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Dr Alaa Hachich : Ce n’est pas uniquement un problème de santé, il y a un aspect social, économique et psychologique

Amira Doss, Mardi, 24 mars 2020

Dr Alaa Hachich, chef du département des maladies épidémiques au bureau de l’OMS en Egypte, explique à Al-Ahram Hebdo les scénarios prévus pour faire face à la pandémie. Il insiste sur la nécessité du confinement et prévient que la catastrophe commence lorsqu’on découvre des cas dont on ne connaît pas l’origine de la contamination.

Dr Alaa Hachich

Al-Ahram Hebdo : Comment l’OMS a-t-elle été mobilisée pour faire face au virus ?

Dr Alaa Hachich: En tant qu’OMS, nous avons pour charge de tracer les systèmes de santé dans le monde entier. Dès l’apparition du tout premier cas de Covid-19 en Chine, et selon le règlement de l’OMS, notre mission a été d’agir d’urgence pour protéger le globe de cette pandémie pathogène, qui fait partie des pathogènes émergents ou nouveaux virus. Nous tenons des réunions régulières parmi le personnel de l’organisation, mais aussi avec des chercheurs de renommée, des savants et des instituts de recherche partout dans le monde. Le but est de coordonner les efforts et de tenter de trouver un vaccin ou un traitement pour ce nouveau virus.

La dernière réunion tenue au siège de l’OMS à Genève a discuté des dernières évolutions concernant la méthodologie que chercheurs et instituts sont en train de suivre. Nous tenons aussi de les mettre tous en contact avec les gouvernements concernés. Nous offrons une assistance technique aux pays membres et aux ministères de la Santé. L’OMS dispose de l’information, du savoir-faire, notre rôle est de porter de l’aide aux gouvernements, d’aider les pays à élaborer des plans de préparation et d’intervention.

— Il existe actuellement des déclarations contradictoires à l’égard de la découverte de vaccin ou de traitement pour ce virus. Ou en sommes-nous précisément ?

— Notre priorité est de contenir le virus, de limiter sa propagation, de suivre les personnes atteintes, les chaînes de transmission. Tels sont nos premiers objectifs en ce moment délicat. Notre deuxième pilier est de soutenir toutes sortes de recherches qui pourraient aboutir à la mise au point d’un traitement ou d’un vaccin. Mais le chemin de la recherche est souvent long et complexe. Nous parlons là du Covid-19, qui est le 7e fils de la famille coronavirus. Jusqu’à ce jour, nous n’avons pas réussi à trouver un traitement au SRAS 2002 et 2003, ni de vaccin non plus. Cela a été le cas du MERS apparu en Arabie saoudite en 2017. On n’a donc pas le luxe d’attendre la découverte d’un vaccin ou d’un traitement vu le rythme de la contamination qui s’accélère partout dans le globe. Ce nouveau coronavirus est une souche particulière jamais encore identifiée chez l’homme.

— En ce qui concerne l’Egypte, est-ce que le nombre de tests valables permettra de détecter tous les cas suspects ou à haut risque ?

— Il faut d’abord définir qui sont les cas à haut risque. Nous avons décidé, en coordination avec le ministère de la Santé, que les premières catégories qui doivent avoir accès au test sont ceux qui ont été en contact direct avec des personnes atteintes du virus. Les symptômes du nouveau coronavirus ressemblent beaucoup à ceux de la grippe saisonnière. On ne peut pas faire un test à chaque personne qui souffre de toux ou de fièvre. Aucun pays n’a les moyens de rendre le test possible à tous ses citoyens. En Egypte, nous avons tout d’abord l’infrastructure nécessaire avec des laboratoires équipés au plus haut niveau. Les machines de détection PCR sont aujourd’hui disponibles dans toutes les villes d’Egypte, et ce, depuis le lancement de la campagne de lutte contre le virus C en 2018. Ces machines sont capables de détecter toutes sortes de virus. Nous avons également des professionnels de santé qui travaillent dans ces laboratoires et qui savent comment utiliser cette technique. Et l’Egypte est le premier pays dans la région à avoir reçu des kits de tests de la part de l’OMS pour le dépistage. Ce kit comprend tous les liquides permettant de dépister le coronavirus. L’Egypte dispose donc d’un système de dépistage important. La ministre de la Santé a également reçu un don de la Chine, de 1 000 kits, dont chacun peut effectuer un minimum de 1000 tests. Le ministère a aussi acheté un nombre suffisant de kits de tests il y a 4 semaines.

