Jeudi, 28 mars 2024
Dossier > Dossier >

Soudan : l'espoir est en marche

Asmaa Hosseiny, Mardi, 08 octobre 2013

Malgré la répression de Khartoum, la contestation entamée le 23 septembre dernier contre le régime de Omar El-Béchir continue. Les Soudanais croient au changement.

Soudan
(Photo : Reuters)
De notre correspondante...

Il y a deux semaines, les Soudanais étaient sortis pour protester contre la levée des subventions au carburant et la hausse des prix en général. Ils ont dénoncé les politiques du régime. « Liberté ... Liberté » et « Le peuple veut renverser le régime », ces cris ont fait le tour des différentes villes du pays. Les appareils de sécurité, voulant à tout prix étouffer le mouvement de protestation, interviennent. La machine infernale de la mort récolte alors plus de 200 personnes, parmi les jeunes Soudanais, alors que des centaines sont blessées durant les 10 premiers jours des protestations. Selon les rapports d’Amnesty International, les manifestants qui ont péri ont tous succombé à des blessures par balles à la tête et à la poitrine. De nouveaux martyrs qui viennent s’ajouter à la longue liste des victimes de la faim, des maladies et de l’exode rural, ou celles tombées dans les poudrières et les foyers de tension au Sud-Soudan au Darfour, dans les Monts de Nubie et sur les rives du Nil Bleu.

Il est remarquable que la plupart des victimes sont des jeunes, issus d’une génération qui a vécu sous l’ombrelle du régime de l’actuel président Omar El-Béchir, au pouvoir depuis environ un quart de siècle. Salah Al-Sanhouri, Hazaë et d’autres martyrs qui enflamment les manifestations, sont nés à une époque où les Soudanais vivaient dans la misère. Ces jeunes ont brisé les cloisons de la peur et de l’oppression alors que le régime soudanais n’a jamais appris des leçons du passé. Il n’a jamais assimilé l’expérience du Printemps arabe et a continué à ignorer les conseils des dirigeants réformistes lorsqu’ils ont appelé Béchir à revenir sur certaines décisions économiques et à cesser l’oppression sécuritaire. « Enfin, nous avons brisé le mur du silence qui pesait lourd sur notre peuple. On avait l’impression de vivre dans un fossé souterrain en raison de la désinformation imposée par les autorités », dit le jeune Réfaat Al-Amin. Al-Amin parle vrai, parce qu’effectivement nombreuses sont les manifestations qui ont été réprimées par la tyrannie des appareils de sécurité, de quoi pousser certaines factions à porter les armes pour faire entendre leur voix, dans un pays en proie à des guerres au Darfour surtout.

La journaliste soudanaise Rabah Al-Sadek estime qu’il est impossible cette fois-ci d’utiliser la répression. « Ce sang qui a coulé doit être vengé. Notre peuple est déterminé d’aller jusqu’au bout », renchérit-elle. Il semble que le régime soudanais a pu s’attirer cette fois-ci l’adversité, non seulement de ses détracteurs mais également de ses alliés. Les mouvements de jeunes opposants tels que « Nous en avons marre », « Etincelle », « Rébellion » et « Le Changement maintenant » sont tous épaulés aujourd’hui par les partis traditionnels comme Al-Oumma (la nation) et le Parti communiste. Toutes les couleurs de l’arc-en-ciel politique au Soudan ont rejoint la rébellion, même les partis jeunes de tendance islamiste comme « Saëhoun » qui a participé à la guerre du sud. (lire carte politique page 5). Même l’armée était représentée au sein du mouvement par certains de ses chefs qui avaient procédé à une tentative de coup d’Etat en novembre dernier.

Le journaliste islamiste Khaled Al-Tigani évoque les raisons de l’exaspération dans les milieux islamistes dont il est le porte-parole : « Les islamistes ont bougé parce qu’ils ont constaté qu’ils ne pouvaient plus rester accroupis dans ce silence qui dure depuis longtemps ». Pour Tigani, la séparation du Soudan du Sud, qui a coïncidé avec le Printemps arabe, a dévoilé au grand jour d’ailleurs les plus graves erreurs de la gouvernance islamiste. Le projet islamiste qui avait justifié l’accaparement du pouvoir par la « volonté de sauver le pays » a eu des résultats contraires aux engagements pris au départ. La partition du Soudan n’a pas été accompagnée de la paix promise. Les retombées désagréables de cette partition se sont multipliées et ont entraîné le pays dans un tunnel obscur, politiquement, économiquement et militairement. Le paradoxe est qu’aucun des responsables n’est disposé à assumer la responsabilité de ce tumulte. C’est dans ce contexte qu’a émergé une agitation dont la portée est encore incertaine.

Pour Tigani, les islamistes ont tendance à diagnostiquer la crise actuelle en la renvoyant au monopole du pouvoir par un parti unique. Pour eux, la solution réside dans la résurgence du mouvement islamiste. En effet, cette manière de voir les choses prévaut dans les milieux islamistes. Elle reflète, selon Tigani, « une mentalité conservatrice et traditionnelle qui ne réalise pas l’ampleur du discrédit qui l’a touchée et son incapacité à opérer des réformes radicales ». Ce mouvement vise selon lui à maintenir le statu quo en introduisant certains changements de façade en alternant les visages sous le label du changement. Cette tendance a une vision étroite et ses ambitions ne semblent pas à la hauteur des revendications populaires. Elle ne voit pas que les raisons d’être de ce régime s’amincissent et qu’on ne peut pas remédier à la crise avec des initiatives naïves de redorer le blason. Il est clair que la vraie crise des mouvements islamistes est d’ordre intellectuel. Elle a engendré une pratique machiavélique de la politique sous des emblèmes islamistes. Le modèle que le mouvement islamiste a voulu appliquer au Soudan est assez superficiel, et ne tient pas compte de la complexité du Soudan multiethnique, multiculturel et multiconfessionnel.

La question à présent est la suivante : pourquoi la rébellion a-t-elle choisi ce moment en particulier ? Est-elle capable de renverser le régime qui tient les rênes du pouvoir depuis environ un quart de siècle ? En réalité, la jeunesse soudanaise qui se soulève aujourd’hui a acquis une certaine expérience. Elle a recours à des tactiques différentes. Les jeunes ont, par exemple, réussi à médiatiser leurs causes malgré la fermeture des chaînes Al-Arabiya et Sky News, les seules actives dans le pays.

L’intifada soudanaise envisage actuellement plusieurs scénarios. Certes, le régime fera tout pour l’anéantir via ses milices et le recours à la désinformation, même s’il cherche à montrer un nouveau visage. Ainsi, dimanche, le président soudanais a ordonné la libération de toutes les femmes détenues et un juge a acquitté de son côté 19 personnes arrêtées dans les violences.

Tout porte à croire pourtant que la révolution gagne en force, en raison de la spontanéité des manifestations. Il y a également sur scène les 4 mouvements armés qui forment « le front révolutionnaire » qui interviendra pour sauver le régime. Dans ce cas, les choses évolueront sur le terrain dans le sens d’une guerre civile avec l’hypothèse d’une intervention étrangère comme en Syrie. Quelles que soient les suites, le 23 septembre restera une date charnière dans l’histoire contemporaine du Soudan. Les Soudanais croient que le changement est inévitable, et il ne leur faut que cette certitude pour renverser le régime.

Mots clés:
Lien court:

 

En Kiosque
Abonnez-vous
Journal papier / édition numérique