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Les Américains, les Frères et le Qatar

Amira Samir, Dimanche, 25 octobre 2020

Apporter un soutien médiatique et financier pour aider la confrérie à dominer la scène politique en Egypte, les e-mails de Clinton lèvent le voile sur d’importants détails concernant cette période critique de l’histoire de l’Egypte. Explications en questions-réponses.

Comment l’ancienne Administration américaine de Barack Obama a accueilli l’accès de la confrérie au pouvoir en Egypte ?

Dans le cadre de sa campagne électorale face à son rival démocrate Joseph Biden, Donald Trump a décidé le 7 octobre de déclassifier les e-mails de l’ancienne secrétaire d’Etat Hillary Clinton, les qualifiant comme le plus « grand crime politique de l’histoire américaine ». Ces courriels ont révélé l’ampleur du soutien américain apporté aux Frères musulmans en Egypte au cours de la période allant de 2011 à 2013. Au début, Washington n’a pas caché son inquiétude de voir l’arrivée des islamistes au pouvoir en cas de départ de l’ancien président Hosni Moubarak. C’est ce qu’a dévoilé un document datant du 29 janvier 2011 qui évoquait les craintes américaines concernant « la création d’un nouvel Iran ou Cuba si les islamistes en Egypte arrivaient au pouvoir après la chute du régime de Moubarak ». Cependant, la position américaine a rapidement changé, passant à un soutien total à la confrérie pour qu’elle parvienne au pouvoir en Egypte. Le courriel le plus révélateur à cet égard est celui qui documente une visite d’Hillary Clinton en Egypte, le 14 juillet 2012, pour féliciter Mohamad Morsi d’avoir remporté les élections. Au cours de cette réunion, Clinton a désigné l’élection de Morsi comme « un tournant dans l’histoire de la démocratie égyptienne », avant de lui proposer d’envoyer « secrètement » une équipe d’experts de la police et de la sécurité américains en Egypte, pour restructurer l’appareil policier égyptien. Alors qu’un autre e-mail intitulé « Frères musulmans à Davos et au-delà » a souligné que les « dirigeants occidentaux ont accepté les Frères musulmans comme la nouvelle force dominante en Egypte et ont commencé à ajuster leurs politiques étrangère et économique en conformité avec cette nouvelle tendance ».

Quelles relations entre les Frères musulmans, le Qatar et les Américains ?

Ont été également révélées la forte implication du Qatar et celle de son bras médiatique pour déstabiliser l’Egypte à cette époque critique de son histoire. Selon un document daté du 14 septembre 2012, Hillary Clinton a planifié de créer une chaîne médiatique et un quotidien avec la coopération du Qatar, de sorte que Doha finance cette nouvelle chaîne avec un capital initial de 100 millions de dollars, et que sa gestion soit assurée par deux figures fréristes: Khaïrat Al-Chater et Ahmad Mansour. Le soutien financier avait pris aussi plusieurs formes. Un autre courriel parle d’un accord entre l’Administration Obama et le Qatar pour lancer un fonds d’investissement égypto-américain, visant à apporter un soutien financier aux mouvements de l’islam politique dans la région arabe. Ce courriel dévoile que ce fonds d’investissement avait été lancé avec un montant initial estimé à 60 millions de dollars alloué par l’Administration Obama, 300 millions de dollars supplémentaires d’aide devaient être transférés par le Congrès américain sur 5 ans, en plus des 2 milliards de dollars promis par le Qatar à l’Egypte. Jim Harmon, un banquier américain proche de l’ex-président américain, Barack Obama, devait diriger le fonds.

Les réunions secrètes de la confrérie, que s’est-il passé ?

Comme preuve de l’existence de canaux de communication ouverts entre Washington et des membres des Frères musulmans, le contenu des rencontres secrètes de la confrérie tenue par le guide suprême, Mohamad Badie, ou Mohamad Morsi, a été divulgué dans les courriels de Clinton. Ce type de messages est classé sous la rubrique « secrets », et souvent envoyés par quelqu’un nommé « Sid ». Il s’agit d’une personne qui avait un accès aux plus hauts dirigeants de la confrérie. Ainsi, un courriel daté du 14 janvier 2012 dévoile que Badie avait l’intention de former une alliance parlementaire avec le parti Al-Nour pour que les islamistes contrôlent entre 65 et 70% des sièges, afin de former un gouvernement intérimaire. Avant cette date, plus précisément le 16 décembre 2011, Sid a également envoyé un e-mail, révélant que le guide suprême Mohamad Badie et ses conseillers ont discuté des plans visant à créer « une nouvelle Egypte de caractère islamique, à l’instar du modèle turc ». Mais ce qui est dangereux dans ce document, c’est que le plan a révélé l’intention de la confrérie de pratiquer ce modèle turc sur les forces armées. Et ce, en remplaçant les chefs d’armée actuels par « une nouvelle génération de jeunes dirigeants qui soutiennent le projet islamique ». La fuite des sessions secrètes à Washington s’étendait aux rencontres de Morsi, après avoir assumé la présidence, avec le Conseil suprême des forces armées et le ministre de la Défense. Un courriel datant du 14 août 2012, envoyé par « une source secrète », montre que « Morsi reste attaché à l’idée de transformer l’Egypte en un Etat islamique, et qu’il considère le service des renseignements généraux comme une menace potentielle pour son régime » .

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