— Quels seront les scénarios prévus si le nombre de cas atteints en Egypte continue de s’accélérer ?

— En tant que spécialiste en épidémies, je trouve que c’est un bon signe. Car cela signifie que je suis encore en contrôle de la situation. Il faut réfléchir d’une façon pragmatique. Tant que le nombre augmente et que je suis capable de suivre les chaînes de transmission, nous sommes dans la zone sûre. Cette situation est bien meilleure à celle d’une transmission en catimini du virus, le laissant circuler en silence parmi nous. C’est ce que nous appelons « index case », c’est une échelle logarithmique, cela signifie que nous sommes capables de détecter la liste de contagion qu’a engendrée chaque cas. La catastrophe commence lorsqu’on découvre des cas nouveaux dont on ne connaît pas l’origine de la contamination. Car cela signifie qu’il y a des centaines de cas non dévoilées. Nous ne pouvons pas combattre un virus si on ne sait pas où il se trouve. J’ai besoin que tous les cas soient sous mes yeux, sinon, ils seront en communauté, en train de contaminer d’autres. Une surveillance robuste pour trouver, isoler et traiter chaque cas. On cherche à tout prix à empêcher et à freiner la formation de nouveaux foyers de contagion, briser les chaînes de transmission. Le confinement permet une contagion plus lente et évite un engorgement des hôpitaux. Ce n’est pas le virus qui circule, ce sont nous qui le faisons circuler.

— Si les nombres continuent de se multiplier, est-ce que nos hôpitaux sont capables d’accueillir toutes les personnes atteintes par le virus ?

— L’Egypte dispose de 113 hôpitaux universitaires, 47 hôpitaux spécialisés en maladies fiévreuses et 4 hôpitaux d’isolement, ce sont les hôpitaux de quarantaine, un nombre susceptible d’augmenter dans les jours qui viennent. Nous allons utiliser les hôpitaux dont les bâtiments ont été construits, mais qui n’avaient pas encore commencé à accueillir des patients. Les cas qui sont testés positifs sont directement transférés aux hôpitaux d’isolement. Quant à ceux qui ont des symptômes et qui soupçonnent qu’ils sont atteints, ils sont accueillis par les hôpitaux spécialisés, en attendant le résultat de leur test. Dans une certaine phase, il sera probablement nécessaire d’isoler les patients à domicile, surtout ceux dont l’état s’améliore rapidement. Et ce, pour laisser leur place à d’autres qui auront plus besoin de suivi médical ou nécessitant une assistance respiratoire. Nous appelons les gens à l’auto-isolement, l’auto-quarantaine. Notre but est de prévenir la saturation des hôpitaux ou des soins intensifs en renforçant l’hygiène préventive. Les systèmes de santé seront mis à rude épreuve. Les professionnels de santé aussi, puisqu’ils sont les plus exposés au virus. Aussi, il a été décidé de reporter toute intervention chirurgicale non urgente.

— Est-il envisageable de créer des hôpitaux provisoires si la situation s’aggrave ?

— Le plan change chaque minute en fonction de l’évolution des chiffres. Nous tenons des réunions au rythme de l’accélération. C’est une pandémie mondiale. J’ai été parmi l’équipe de secours de l’OMS en Afrique lorsque le virus Ebola a frappé certaines régions en Afrique en 2014. Il n’y avait ni électricité, ni Internet. Cette expérience m’a appris qu’on doit travailler sous toutes sortes de conditions et avec les moyens disponibles. L’important est de sauver des vies. Nous abordons cette menace avec le niveau d’engagement nécessaire. Aujourd’hui, il faut se préparer à tous les scénarios. Il faut préparer le personnel médical et les établissements de santé. Nous pouvons, en cas de besoin, transformer en hôpitaux provisoires tout établissement, y compris écoles, clubs, salles de sport, mosquées, églises. Nous pouvons même installer des tentes dans les rues pour accueillir les patients. Nous espérons tous ne pas arriver à ce stade-là. Mais nous sommes préparés à tous les scénarios. Un programme de formation est actuellement en cours à tout le personnel de santé dans tous les établissements. La gestion de la crise est actuellement activée au Conseil des ministres et au sein de tous les ministères concernés, ainsi que l’Organisme égyptien pharmaceutique. Chaque scénario est basé sur des critères précis, à savoir les chiffres des patients, l’apparition de cas dont la source de contamination est non détectée (transmission communautaire). A un certain moment, le pays sera obligé d’appliquer un « lock down » (un isolement total). L’Etat n’a pas eu recours à cette stratégie pour ne pas semer la panique. Certaines procédures peuvent engendrer une instabilité sociale et créer une certaine stigmatisation à l’égard des personnes infectées. Certains cas, par crainte de cette stigmatisation, peuvent ne pas oser se rendre dans les hôpitaux. Cela a été le cas des habitants du village de Belqas au Delta, suite à l’isolement imposé à 300 familles.

