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Les coptes au coeur de la tourmente

Samar Al-Gamal, Mardi, 20 août 2013

Les chrétiens d'Egypte paient le prix de leur choix politique en faveur de la chute de Morsi. Depuis le 30 juin, ils sont pris pour cible, tandis que le gouvernement ne semble pas apte à les protéger.

Les coeurs1
(Photos: AP)

« Lorsque nous avons contacté les responsables de la police, ils se sont excusés », raconte l’évêque de Minya, Mgr Makarios. Et d’ajouter : « Ils étaient absents de tous les endroits où il y avait des attaques et de la destruction », ajoute-t-il en revenant sur les événements du 14 août, jour de l’évacuation sanglante au Caire des sit-in des pro-Morsi.

Des églises en feu, des écoles, des échoppes et des commerces pillés, des maisons attaquées, le bilan est assez lourd. 64 attaques au total contre les chrétiens, leurs édifices et leurs maisons en une seule journée. Selon l’ONG Initiative égyptienne pour les droits de la personne (EIPR), « des coptes ont été obligés de quitter leurs maisons dans le Sinaï de crainte d’attaques et au moins 25 églises ont été incendiées dans 10 provinces d’Egypte ». Selon Mgr Makarios, ces attaques ont été menées « simultanément et de façon presque identique ». « Nous avons expliqué cette négligence de la sécurité au premier ministre, au ministre de l’Intérieur et aux chefs de l’armée, et ils ont promis de l’éviter dans l’avenir », dit l’évêque de Minya. Mais sur le terrain, aucun changement n’est notable.

Cela faisait plusieurs jours déjà que la ville qui marque l’entrée en Haute-Egypte est le théâtre d’incidents multiples visant les coptes. La réconciliation « officieuse » conclue trois jours auparavant dans le village de Bani Ahmad avait peu servi. Une querelle à cause d’une rumeur dans un village avoisinant, selon laquelle des chrétiens auraient attaqué une mosquée, tourne mal.

Une traditionnelle séance rassemble des chefs religieux et des policiers pour conclure un accord. « Il a été convenu que les deux parties renoncent à leurs plaintes juridiques, et d’imposer une pénalité de 2 millions de L.E. en cas de violation d’une partie sur l’autre, sur fond de témoignages ou de serment. La partie qui provoque une nouvelle dispute sera expulsée ». C’est de coutume ! Des fois de tels accords parviennent à éteindre les braises de la « sédition confessionnelle », mais souvent les fauteurs de troubles, expression favorite de l’Etat, parviennent à rallumer le feu.

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Les coptes d’Egypte représentent 10 % de la population selon des estimations officieuses, mais selon les chiffres officiels ils sont un peu plus de 5 millions sur les 83 millions d’Egyptiens, soit 6 %.

Depuis la Révolution de Juillet 1952, qui a mené à la chute du roi, le nombre de chrétiens est en constante diminution dans la politique ou les hautes fonctions de l’Etat (ministres, officiers supérieurs, magistrats, chefs d’université, présidents de banque). Plus tard sous Sadate, qui a fait appel aux islamistes pour lutter contre les communistes de Nasser, des mouvements islamistes radicaux ont multiplié les attaques contre les coptes, leurs églises et leurs commerces. Ils n’ont pas été non plus épargnés sous Moubarak. L’année passée par Morsi au pouvoir n’a pas été une exception. Mais aux motifs confessionnels s’ajoute aujourd’hui un élément purement politique. Les chrétiens ont généralement gardé un profil bas, mais sont devenus politiquement plus actifs depuis que Moubarak eut été évincé. Le soutien affiché du chef de l’Eglise copte, le pape Tawadros II d’Alexandrie, au général Al-Sissi et au renversement de Mohamad Morsi, le président Frère, ne plaît pas. Les islamistes n’ont d’ailleurs jamais oublié que les chrétiens ont soutenu le rival de Morsi à la présidentielle, Ahmad Chafiq. Certes, il n’existe aucune statistique qui le confirme mais il n’est pas étonnant de s’attendre à un tel choix. Un Etat islamique ne serait pas le rêve des chrétiens. Et aux yeux des pro-Morsi, « ceux qui sont sortis le 30 juin pour renverser le président islamiste sont en grande majorité des chrétiens », dit l’un des chefs de la confrérie, Mohamad Al-Beltagui.

L’Union des jeunes de Maspero, un mouvement copte, n’a cessé de dénoncer les discriminations à l’encontre des chrétiens durant la présidence de Mohamad Morsi. Jeudi, un porte-parole du mouvement a accusé la confrérie des Frères musulmans d’attaquer la minorité chrétienne, « sans raison et sans crime, excepté celui d’être chrétien dans un pays où l’une des factions politiques mène une guerre religieuse ».

« Les Frères musulmans et leurs alliés incitent à la violence et à la haine religieuse, sans tenir compte de leurs conséquences pour la paix civile », estime l’Organisation égyptienne des droits de l’homme.

Les Frères musulmans, eux, accusent les autorités de « créer les violences confessionnelles comme l’avait fait Moubarak avant d’être renversé ».

Il y a quelques années, des politiciens avaient exprimé leur « profonde inquiétude quant à l’attitude de l’Etat qui traîne les pieds pour protéger les coptes et pour répondre fermement aux attaques de nature sectaire ».

Pourtant, à sa première apparition depuis le lourd bilan des morts dans les rangs des partisans de Morsi, entouré de militaires, le général Al-Sissi a fait un long discours revenant sur les événements et a parlé de tout, sauf les coptes. Les promesses du gouvernement de « répondre avec fermeté » à toute attaque restent lettre morte en dehors des grandes villes. La police est peu présente, et ceux qui sont là se contentent de ne rien faire, car eux aussi sont pris d’assaut. La campagne d’intimidation semble être un avertissement aux chrétiens de se retirer de l’activisme politique, alors que se prépare une nouvelle Constitution. Un texte où les chrétiens espèrent faire entendre leur voix et acquérir une citoyenneté totale et égale.

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