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Récit d’une mission extraordinaire

Aliaa Al-Korachi, Mardi, 30 mars 2021

Au terme de six jours d’efforts titanesques, l’Autorité du Canal de Suez est parvenue à débloquer le navire Ever Given qui bloquait la voie navigable. Une prouesse technique. Explications.

Récit d’une mission extraordinaire

Le lieu : le kilomètre 151 du Canal de Suez. La date : lundi à 15h. L’événement : les sirènes des bateaux retentissent saluant la réussite des efforts de l’Autorité du Canal de Suez visant à remettre à flot le porte-conteneurs Ever Given, coincé pendant six jours dans le canal et bloquant complètement cette voie navigable, la plus fréquentée au monde, par laquelle passe environ 12 % du commerce mondial. « Nous l’avons dégagé ! », crient avec joie les équipages des remorqueurs et des dragueurs qui ont participé au déblocage du navire. Machhour, Mostafa Mahmoud, Baraka 1, Port-Saïd 1, Ezzat Adel et Tahya Masr. Le monde entier a suivi pendant six jours les manoeuvres de renflouement sans relâche menées par ces équipements gigantesques opérant dans quatre directions différentes. Après 6 jours de blocage, le navire est remis à flot et la circulation est rétablie dans le Canal de Suez. « Aujourd’hui, les Egyptiens ont réussi à mettre fin à la crise du navire coincé dans le Canal de Suez, malgré l’énorme complexité technique entourant ce processus », a tweeté le président Abdel-Fattah Al-Sissi. Le président a remercié « tous les Egyptiens qui ont contribué techniquement et pratiquement à mettre fin à la crise du navire Ever Given, qui a interrompu la navigation dans le Canal de Suez pendant près d’une semaine ». Et d’ajouter : « Les Egyptiens ont prouvé aujourd’hui qu’ils sont toujours à la hauteur de la tâche et que le canal creusé par leurs grands-pères et leurs pères sera toujours le témoin de la détermination des Egyptiens à tracer leur propre voie ».

Quelques heures après le retour de la navigation à la normale, le président Abdel-Fattah Al-Sissi a rendu visite à l’Autorité du Canal de Suez (SCA) et a inspecté le Centre de formation maritime et de simulation relevant de l'Autorité à Ismaïliya.

« La crise du navire a prouvé que le peuple et toutes les institutions de l'Etat ont été unis face à ce défi », a déclaré le président lors de cette visite. L’Egypte était engagée depuis une semaine dans une course contre la montre pour rétablir la navigation dans le Canal de Suez. « Nous avons réussi à remettre à flot le navire Ever Given en un temps record, je crois que si la crise du navire avait eu lieu dans n’importe quel pays du monde, elle aurait été réglée en trois mois », a déclaré avec confiance Osama Rabie, chef de l’Autorité du Canal de Suez, lors d’une conférence de presse organisée au club Shatea à Ismaïliya pour annoncer la réussite des opérations de renflouage et répondre aux questions de l’après-renflouement du navire.

La fin de la crise

Tout a commencé le 23 mars, à 7h. Le MV Ever Given, un porte-conteneurs géant long de 400 mètres et large de 59 mètres, en provenance de Chine et à destination de Rotterdam, aux Pays-Bas, franchit l’entrée sud du Canal de Suez. Les rafales de vent et une tempête de sable, courantes dans la zone, sont fortes. Le bateau s’échoue en raison du manque de visibilité, bloquant les deux sens de la circulation dans le canal et créant un embouteillage. Quelque 400 bateaux sont coincés aux deux extrémités du canal. L’Ever Given est l’un des porte-conteneurs géants construits au Japon. Il appartient à la classe Golden, qui en compte dix autres. Le navire est exploité par la compagnie taïwanaise Evergreen Marine et bat pavillon panaméen. Sa gestion technique est sous la responsabilité de la société allemande de gestion des navires Bernhard Schulte Shipmanagement (BSM). Le 25 mars, alors que les efforts se poursuivent pour la troisième journée consécutive pour déloger Ever Given, l’Egypte suspend temporairement la navigation dans le Canal de Suez. L’optimisme règne à l’aube du lundi 29 mars quand Ever Given est renfloué avec succès après des manoeuvres de remorquage. La direction du navire a été modifiée de 80 %. En milieu d’après-midi, on annonce la fin de la crise. L’Ever Given a enfin été remis dans le sens de la circulation au milieu du canal, avec sa poupe et sa proue libérées. Il se dirige lentement vers le nord du canal dans la région du Grand Lac amer afin d’y subir une inspection complète. Les premiers navires ont commencé à circuler dans le canal autour de 18h, deux heures après le déblocage total du navire. « C’est la première fois qu’on déloge un navire piégé sans décharger sa cargaison », assure Osama Rabie. Dès le déclenchement de la crise, la SCA a mis en place une stratégie à trois scénarios pour sortir de la crise : l’utilisation des remorqueurs pour tirer le navire, puis le dragage avec l’utilisation des dragueurs de la SCA pour revenir aux manoeuvres de tirage et, enfin, l’allégement du poids du navire en retirant des conteneurs, un processus difficile et long. « Les manoeuvres de dragage et de remorquage ont été effectuées avec des équipements de la SCA, qui a engagé deux nouveaux remorqueurs fabriqués localement, ainsi que deux remorqueurs étrangers », a précisé Rabie, tout en soulignant que la société de sauvetage engagée par le propriétaire d’Ever Given n’a pas modifié les plans fixés par l’Autorité pour faire face à la crise.

