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Le textile égyptien à nouveau sur les rails

Amani Gamal El Din, Mercredi, 09 septembre 2020

Le secteur égyptien du textile connaît des transformations majeures avec le lancement de complexes industriels intégraux comme à Al-Robeiki sur l’autoroute Le Caire-Ismaïliya. Un plan ambitieux qui vise à renforcer la valeur ajoutée du produit égyptien et à booster les exportations. Enquête.

Le textile égyptien à nouveau sur les rails
Le président Abdel-Fattah Al-Sissi lors de l’inauguration du complexe industriel Al-Robeiki, en juillet dernier.

L’Egypte peut-elle devenir un centre régional de l’industrie textile ? Les récentes évolutions sur le marché du textile et les réformes engagées par le gouvernement pour ressusciter ce secteur le laissent croire. Il s’agit cependant d’un grand vrai défi vu la complexité du secteur. Deux évolutions majeures ont eu lieu sur la carte du textile en Egypte. La première est le plan de réforme lancé en 2017 pour restructurer un secteur public très mal en point, et ce, d’ici 2022. Le plan coûtera en tout 21 milliards de L.E. L’objectif est de moderniser les infrastructures de ce secteur, former la main-d’oeuvre et créer, au moyen de fusions, de grandes entreprises capables de faire face à la concurrence. La deuxième évolution est l’intégration de l’Egypte au sein de la chaîne d’approvisionnement mondiale, grâce notamment à la mise en place de nouveaux complexes (clusters) industriels dédiés au textile. La contribution du secteur du textile au commerce mondial est maigre et ne représentait en 2019 que 0,5 % de ce commerce, selon un rapport de l’Union des industries. Par définition, le cluster industriel est une concentration d’entreprises et d’institutions liées les unes aux autres dans un domaine particulier sur un territoire géographique donné. Les clusters couvrent un ensemble d’industries et visent à améliorer la compétitivité.

La plus récente concrétisation de ces clusters industriels est la ville d’Al-Robeiki pour l’industrie du textile que le président Abdel-Fattah Al-Sissi vient d’inaugurer en juillet dernier. Durant l’inauguration, le général Moustapha Amine, directeur général de l’Organisme des services nationaux, l’institution des forces armées qui supervise le projet, a déclaré que l’industrie du textile et du prêt-à-porter « lutte pour sa survie et pour soutenir le PIB et la balance commerciale ». Cette industrie compte 1,2 million d’employés et représente 37 % du secteur industriel.

Selon le rapport publié en 2013 par la commission économique des Nations-Unis pour l’Afrique, l’Egypte a, depuis quelques années déjà, intégré la chaîne globale d’approvisionnement avec des marques internationales, telles Gap, Guy Laroche, Pierre Cardin et Tommy Hilfiger fabriquées localement sous licence. Mais cela reste insuffisant. Les exportations du secteur étaient estimées à 3,3 milliards de dollars en 2019, soit 15 % seulement des exportations non pétrolières, selon les chiffres de l’Agence centrale pour la mobilisation publique et les statistiques (CAPMAS). L’Etat, qui veut atteindre la barre des 10 milliards de dollars de revenus d’exportation en 2025, entend quadrupler les exportations de textile pour les amener à 12 milliards de dollars. « Si nous voulons faire de l’Egypte un centre régional de l’industrie du textile, nous devons booster autant le secteur public que privé, qui sont les deux revers d’une même médaille. Parallèlement à la réforme du secteur public, il faut assurer l’expansion du secteur privé, l’idée des clusters est l’un des moyens d’y parvenir », affirme Saïd Ahmad, président du Conseil d’exportation du textile.

L’industrie textile a connu des turbulences qui ont commencé dans les années 1990 du siècle dernier. Les raisons de cette dégradation sont nombreuses et se rapportent à un secteur public mal en point, un secteur privé désorganisé et une mauvaise logistique (état délabré des usines et des machines, main-d’oeuvre non qualifiée et sureffectif). Ceci a eu pour résultat le recul de la production. Ajoutons à cela le recul de la superficie cultivée en coton. Celle-ci est passée de 10 millions de qintars dans les années 1980 à 2 millions de qintars en 2018, soit 330 000 feddans. Résultat : beaucoup d’entreprises ont fait faillite. Les pertes sont estimées à 33 milliards de L.E. et les dettes sont estimées à 16 milliards de dollars.

