

Aliaa Al-Korachi, Mardi, 17 décembre 2013

Les Frères ont très tôt initié un mouvement de conquête des campus universitaires. Les coudées franches laissées par le président Sadate ont néanmoins conduit à la dérive de leurs objectifs politiques.

Les islamistes
Au sein de l'université, les Frères musulmans ont perdu leur popularité.

« Une force frappante », c’est ainsi que Hassan Al-Banna a désigné les étudiants. Il voyait en eux des acteurs qui porteraient la charge de la propagation de son appel. Ainsi, pour le fondateur des Frères musulmans, les campus universitaires deviennent le terreau de recrutement des « futurs cadres ». Tel était d’ailleurs son objectif quand il a décidé de quitter Ismaïliya en 1932, la ville où il avait lancé son appel, pour s’installer dans le quartier de Sayeda Zeinab au Caire.

Mahmoud Abdel-Halim, un chef de file de la première génération de la confrérie, précise dans ses mémoires « Les Frères musulmans : des événements qui ont fait l’histoire », considérés comme une chronologie semi-officielle de la confrérie, qu’Al-Banna s’intéressait beaucoup aux étudiants. « Il semble que la motivation la plus importante du déplacement d’Al-Banna au Caire était de se retrouver au plus près des étudiants. Une mission qui a remporté un vif succès », écrit Abdel-Halim. Le nombre d’étudiants rejoignant la confrérie augmentait alors d’une année à l’autre. Lors de sa première année au Caire, Al-Banna réussit à recruter six étudiants « noyaux » pour la diffusion de son appel sur les campus. Un nombre qui augmente très rapidement pour passer à 40 éléments la deuxième année puis à 300 éléments l’année suivante. A la fin de sa quatrième année au Caire, le but est presque atteint. Les étudiants appartenant aux Frères musulmans deviennent l’une des principales forces politiques de l’université et entrent en concurrence avec les autres tendances politiques telle celle des Wafdistes et des communistes.

En 1936, Al-Banna fonde au sein de la confrérie « le comité des étudiants », très actif sur le campus et organisant notamment tous les jeudis des cours de soutien, publiant parfois dans son magazine l’explication de presque une centaine de hadiths du prophète, dans les programmes de la faculté de droit, un fief du Wafd. L’émergence de la confrérie affaiblit de manière importante la puissance des Wafdistes qui dirigeaient le mouvement national des étudiants. Puis la domination des étudiants Frères dans « l’université civile » de Fouad 1er (l’actuelle Université du Caire) dépasse de loin leur présence dans l’Université d’Al-Azhar.

Les relations des Frères avec les autres courants de l’université pendant la période de lutte contre la colonisation sont marquées par des périodes de désaccord. Au moment de la préparation des étudiants à la grève générale, le 21 février 1946, pour obliger le roi à mettre un terme à ses négociations avec les Britanniques, les Frères musulmans, ralliés au gouvernement de Sedqi, refusent de rejoindre la grève. Une délégation d’étudiants rend visite à Al-Banna pour lui demander son soutien. Mais celui-ci leur répond alors que « les Frères ne sont pas prêts ». Plus tard, en 1954, les activités politiques des étudiants de la confrérie qui regroupait à l’époque, selon un de leurs témoins, 30 % des étudiants, sont comme tous les autres courants interdites par Gamal Abdel-Nasser. Seuls les membres de « l’Union socialiste arabe » formée par ce dernier restent autorisés sur les campus. Le courant islamique s’affaiblit dans les universités et il commence à travailler dans la clandestinité.

Les années 1970, l’âge d’or

L’arrivée d’Anouar Al-Sadate au pouvoir en 1971 marque un important virage dans le mouvement des étudiants Frères. Les manifestations estudiantines de 1972, obligeant Sadate à prendre la décision de la guerre contre Israël, ou les « émeutes de la faim » de 1977, qui l’obligent à revenir sur sa décision de supprimer les subventions des matières de première nécessité, suscitent l’appréhension du raïs face à cette montée en puissance de la gauche sur les campus. Sadate trouve un compromis avec les Frères musulmans qui consiste à libérer leurs dirigeants des prisons avec en contrepartie pour le courant islamique l’engagement de faire contrepoids à l’extrême gauche sur les campus. Il leur a confié, selon Gamal Fahmi, cadre des étudiants de la gauche dans les années 1970, un rôle disciplinaire face à ces « jeunes qui portent le costume de Nasser », selon les termes de Sadate. La confrontation engagée par les étudiants islamistes qui entravent toute tentative d’organiser des activités se fait même parfois à l’arme blanche au vu et au su des forces de sécurité. « Cette phase dans l’histoire du mouvement des étudiants des années 1970, dominé par les Frères, provoque un changement profond dans le mouvement des étudiants en les éloignant des problèmes nationaux pour les orienter plutôt vers les questions de moeurs », explique l’historien Helmi Namnam.

Puis en 1977, Aboul-Foutouh, ex-candidat à la présidence, devient le premier « Frère » à la tête de l’union de l’Université du Caire. La réglementation de 1979 imposée par Sadate, qui interdisait toute action politique sur les campus et limitait le rôle de l’Union des étudiants à l’organisation des activités culturelles et des séminaires, consolide la présence des islamistes pendant de longues années. « Le feu vert donné par Sadate a permis à ces courants islamistes de contrôler la scène politique mais également le processus éducatif. Ils présentaient notamment des résumés et explications de programmes, un soutien social aux étudiants les plus pauvres ou même des logements pour ceux qui ne trouvaient pas de place dans la cité universitaire », évoque Namnam. Un statut de prédominance qui persiste sous Moubarak, lequel impose la réglementation de 1979 qui vient selon Namnam « élargir les prérogatives du courant islamique sur le campus pour éliminer l’influence de toutes les forces civiles, et non seulement les gauchistes ».

La fin de l’influence

Après la révolution de janvier 2011, la scission est profonde entre les Frères et les jeunes, moteurs de la révolte. Sous le règne de Mohamad Morsi, la réglementation de 2012 applaudie par les étudiants Frères ne garantit aucun droit aux étudiants. Lors de l’échéance électorale universitaire de mars 2012, les forces pro-révolutionnaires optent pour le boycott, permettant ainsi aux Frères de dominer la scène. Un an après, c’est la défaite des Frères dans les universités, ces derniers n’ayant pu remporter que 34 % des sièges contre 66 % pour le courant indépendant.

Selon Moustapha Al-Naggar, un jeune ex-parlementaire, le succès des étudiants indépendants est dû à leur nouvelle stratégie : « Ils n’ont pas accusé les électeurs d’ignorance ou d’être prêts à donner leurs voix au plus offrant. Ils ont au contraire cherché à établir le contact avec la base en parlant des questions concrètes, telles que le prix des manuels, l’entretien des cités universitaires, la qualité de l’enseignement, le budget des activités estudiantines. En reliant ces préoccupations de tous les jours à la dimension politique des choses, ils ont réussi à toucher des étudiants non politisés et donc à provoquer une hausse du taux de participation ».

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