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Réfugiés : Quelle protection contre le coronavirus ?

Amira Doss, Lundi, 04 mai 2020

Organisé par la fondation Kemet Boutros-Ghali pour la paix et le savoir et modéré par sa directrice exécutive Mouchira Khattab, le webinaire intitulé « Répercussions du Covid-19 sur les personnes en mouvement » s’est penché sur la situation des réfugiés, des déplacés et des demandeurs d'asile. L’objectif étant de veiller à ce que ces personnes ne soient pas des laissés-pour-compte.

Réfugiés

Le monde a connu ces dernières années des records historiques de déplacements. Plus de 70,8 millions de personnes ont été forcées de fuir leur foyer. On compte parmi elles presque 25,9 millions de réfugiés. La région arabe compte la plupart de ces réfugiés avec plus de 6 millions de réfugiés syriens et 5,6 millions de réfugiés palestiniens relevant de la responsabilité du bureau de secours des Nations-Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) ainsi que plus de 3 mil­lions de réfugiés iraqiens et 2,5 mil­lions de Yéménites. En Afrique, la situation est elle aussi alarmante : plus de 4,5 millions de réfugiés en République Démocratique du Congo (RDC), 2,6 millions en Ethiopie, plus de 2 millions en Somalie et plus de 2,6 millions au Soudan. Le deu­xième groupe de déplacés est consti­tué des demandeurs d’asile et compte environ 3,5 millions de personnes dans le monde. Le troisième groupe concerne les individus déplacés au sein de leur propre pays, et compte 41,3 millions de personnes.

Un niveau sans précédent de mobi­lité humaine, des chiffres en hausse qui révèlent l’ampleur du phéno­mène et le nombre croissant de per­sonnes ayant besoin d’être protégées à cause des guerres, des conflits et des persécutions. Cette hausse glo­bale continue de dépasser le rythme actuel des solutions qui leur sont proposées. Aujourd’hui, la propaga­tion du Covid-19 vient aggraver la situation et le sort de ces personnes déjà marginalisées. Alors que les pays luttent pour protéger leur popu­lation et leur situation économique, les principes fondamentaux en termes de droits des réfugiés et de droits humains sont menacés. Dans les camps des réfugiés, tous les ingrédients sont réunis pour une pro­pagation rapide de la pandémie. « Ces camps sont propices à la transmission du virus, la promiscuité accroît les risques de contagion. Ces espaces surpeuplés aux ressources médicales limitées, aux conditions d’hygiène modestes et populations vulnérables. L’important c’est de veiller à ce que réfugiés et migrants ne soient pas laissés de côté, mais au contraire bénéficient des mêmes droits des autres citoyens de la nation. D’où vient la nécessité de les inclure dans les systèmes de soins publics », révèle Maha Al-Rabbat, envoyée spéciale de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) pour le Covid-19 dans la région de l’Est de la Méditerranée.

L’heure à la solidarité

Une situation alarmante qui nécessite une réponse internationale à la crise et qui doit aussi prendre en compte et cibler toutes les popula­tions. « Nous avons lancé un appel à la communauté internationale pour un cessez-le-feu mondial dès l’apparition des premiers cas du virus dans le monde. Nous étions conscients que la poursuite des conflits armés dans notre région allait avoir un impact direct sur les réfugiés et toutes ces personnes vulnérables et en quête de sécurité et d’abri. Nous avons également adressé un appel aux Etats membres du Conseil de sécurité pour interve­nir et mettre fin à toutes sortes de conflits armés, surtout dans les régions frontalières où des milliers de déplacés risquent d’être jetés sur les routes de l’exode. Nous avons mis l’accent sur la nécessité d’évi­ter les retours forcés fondés sur la peur de ces personnes. Conscients des énormes défis posés par cette crise sanitaire, nous avons appelé les Etats à continuer à poursuivre leurs efforts pour secourir réfugiés et migrants », explique Ahmad Aboul-Gheit, secrétaire général de la Ligue arabe.

Convaincu que la seule arme est celle de la coopération internatio­nale, le secrétaire général de la Ligue arabe a également tenté de mobiliser les pays du Golfe à multiplier leurs donations aux agences internatio­nales de soutien des réfugiés, tels l’UNRWA et le HCR, Agence des Nations-Unies pour les réfugiés. Et ce, pour combler le fossé budgétaire dû au renoncement des Etats-Unis à payer leur part annuelle à ces organi­sations humanitaires.

Une solidarité internationale et un appel à la mobilisation, tels sont les mots-clés. Or, pour Amr Moussa, ancien secrétaire général de la Ligue arabe, la crise actuelle a mis la com­munauté internationale face à une épreuve difficile: « Cette pandémie nous a prouvé à quel point les sys­tèmes de santé sont fragiles, que ce soit dans les pays développés ou en développement. Tout le système international est à reconsidérer y compris le mythe des grandes puis­sances. Cette pandémie a vaincu des régimes entiers. Nos rapports avec la planète, nos comportements, nos activités économiques, nos modes de circulation et de consommation, rien ne sera comme avant dans le nouveau monde d’après le corona­virus. Mais le plus important, c’est de saisir cette opportunité pour s’interroger sur les origines de la situation mondiale actuelle, d’étu­dier les raisons économiques et sociales, dont la pauvreté qui a poussé ces millions de personnes à quitter leurs terres d’origine. Nous faisons partie de la même et la seule humanité et le coronavirus qui ne connaît ni race ni frontière nous le confirme chaque jour ».