Les politiques publiques ont alors accordé une priorité aux investissements dans ce secteur, qu’il s’agisse d’investissements publics ou étrangers directs, comme ceux de la Chine qui a récemment diversifié son portefeuille d’investissement à l’attention de l’Egypte (voir encadré). Selon Mohamad Chadi, chercheur et économiste auprès du Centre égyptien des études stratégiques, ces deux types d’investissement donneront au textile égyptien une valeur manufacturière ajoutée à travers une chaîne d’approvisionnement intégrale, verticale et horizontale, la première dans la région. « Verticalement, l’Egypte possède tous les maillons de la chaîne de valeur et de production : coton, usines de filature et de prêt-à-porter. Horizontalement, l’Egypte a accès à l’échange d’expertise avec l’étranger. L’introduction de la technologie et le progrès qui sera réalisé dans tous les stades de l’industrie rendront les produits égyptiens plus compétitifs », explique-t-il.

Le premier cluster made in Egypt

Le complexe d’Al-Robeiki, un investissement à 100 % égyptien, renforce l’orientation de l’Etat qui consiste à promouvoir la production locale. Le complexe est situé sur l’autoroute désertique Le Caire-Ismaïliya dans la ville de Badr. Sa superficie est de 430 feddans. Déclaré zone franche, le projet dépend de la compagnie nationale du développement industriel. Il comprend 7 usines : une de filature fine d’une capacité de production de 4,5 tonnes quotidiennes, une autre de filature épaisse, d’une capacité de production de 9 tonnes quotidiennes, 2 usines de tissage d’une capacité de production de 60 000 mètres quotidiens et une usine de tricot d’une capacité de 10 tonnes quotidiennes. Il y a également deux usines de teinture, d’une capacité de production de 40 000 pièces de tissus et 10 tonnes de tricot par jour, selon un communiqué de la Compagnie nationale égyptienne de développement industriel. La deuxième phase du même projet, censée être finalisée en avril 2021, regroupera plusieurs usines de production de prêt à l’emploi.

Il s’agit donc d’un système intégral vertical et horizontal doté de la technologie la plus sophistiquée et incluant tous les maillons de la chaîne d’approvisionnement, à part le prêt à l’emploi (vêtements et autres produits textile, tels les housses, les draps, nappes, etc.) qui sera intégré au cours de la deuxième phase du projet. Il est possible de faire travailler chaque maillon à part ou de les faire travailler tous de manière concertée. « Les usines sont liées les unes aux autres par un système numérique sophistiqué appelé Enterprise Resource Planning (ERP). C’est un progiciel qui permet de gérer l’ensemble du processus de production d’une entreprise en incluant les différentes fonctions », explique le général Moustapha Amine. « Nous voulons que l’industrie égyptienne du textile réalise une valeur ajoutée. Nous ne nous contenterons plus d'exporter du coton brut. Notre objectif est d’accroître les exportations, nous devons à tout prix investir davantage dans les différents maillons de la chaîne d’approvisionnement. Pour cela, il faut mettre en place un système de coopération avec les différentes institutions de l’Etat et le secteur public, représenté par la compagnie holding de la filature et du tissage. La technologie moderne est primordiale à tous les stades pour développer ce secteur », affirme, de son côté, le général Kamel Hilal, PDG de la Compagnie égyptienne du développement industriel.

L’un des attraits du complexe d’Al-Robeiki pour les investisseurs étrangers est qu’il règle l’une des étapes de production qui était toujours un point faible dans la chaîne de valeur du textile, à savoir la production du coton filé. Importé jusqu’ici de l’étranger, celui-ci haussait la facture de l’Etat et donc le prix du produit final.

L’objectif, explique Mohamad Chadi, est « d’assurer la production du coton filé pour les entreprises nationales et multinationales qui travaillent dans ce secteur en Egypte au lieu de l’importer à des prix énormes ». Ainsi, les factures d’importation qui représentaient un calvaire baisseront et feront baisser aussi les coûts de production dans les différents maillons de la chaîne d’approvisionnement. « Le résultat sera un produit compétitif qui prend en considération le rapport qualité/prix. Mais ceci doit se faire sous le signe d’un partenariat avec le secteur public », ajoute Chadi.

En parallèle, le plan de restructuration du secteur public représenté par la compagnie holding de filature et de tissage, qui dépend du secteur des affaires, vise à accroître sa production de 350 % et à devenir, avec la Compagnie publique de filature de Mahalla Al-Kobra, les principaux fournisseurs de coton transformé en fils. D’autant que la compagnie de Mahalla met actuellement en place la plus grande usine de filature au monde comprenant 182 machines spécialisées, d’une capacité de production de 30 tonnes de filage par jour et d’un coût de 780 millions de L.E. Saïd Ahmad, qui est un vétéran de l’industrie avec une expérience de plus de 40 ans, assure que les coûts de cette industrie sont encore très élevés comparés aux autres pays. « Si nous parvenons à réduire la facture d’importation, alors nous serons certes sur la bonne voie », affirme Ahmad. Et de conclure : « Il faut savoir qu’une seule règle régit le commerce mondial, à savoir plus le coût est bas, plus la compétitivité est grande. Celui qui détient la plus grande compétitivité contrôle le marché ».

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