« Nous pouvons mettre fin à toute cette violence dans les universités en cinq minutes, mais on s’est abstenus pour ne pas faire de blessés, surtout que nous savons que les Frères veulent pousser les policiers à pénétrer dans les campus pour créer des troubles entre les étudiants et la police », lance le ministre de l’Intérieur, Mohamad Ibrahim, après la décision d’interrompre les cours et la démission du doyen de la faculté d’ingénierie et de certains membres du corps enseignant se sentant incapables de protéger les étudiants.
Depuis le début de l’année universitaire, les partisans de Morsi organisent des manifestations sur les campus pour protester contre l’éviction de l’ex-président islamiste. Même si le nombre de manifestations dans la rue a diminué, celles sur les campus universitaires restent importantes et se transforment fréquemment en affrontements violents.
Comme l’explique le politologue Yosri Al-Ezabawi, du Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, depuis le premier jour de la rentrée universitaire, les étudiants partisans de la confrérie n’ont pas cessé de manifester pour le retour du président déchu. Mais leurs protestations n’ont pas eu un grand écho auprès des autres étudiants. « C’est surtout après la promulgation de la loi sur les manifestations que les choses ont commencé à mal tourner. Les Frères ont utilisé la colère des jeunes contre cette loi pour servir leur propre cause et étendre le soulèvement des étudiants contre le police et le régime en place », dit le chercheur. Durant leur longue histoire, les universités et la communauté estudiantine ont toujours été une carte très importante instrumentalisée par les Frères musulmans. Ces derniers ont toujours su comment gagner du terrain à partir des campus universitaires. (Voir page 4).
Aujourd’hui, les Frères continuent à jouer leur jeu. Après avoir échoué depuis la destitution de Morsi à s’attirer la sympathie des Egyptiens à travers les manifestations, les Frères tentent aujourd’hui de profiter de la dernière carte de pression : l’université. « Les Frères musulmans sont bien conscients que l’université constitue le dernier espoir de regagner une place dans la société. Ainsi, ils ne manqueront pas de provoquer des troubles et de pousser les étudiants à se soulever contre le gouvernement », explique le chercheur spécialiste en islam politique, Sameh Eid. Sur les sites Internet du Parti Liberté et justice et d’« Etudiants contre le coup d’Etat », les appels à une nouvelle révolution estudiantine se multiplient.
Les campus sous les feux des projecteurs
La scène se répète quotidiennement devant les entrées des différentes universités égyptiennes. A l’Université du Caire, notamment, les accrochages se renouvellent tous les jours. Pour disperser les étudiants, les forces de l’ordre ont recours aux canons à eau et aux gaz lacrymogènes. Mais les événements se sont aggravés après la mort d’un étudiant, Mohamad Réda, à la faculté d’ingénierie lors d’affrontements entre les forces de sécurité et les étudiants. Ne voulant pas manquer l’occasion, des manifestants ont profité de cette colère pour renforcer leur soulèvement. « Comme ils ont profité de la loi sur les manifestations, les Frères ont usé de la mort du jeune Mohamad Réda pour tenter d’attirer dans leur camp tout étudiant indépendant », explique Eid.
A l’autre bout de la ville, la situation n’est pas différente. Les étudiants de l’Université islamique d’Al-Azhar, à Madinet Nasr, sont constamment en affrontement avec la police, tantôt lançant des cris hostiles à la police, à l’armée et au régime actuel, tantôt réclamant la libération de leurs camarades arrêtés et mis en accusation pour avoir manifesté contre le gouvernement. Dans le gouvernorat de Mansoura, les étudiants sont allés jusqu’à mettre le feu aux bâtiments de l’université. (Voir page 5). D’autres accrochages moins importants se sont produits dans les universités de Zagazig et d’Assiout.
Pour Mohamad Badrane, président de l’Union des étudiants d’Egypte, les étudiants indépendants doivent être très alertes et il ne faut pas qu’ils se laissent mener par les Frères musulmans. « Sur un total de 23 universités, 5 ou 6 seulement témoignent de violences. C’est uniquement dans ces universités que les partisans des Frères musulmans se concentrent, ce qui explique le but que ces derniers essayent d’atteindre », explique Badrane. Et d’ajouter : « Même au sein de ces universités, la représentation des Frères n’est pas si grande que cela. Ceux-ci, par leurs agressions, occupent les devants de la scène ».
Un plan avorté
Lors des manifestations universitaires c’est surtout l’icône de Rabea, avec les quatre doigts levés, qui apparaît avec force. Mais dans certaines manifestations, on remarque la présence d’étudiants indépendants. « Ceux-ci se révoltent sans commettre des agressions contre les bâtiments et les personnes. Ils ont des revendications claires et directes qu’il faut écouter », lance Al-Ezabawi, qui ajoute : « Ces manifestants n’appartiennent à aucun courant précis. Ils sont conscients du plan des Frères et ne veulent pas leur donner cette chance ».
En effet, lors d’un rassemblement devant des jeunes révolutionnaires au sein du campus de l’Université du Caire le 1er décembre, un groupe de partisans des Frères a essayé de rejoindre cette manifestation. Mais leur intervention étant refusée, ils ont décidé de mettre fin à cette manifestation.
Les revendications de ces jeunes sont bien claires : l’ouverture d’une enquête sur l’assassinat de leur camarade, la garantie des droits des étudiants, le limogeage du ministre de l’Enseignement supérieur et du recteur de l’université et surtout l’interdiction de l’intervention de la police à l’université.
L’intervention policière rejetée
Le gouvernement égyptien par intérim avait décidé le 21 novembre dernier d’autoriser la police à entrer sur les campus universitaires sans permission préalable si les facultés ou les étudiants sont menacés. La réglementation précédente exigeait l’obtention d’une autorisation du recteur de l’université ou des autorités judiciaires avant d’entrer dans les campus. La décision a été prise dans le contexte d’une escalade des affrontements violents dans les universités égyptiennes. Pour le rappeler, en octobre 2010, une cour égyptienne avait confirmé la décision de retirer la police des campus universitaires, et en mars 2011, des gardes avaient été recrutés pour assurer la sécurité.
Pour certains spécialistes, il serait très facile de calmer la tension au sein de l’université, mais la lenteur du gouvernement dans le traitement de cette crise aggravera les choses dans l’intérêt des Frères. « Il faut profiter des vacances de la mi-année pour tenter de mettre fin à cette crise. Le vrai problème c’est que l’Etat ne pense qu’à la solution sécuritaire. Il est temps pour que les forces de sécurité sachent que la répression contre les jeunes ne sera plus acceptable. Nous sommes passés par deux révolutions pour mettre fin à ces agressions. Il n’est plus possible de les accepter », conclut Eid.
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