— Quelles sont les mesures à prendre aujourd’hui pour éviter ce scénario de chaos ?

— Nous sommes en course contre la montre. Même à l’échelle mondiale. On pensait qu’il fallait au moins 3 mois avant de comptabiliser les 100000 cas de contamination. Mais cela n’a pris que 12 jours. Il est difficile de prédire l’évolution de la pandémie dans les prochains jours, compte tenu des mesures sévères prises par le pays. L’Etat est en train de prendre chaque jour une décision nouvelle visant à limiter le contact et imposer le confinement.

Le Covid-19 n’est pas uniquement un problème de santé. Il a un aspect social, économique et psychologique. Les médias jouent un rôle important. En ce moment, ils doivent diffuser un contenu qui puisse attirer le public et le persuader de rester à domicile. Ils doivent diversifier leurs programmes, afin de garder toutes les catégories d’âge devant l’écran. Nous appelons les gens à respecter le principe de la distanciation sociale. Nous conseillons aux gens ordinaires à ne pas utiliser les masques, car ils deviennent parfois un outil de contamination.

— Certains craignent que les chiffres officiels de personnes atteintes ne soient révélateurs et qu’ils ne soient dus à une stratégie de dépistage limitée ...

— La théorie des nombres qui dépassent de loin les chiffres annoncés est non fondée, car il existe une règle scientifique qui dit que le taux de mortalité parmi les personnes atteintes du virus est de 3%. Ce sont les cas qui nécessitent d’être accueillis en soins intensifs. Autre réalité: 20% des cas doivent être hospitalisés. Si ces théories sont vraies, nos hôpitaux et nos unités de soins intensifs auraient dû, ces derniers jours, être entassés, ce qui n’a pas été le cas. Cela n’exclut pas le fait que parmi nous, des cas porteurs du virus peuvent exister, mais avec des symptômes légers et qui n’ont donc pas eu besoin d’être hospitalisés. Quant aux 3 % qui nécessitent des soins intensifs, ce sont ce qu’on appelle « case fatality rate » ou le taux de fatalité qui concerne les personnes âgées ou celles atteintes de maladies chroniques. Dans certains pays, le chiffre de mortalité a dépassé les 3%, car le taux de contamination s’est vite accéléré à cause des mesures tardives prises par les gouvernements de ces pays.

— Est-ce qu’il existe un modèle ou une solution exemplaire qui puisse être appliqué dans les pays frappés par le virus ?

— Les réactions de chaque pays face au virus ont varié. Certains gouvernements ont tardé à prendre les mesures nécessaires pour contenir le virus et limiter sa propagation. Il n’existe pas de modèle unique, on ne peut pas comparer les situations dans les pays. Aucune solution ne conviendra à tout le monde. Il faut penser à la particularité de chaque pays et au contexte national. Par exemple, dans un pays comme l’Egypte, il a fallu être très subtile en prenant la décision de la fermeture des lieux de culte. Il faut concevoir le plan de lutte contre le virus, en l’adaptant aux traditions et moeurs de chaque pays. Le peuple égyptien est sociable de nature, il est difficile de l’obliger de rester à domicile. C’est une nouvelle situation. Nous sommes tous en train d’apprendre. Nous tentons de trouver un juste équilibre entre la protection de la santé, la perturbation socioéconomique et le respect des droits de l’homme. Tous les pays ont des leçons à partager. Il n’existe pas d’approche unique. Chaque pays est appelé à adopter une approche adaptée à sa situation, avec le confinement comme pilier central .

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