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Ahmad Askar : La zone de risques dans la région de la Corne de l’Afrique augmente

Propos recueillis par Ola Hamdi, Mardi, 09 novembre 2021

Ahmad Askar, spécialiste des affaires africaines au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, revient sur les répercussions du conflit sur l’avenir du régime éthiopien et sur la stabilité de la région de la Corne de l’Afrique.

Ahmad Askar,

Al-Ahram Hebdo : Avancée militaire des Tigréens, alliance entre rebelles, état d’urgence… Comment, selon vous, va évoluer la situation et quels sont les scénarios possibles ?

Ahmad Askar: La situation est très compliquée. Ces derniers jours, le Front de libération du peuple du Tigré (TPLF) s’est emparé de plusieurs villes stratégiques et a menacé de gagner la capitale pour renverser le régime d’Abiy Ahmed. Il s’agit avant tout d’une lutte entre deux visions: le fédéralisme, revendiqué par les groupes rebelles, qui garantit une autonomie aux régions établies sur des bases ethniques face au projet de la centralisation du pouvoir adopté par Abiy Ahmed. Si la capitale éthiopienne tombe dans les mains des Tigréens, il y aura deux possibilités: soit une guerre civile, soit le renversement du régime d’Abiy Ahmed.

Le conflit avait causé le déplacement de 2 millions de personnes à l’intérieur du pays et plus de 10
Le conflit avait causé le déplacement de 2 millions de personnes à l’intérieur du pays et plus de 100 000 réfugiés au Soudan.

— Comment voyez-vous la position de la communauté internationale, notamment la position américaine vis-à-vis du conflit au Tigré ?

— La communauté internationale a appelé à plusieurs reprises à établir un cessez-le-feu, à trouver une solution globale au conflit et à sauver les personnes affectées par la crise humanitaire dans le nord de l’Ethiopie où plus de deux millions de personnes ont dû prendre la fuite à cause de la situation humanitaire alarmante dans la région. Quant aux relations américano-éthiopiennes, elles étaient dernièrement à leur plus bas niveau en raison de l’intransigeance et de l’insistance persistantes d’Abiy Ahmed qui rejette tout appel au règlement. Ce qui ouvre la porte à de multiples scénarios au cours de la période à venir, dans le cas où le régime éthiopien n’entamerait pas de négociations avec la région du Tigré. Chercher une alternative à Abiy Ahmed, c’est un scénario qui gagne du terrain. Si nous nous tournons vers la situation au Soudan, nous constaterons également que la communauté internationale et la position américaine ont tenté de faire pression sur la composante militaire en appelant à un règlement et à un dialogue entre toutes les composantes politiques par crainte d’une détérioration de la situation à l’intérieur du Soudan ou l’éclatement d’une guerre civile.

— Quelles sont les répercussions sécuritaires sur la Corne de l’Afrique ?

— Une amplification du conflit n’aura pas uniquement des conséquences dramatiques sur l’avenir du pays, mais risque aussi de déstabiliser toute la région de la Corne de l’Afrique avec des effets sur les pays voisins, notamment Djibouti et l’Erythrée. Les forces tigréennes ont menacé de prendre d’assaut la capitale érythréenne Asmara si les forces érythréennes ne se retiraient pas de l’Ethiopie. Ce qui ouvre la porte à l’intervention militaire des puissances internationales et régionales sous prétexte de restaurer la sécurité et la stabilité pour protéger leurs intérêts stratégiques dans la Corne de l’Afrique.

— La région est aussi en proie à une autre crise, celle du Soudan …

— La crise au Soudan complique davantage la scène dans la région de la Corne de l’Afrique, d’autant plus que l’est soudanais, qui a des frontières avec l’Erythrée et l’Ethiopie, réclame lui aussi la sécession. Par conséquent, la zone des risques dans cette région augmente. En outre, le différend frontalier entre l’Ethiopie et le Soudan sur la zone d’Al-Fashqa pourrait également accroître les troubles sécuritaires dans la Corne de l’Afrique et activer la prolifération du trafic illicite par des groupes terroristes répandus dans cette région.

— Y aura-t-il un quelconque impact sur le dossier du barrage de la Renaissance ?

— L’Etat égyptien a des intérêts stratégiques dans la Corne de l’Afrique, dont les plus importants sont de préserver l’eau du Nil, ce fleuve essentiel pour sa survie, et de sécuriser la navigation dans la mer Rouge, liée au Canal de Suez au nord, qui a une grande importance stratégique, politique, économique et sécuritaire pour l’Egypte. Quant au barrage de la Renaissance, il n’a pas été touché par ces perturbations. La position éthiopienne depuis 2011 n’a pas changé et continue d’être intransigeante et d’exploiter le facteur du prolongement du temps pour imposer un fait accompli aux pays de l’aval, l’Egypte et le Soudan. Je ne pense pas qu’il y aurait une percée dans le dossier des négociations qui est actuellement dans un état de stagnation complète, notamment après la suspension de l’adhésion du Soudan par l’Union africaine.

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