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L’Iraq au centre des mutations regionals

Aliaa Al-Korachi, Mardi, 31 août 2021

L’Iraq a accueilli le 28 août la Conférence de Bagdad pour la coopération et le partenariat. Bagdad entend revenir sur scène et favoriser le dialogue entre les pays voisins.

L’Iraq au centre des mutations régionales

« L’Iraq ne sera pas une arène des conflits ou de règlement des comptes ». C’est ce qu’a déclaré le premier ministre iraqien, Moustafa Al-Kazimi, lors de son allocution d’ouverture de la conférence régionale organisée le 28 août à l’initiative de l’Iraq, intitulée « Conférence de Bagdad pour la coopération et le partenariat ». Aux côtés de l’Egypte, ce sommet, appelé également « Sommet des pays voisins de l’Iraq », a réuni des dirigeants et des représentants de la Jordanie, de l’Arabie saoudite, du Koweït, du Qatar, des Emirats arabes unis, de la France, de la Turquie et de l’Iran, en plus de la Ligue arabe, du Conseil de Coopération du Golfe (CCG) et de l’Organisation de Coopération Islamique (OCI). « La Conférence de Bagdad incarne la vision iraqienne qui insiste sur la nécessité d’établir les meilleures relations avec les pays du monde, sur la base de la coopération, de l’intégration, de la non-ingérence dans les affaires intérieures … Ce qui unit nos peuples est plus que ce qui les divise », a ajouté Kazimi.

Selon Ahmad Sayed Ahmad, expert des affaires régionales au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, ce sommet marque une étape vers le retour du rôle de l’Iraq sur la scène régionale. « Groupant autour d’une même table les grands acteurs de la région possédant des projets géopolitiques concurrents et même des visions différentes de l’avenir de l’Iraq, ce sommet constitue un événement historique exceptionnel. L’accueil même de ce sommet constitue en soi un succès », ajoute-t-il. Selon Sayed, la géographie du pays iraqien, se trouvant au coeur des interactions régionales, lui a conféré une importance stratégique particulière comme étant l’un des principaux déterminants de la stabilité régionale et une partie indispensable dans les projets d’intégration et de liaison régionale. La chute de Bagdad aux mains des Américains en 2003, suivie d’une mainmise iranienne sur toutes les institutions et d’une offensive turque dans le nord du pays, a transformé l’Iraq en une arène de règlement de comptes.

Selon Mona Soliman, professeure de sciences politiques à l’Université du Caire, aujourd’hui encore, l’Iraq traverse une autre phase décisive de son histoire. « Le contexte régional est en pleine reconfiguration. Et l’Iraq se trouve de nouveau au centre des transformations majeures, tant sur le plan interne qu’externe, qui auront des répercussions profondes sur l’avenir de ce pays », explique Mona Soliman. Parmi ces événements figure l’investiture du nouveau président iranien, Ebrahim Raïssi, au début de ce mois-ci, un partisan d’une ligne plus dure que son prédécesseur qui soutient le renforcement du rôle des milices chiites armées en Iraq qui sont en conflit avec l’Etat iraqien. Autre défi : la crainte du retour en force des groupes terroristes après la reprise du pouvoir de Talibans d’Afghanistan. De plus, la poursuite de l’escalade irano-américaine en Iraq a incité Washington à prendre la décision de mettre fin aux missions combattives de ses forces en Iraq fin décembre 2021. Organiser les élections législatives à leur date prévue, mettre fin à la systématisation de la corruption et la militarisation de l’Etat, tels sont les défis internes auxquels est confronté l’Iraq (voir paroles d’experts page 4).

Kazimi, une politique équilibriste

« L’accueil par Bagdad de cette conférence est une preuve claire de l’adoption par l’Iraq d’une politique d’équilibre positif et de coopération dans ses relations étrangères », a déclaré le ministre des Affaires étrangères iraqien lors de la conférence. Cet événement s’inscrit dans la nouvelle vision de la diplomatie iraqienne adoptée par le premier ministre iraqien depuis son arrivée au pouvoir en mai 2020. Celle-ci vise à établir des relations équilibrées avec tous ses voisins régionaux, en tenant compte des intérêts nationaux de chaque pays, ainsi qu’à réactiver le rôle de l’Etat national iraqien à tous les niveaux. En fait, cette conférence est le deuxième événement régional accueilli par l’Iraq en deux mois après le Sommet du « Nouveau Levant » qui a réuni les dirigeants égyptien, jordanien et iraqien en juin dernier. Il intervient également près de trois mois après une visite historique du pape François en Iraq pour être le premier pape de l’Eglise catholique à visiter le pays. De plus, c’est l’un des fruits des tournées à l’étranger d’Al-Kazimi dans de nombreuses capitales importantes, telles que Le Caire, Riyad, Abu-Dhabi, Koweït, Washington, Bruxelles, Paris et Rome. Jouer l’équilibriste entre les Etats-Unis et l’Iran s’inscrit également dans cette nouvelle approche iraqienne. Bagdad a même accueilli, le 9 avril 2021, des pourparlers entre des délégations saoudienne et iranienne. En plus, cette diplomatie adopte le retour de l’Iraq à son environnement arabe, notamment à travers des visites mutuelles. C’est dans ce sens qu’Al-Kazimi a effectué une série de visites dans les pays du Golfe : en Arabie saoudite le 31 mars, aux Emirats arabes unis le 4 avril et au Koweït le 24 août. Al-Kazimi a travaillé encore à renforcer les relations de l’Iraq avec les Etats-Unis par le biais d’un cycle de dialogue stratégique, que ce soit à l’époque de l’ex-président américain, Donald Trump, ou de l’actuel président, Joe Biden. Dans le même temps, le gouvernement iraqien a gardé ses relations étroites avec Téhéran afin de les exploiter pour contrôler les milices iraqiennes fidèles à l’Iran. « Toutes ces rencontres ont pavé le chemin pour organiser cette conférence », souligne Ahmad Sayed Ahmad.

