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Egypte-Palestine : les barbelés de Rafah, histoire d’un enfermement

Aliaa Al-Korachi, Mardi, 24 septembre 2013

Le seul point de passage entre l'Egypte et la bande de Gaza n'est ouvert qu'exceptionnellement. Le poste-frontière de Rafah suit les aléas d'une situation politique complexe qui se préoccupe peu des besoins des Palestiniens.

Un mur de barbelés d’une vingtaine de kilomètres coupe en deux la ville de Rafah : Rafah la palestinienne à l’est, et Rafah l’égyptienne à l’ouest. C’est une nouvelle frontière tracée en 1979 par la main des négociateurs de l’accord de Camp David. En 1982, quand Israël se retire du Sinaï, les barbelés restent, séparant pour toujours commerces, maisons et familles.

Avant 1967, l’année d’occupation israélienne de Gaza et du Sinaï, les frontières entre Gaza et l’Egypte, placées sous administration égyptienne, n’étaient pas contrôlées. Les Gazaouis étaient libres de circuler et de traverser le Sinaï jusqu’au Canal de Suez sans qu’ils soient contrôlés. A l’époque, une ligne ferroviaire amenait les Palestiniens au coeur du Caire. Tous ces échanges ont pris fin avec le contrôle israélien. Le voyageur devait passer par un long processus bureaucratique afin d’obtenir un permis pour franchir la frontière, une demande qui aboutissait souvent sur un refus. Au cours des années, le contrôle israélien est devenu plus fort. La frontière fut fermée plus de 70 % du temps l’année qui suivit la deuxième Intifada en 2000.

En 2005, suite au retrait total d’Israël de la bande de Gaza, de nouvelles règles sont mises en place, Israël et l’Autorité palestinienne signent l’accord sur l’accès et le mouvement concernant les frontières de Gaza. « Théoriquement, la frontière a été remise aux Palestiniens, après quarante années de contrôle israélien. Mais dans les faits, c’est Israël qui détient toujours les clés », explique Saïd Okacha, spécialiste des affaires israéliennes au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al- Ahram.

D’après l’accord, Israël surveille la frontière égypto-palestinienne par un système de caméras et à travers la supervision des listes de voyageurs. L’Autorité palestinienne est en charge du fonctionnement du point de passage et des observateurs de l’UE supervisent le processus. Mais quelques mois après l’accord, en 2006, Israël revient sur son engagement suite à la capture d’un soldat israélien par le Hamas. L’année suivante, le poste-frontière resta fermé 86 % du temps, alors que l’on parle toujours de frontières égypto-palestiniennes. Les ouvertures occasionnelles sont imprévisibles et annoncées seulement deux jours avant, ce qui rend tout projet de voyage impossible.

Rafah est concrètement le seul point d’accès au monde pour les Palestiniens de Gaza. La fermeture signifie l’enfermement total de 1 million et demi de Palestiniens : étudiants ou malades en attente de soins. Et les Palestiniens en Egypte ne peuvent pas rentrer chez eux.

La prise de contrôle de Gaza par le Hamas en 2007 place l’Egypte — toujours timide à dénoncer les abus israéliens — sous les projecteurs des médias internationaux. Le Caire est accusé de jouer un rôle dans le siège de Gaza. « Le régime de Moubarak poursuivait une même logique. D’un côté ouvrir la frontière, c’était reconnaître la légitimité du Hamas et de l’autre c’était endosser la responsabilité économique et sécuritaire de Gaza », analyse Okacha.

Sous les pressions américaines, Le Caire va même commencer à bâtir une frontière métallique de six mètres de haut pour « des considérations sécuritaires ». La bande de Gaza devient alors une grande prison à ciel ouvert, où un million et demi d’habitants sont coincés.

Un an plus tard, c’est la révolte. Dans une scène dramatique, des milliers de Gazaouis abattent une large section du mur, s’infiltrant par des brèches vers la ville d’Al-Arich pour acheter les produits que l’on ne trouve pas à Gaza. Puis le mur se referme à nouveau. L’Egypte ne l’ouvre qu’au compte-gouttes, évalué à trois jours par mois. Avec la frontière nord-coréenne, ce postefrontière est parmi les plus difficiles à franchir au monde.

Statu quo après la révolution

Ce n’est qu’en 2010, suite à une opération meurtrière menée par les forces israéliennes contre une flottille internationale acheminant de l’aide humanitaire à Gaza, que l’Egypte ouvre sa frontière pour « une période illimitée ». Elle envoie « les aides humanitaires et médicales nécessaires et accueille étudiants et malades ». Mais il s’agit plus d’un message destiné à Israël qu’une véritable reprise des échanges frontaliers. Moubarak mettait en effet toujours en avant l’absence des observateurs européens, depuis la prise du pouvoir du Hamas, pour justifier la fermeture de la frontière.

Les espoirs palestiniens de voir la frontière s’ouvrir après la révolution du 25 janvier sont vite retombés. Trois jours après la chute de Moubarak, le Conseil militaire ordonne d’ouvrir de façon permanente le poste-frontière. Mais les restrictions pèsent toujours. Les enfants et les hommes âgés de plus de 40 ans peuvent circuler sans visa, mais pour les hommes âgés de 18 à 40 ans, il faut une autorisation des services de sécurité égyptiens, qui exigent l’aval des services de registres israéliens.

La frontière est toujours restée difficile à franchir même lorsque les Frères musulmans étaient au pouvoir. L’assassinat de 16 soldats égyptiens et l’enlèvement de 7 autres conduisent à la fermeture du terminal, sous Morsi. A cette époque, les Européens avaient pourtant négocié le retour de leur mission d’observation. Ils voulaient se positionner, cette fois, du côté égyptien. La chute de Morsi ajourne les négociations, d’ailleurs déjà rejetées par le Hamas. Depuis le renversement de Morsi, l’Egypte limite le nombre de personnes autorisées à franchir la frontière à 300 par jour contre 1 200 auparavant, selon Maher Abou Sabha, directeur palestinien du poste-frontière.A l’heure actuelle, la frontière est fermée. Le président palestinien, Mahmoud Abbas, a lancé un appel solennel pour la faire ouvrir. Les nouvelles autorités égyptiennes y ont répondu en l’ouvrant pour 48 heures, jeudi et vendredi derniers. Puis plus personne ne passe « jusqu’à nouvel ordre » .

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