La remise à flot de l’Ever Given dans le Canal de Suez a suscité des réactions positives à l’échelle internationale. L’Organisation maritime internationale a félicité l’Egypte pour la remise à flot du navire. « L’Autorité du Canal de Suez a géré la crise avec beaucoup de compétences. Elle possède les équipements des plus sophistiqués comme le remorqueur Baraka et le dragueur Khaled Ibn Al-Walid. La compagnie possède les meilleurs équipements de sauvetage au monde. Ces équipements sont capables de faire face à tous les accidents qui puissent arriver », explique Hamdy Bargouth, expert en transport maritime international (voir entretien p.5).

Navires en attentes et indemnités

Après le déblocage du navire, un autre défi reste à relever. « Nous sommes maintenant confrontés au défi de mettre fin à l’embouteillage dans le Canal de Suez », a précisé Rabie. 113 navires devaient traverser le canal entre 18h et 8h mardi, dans les deux sens de la circulation. Il faudra trois jours et demi environ pour tout résorber, a prévenu Rabie lors de la conférence de presse, ajoutant que le trafic sera rétabli 24 heures sur 24 et que la priorité sera donnée aux navires transportant du bétail. Cinq navires transportent plus de 60 000 têtes de bétail.

Récit d’une mission extraordinaire

L’origine de l’échouement de l’Ever Given n’est pas encore identifiée. Le chef de la SCA a déclaré : « Les fortes rafales de vent et les facteurs météorologiques ne sont pas les seules raisons de l’échouement du navire, d’autres erreurs, humaines ou techniques, pourraient avoir provoqué l’incident ». Et d’ajouter : « D’autres navires ont traversé le canal dans des circonstances plus compliquées, comme en mars 2020, lorsque les vents avaient atteint 55 noeuds », a-t-il précisé. En outre, l’année dernière, les deux plus grands porte-conteneurs au monde avaient traversé le canal. Il s’agit du CMA CGM Jacques Saadé avec une cargaison de 21,203 EVP (équivalent 20 pieds) et HMM Algeciras avec une cargaison de 23,964 EVP, et pour la première fois, un porte-conteneurs avec un tirant d’eau de 17,4 mètres et une cargaison de 214 tonnes, MILAN MAERSK, a réussi à traverser le canal. Près de 19 000 navires ont emprunté le canal en 2020, selon la SCA, soit une moyenne de 51,5 navires par jour, sans aucun incident.

S’exprimant sur les demandes d’indemnisation, la SCA a déclaré que seules les enquêtes détermineront qui est responsable du paiement des indemnités. La loi maritime stipule que tout incident qui se produit dans le Canal de Suez est la responsabilité du navire et non celle du Canal de Suez. « Ce qui s’est passé n’était pas la faute de l’autorité. Au contraire, le canal a été négativement influencé par le blocage du navire », a déclaré Rabie. Selon les autorités du canal, l’Egypte a perdu entre 12 et 15 millions de dollars par jour en raison de la fermeture du canal, emprunté par près de 19 000 navires en 2020. Alors que selon l’assureur Allianz, chaque jour de blocage du canal a pu coûter entre 6 et 10 milliards de dollars. La valeur totale des biens bloqués ou devant emprunter une autre route a différé selon les estimations, oscillant entre 3 et plus de 9 milliards de dollars.

Quels messages à retirer ?

Selon beaucoup d’observateurs, avec l’expansion des chaînes d’approvisionnement et la dépendance croissante sur le transport maritime à travers le monde, cet incident a démontré que le Canal de Suez, d’une époque à l’autre, conserve toujours sa place stratégique au coeur du système du transport maritime mondial. En fait, depuis son inauguration le 17 novembre 1869, le Canal de Suez est la plus courte voie navigable entre l’Est et l’Ouest, ainsi que la principale source de devises étrangères pour l’Egypte. Il s’accapare de plus de 12 % du volume du commerce mondial, près de 24,5 % du trafic des conteneurs au niveau mondial et 100 % du commerce des conteneurs entre l’Asie et l’Europe. En outre, cette crise a prouvé que le Canal de Suez reste la voie navigable la plus courte, la moins chère et la plus sûre. Pour preuve : « Aucun navire parmi les 422 qui étaient en attente pour traverser le Canal de Suez n’a demandé l’autorisation de changer de route, car ils avaient confiance en la capacité de l’Egypte à mettre fin à la crise », conclut Rabie.

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