Une nouvelle phase ?

Cette conférence marque-t-elle une nouvelle phase dans la région ? « Nous voulons inaugurer une nouvelle phase de coopération régionale », a déclaré le président Abdel-Fattah Al-Sissi. En fait, la participation du président Sissi à la conférence s’inscrit dans le cadre de la politique de l’Egypte visant à soutenir le retour de l’Iraq à son rôle régional actif et équilibré (voir page 4). « L’Iraq est un pays essentiel à la stabilité du Moyen-Orient », a déclaré de son côté le président français, Emmanuel Macron, avant d’ajouter que la Conférence de Bagdad acquiert un caractère particulier afin de construire des partenariats. « Nous sommes ici pour le bien de l’Iraq, sa sécurité et sa stabilité », a ajouté Macron.

Selon Mohamad Mansour, expert des affaires iraqiennes, parmi les caractéristiques les plus importantes de cette conférence figuraient les réunions bilatérales et tripartites effectuées parallèlement en marge de cet événement. Notamment la rencontre qui a groupé Cheikh Mohamad bin Rached Al Maktoum, premier ministre des Emirats arabes unis, et le nouveau ministre iranien des Affaires étrangères, Hossein Amir-Abdollahian, ainsi que celle qui a réuni le président Abdel-Fattah Al-Sissi et l’émir du Qatar. A ceux-ci s’ajoutent également les rencontres qui ont réuni séparément le premier ministre iraqien, Moustafa Al-Kazimi, avec le président Abdel-Fattah Al-Sissi, le roi Abdallah II et l’émir du Qatar. La rencontre du premier ministre iraqien avec son homologue koweïtien a été aussi parmi les rencontres les plus remarquables. « C’est une réussite diplomatique. Ces rencontres pourraient être un prélude au démarrage d’une série d’initiatives de dialogue et de coopération au niveau régional », ajoute Mansour.

Soutien économique

Quant aux gains économiques, les dossiers de reconstruction et d’investissement en Iraq ont été au centre des discussions. Selon Sayed Ahmad, l’objectif de l’Iraq est d’attirer le soutien international pour mettre fin à sa crise économique. Les pays participants à la conférence sont tous liés par des plans économiques avec l’Iraq. L’Iran, d’une part, est la principale source d’électricité pour l’Iraq alors que les échanges commerciaux entre ces deux pays s’élèvent à plus de 13 milliards de dollars. D’ailleurs, les échanges commerciaux entre l’Iraq et la Turquie s’élèvent à environ 20 milliards de dollars. Par ailleurs, l’Iraq, l’Egypte et la Jordanie viennent de signer de nombreux contrats dans le domaine d’énergie, d’interconnexion électrique et de transport dans le cadre du mécanisme de coopération tripartite. De plus, l’Iraq cherche à attirer le soutien économique et des investissements des pays du Golfe. C’est dans ce contexte que le secrétaire général du Conseil de coopération du Golfe, Nayef Al-Hajraf, a annoncé lors de la conférence les préparatifs de la tenue dans la période à venir d’une conférence sous le titre « La Conférence pays du Golfe-Iraq pour la reconstruction et l’investissement » pour soutenir l’économie iraqienne. De son côté, le président français, Emmanuel Macron, a affirmé que la France sera aux côtés de l’Iraq dans un nombre de projets d’infrastructure, d’éducation, de santé, d’énergie et d’eau. Malgré ces gains, les questions soulevées sur l’après-Conférence de Bagdad sont nombreuses comme le souligne Mansour. Ce sommet aura-t-il des impacts positifs sur la situation interne iraqienne et sur la résolution des conflits régionaux ? Des questions qui attendent une réponse dans les jours à venir.

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