Cibler toutes les populations, trai­ter les réfugiés, les migrants et les demandeurs d’asile de la même manière que les autres citoyens, tel est le message principal adressé par les organisations humanitaires aux gouvernements. Or, la réalité demeure inquiétante. Les principes essentiels de protection des réfugiés sont actuellement mis à l’épreuve. Les lois sur les réfugiés mises en oeuvre depuis longtemps ne sont pas toujours respectées. D’après le HCR, 167 pays ont déjà totalement ou par­tiellement fermé leurs frontières, pour éliminer la propagation du virus. Au moins 57 Etats ne font aucune exception pour les deman­deurs d’asile. « Même si les gouver­nements adoptent des mesures strictes pour protéger la santé publique y compris aux frontières, il faut gérer les restrictions de manière à respecter les normes internatio­nales dans le domaine des droits humains et de la protection des réfu­giés. L’Egypte a une politique claire par rapport à ce dossier: pas de camps de réfugiés, pas de rapatrie­ment. Garantir aux réfugiés sécurité et accès aux services de soins, les inclure dans tous les services de santé et les campagnes d’informa­tion concernant le virus. Aucun retard ni hésitation ne devraient influencer nos actes lorsqu’il s’agit de sauver des vies humaines et lorsque des personnes en quête désespérée de sécurité arrivent à nos frontières, nous ne devons jamais leur tourner le dos, ni les renvoyer vers le danger qu’ils ont fui », affirme Sameh Choukri, ministre égyptien des Affaires étrangères.

Attention particulière à l’Afrique subsaharienne et au Moyen-Orient

Or, dans certains pays de la région, la situation des réfugiés est déplo­rable. En Syrie, à Idleb, plus d’un million de personnes ont été dépla­cées dans des camps où il n’existe aucun système de dépistage, ni d’unités de soins intensifs. Il en va de même au Yémen où la majorité des hôpitaux ont été détruits. L’Afrique subsaharienne qui abrite plus d’un quart des réfugiés du monde, affiche le pourcentage le plus faible de médecins par habitant (0,2 médecin pour 1000 habitants). Au Soudan du Sud, 2,2 millions de personnes ont été déplacées à l’inté­rieur du pays. Ce qui rend la mission des organisations humanitaires assez difficile. « Nous sommes face à un grand défi. Nous oeuvrons dans des conditions très délicates pour conti­nuer à offrir éducation, services de soins, assistance financière aux per­sonnes vulnérables. Notre organisa­tion connaît une crise financière sans précédente, nous avons lancé en 2019 l’appel (un élan de généro­sité) à nos partenaires. Nous sommes toujours à la recherche de solutions pour améliorer nos ressources. Nous avons été victimes d’une vague de critiques qui tente de convaincre les donateurs à ne plus investir dans notre agence, alors que c’est ce que vous pouvez faire de mieux pour l’humanité », a expliqué Philippe Lazzarini, commissaire général de l’UNRWA, en donnant l’exemple de ce qui se passe au Liban, où l’UN­RWA a consacré ses sièges en centre de quarantaine pour l’accueil des malades du Covid-19.

Raouf Mazou, assistant du haut-commissaire du HCR pour les opéra­tions, explique de son côté que le premier souci était de savoir com­ment les Etats allaient réagir envers les réfugiés après la propagation du virus. « Notre préoccupation était d’observer si les gouvernements allaient adopter des mesures d’in­clusion ou d’exclusion de ces per­sonnes qui vivent dans des condi­tions de surpopulation, d’évaluer les actions à mener, les risques de pro­pagation dans les camps, garantir leur accès aux services de soins, lever tous les obstacles, barrières et contraintes juridiques, éviter toute stigmatisation, veiller à ce qu’ils n’aient peur ni de se faire soigner, ni de révéler leurs symptômes, et s’as­surer qu’ils bénéficient des articles de protection destinés au reste de la population. Surtout que la plupart de ces personnes ne peuvent pas res­pecter les consignes sanitaires appli­quées par la population comme la distanciation sociale ».

Traiter les réfugiés

comme les autres

Aujourd’hui, le message crucial de cet événement est que ces personnes qui ont fui le conflit et la violence ne devraient pas se voir refuser l’accès à la protection au prétexte de la lutte contre le virus. Garantir la santé publique et protéger les réfugiés n’est pas un dilemme. La protection de la santé publique et la protection des réfugiés ne s’excluent pas mutuellement. « Le Covid-19 est un ennemi commun à la communauté internationale toute entière. Ce qui rend primordial le principe de par­tage. Il est temps de s’entraider et d’exprimer sa solidarité. La Chine reconnaît le soutien éprouvé par l’Egypte lors de la crise, c’est notre rôle aujourd’hui de lui exprimer nos remerciements et notre gratitude. Notre savoir et nos moyens sont à la disposition de tout le monde. Nous avons effectué des contacts avec plus de 100 chefs d’Etat et signé plus de 140 accords de coopération pour faciliter l’accès d’équipements ou de traitements. Nous continuerons à soutenir financièrement toutes les organisations humanitaires dépen­dant des Nations-Unies et qui oeuvrent dans l’aide des réfugiés », a affirmé Liao Liqiang, ambassadeur de la Chine en Egypte.

La gestion de ces déplacements massifs de la part des réfugiés et des migrants est une tâche à la fois morale et humanitaire. Ces per­sonnes viennent de pays d’origine ou de transit relativement fragiles avec des infrastructures de santé limitées, les mesures de quarantaine ne sont souvent pas appliquées. La capacité d’accueil de ces nouveaux arrivants est sous pression. Ce phénomène mondial qui prend de plus en plus de l’ampleur exige un cadre global d’action pour trouver des solutions durables et à long terme, avec comme mot d’ordre humanité et compassion.

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