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Iran : Le malaise

Ola Hamdi, Mardi, 21 janvier 2020

Crash du Boeing ukrainien, manifestations anti-régime, bras de fer avec l’Occident, tensions au sommet de l’Etat : rien ne va plus en Iran où le face-à-face avec les Etats-Unis a laissé place à une large confusion interne. Dossier.

Iran : Le malaise
Manifestations à Téhéran le 14 janvier.

Deux semaines et deux scènes contradictoires. Le 6 janvier, une marée humaine envahit les rues iraniennes pour rendre hommage au général iranien Qassem Soleimani, le chef de la force Al-Qods des Gardiens de la Révolution, tué par une frappe américaine en Iraq. Une semaine après, le 14 janvier, des manifestations éclatent dans plusieurs villes iraniennes, après la reconnaissance de Téhéran d’avoir abattu par erreur un avion de ligne ukrainien dans le sillage de sa riposte militaire contre des cibles américaines. Les protestations orchestrées principalement par des étudiants dénoncent l’incompétence du gouvernement et sa tentative initiale de démentir toute responsabilité du crash du Boeing 737 ukrainien qui a fait 176 morts, dont de nombreux Iraniens. Comme signe de défiance envers le régime, une vidéo circule sur les réseaux sociaux, montrant des manifestants arrachant le portrait de Qassem Soleimani et d’autres réclamant le départ du guide suprême.

Autre événement marquant. L’ayatollah Ali Khamenei a présidé, le 17 janvier, le prêche du vendredi dans la grande mosquée de Mossalla à Téhéran pour la première fois depuis 2012, lors de la célébration des 33 ans de la Révolution islamique. « Les deux semaines qui viennent de s’écouler ont été marquées par des événements amers ou moins amers. Le drame de l’avion abattu près de Téhéran ne doit pas faire oublier le sacrifice du général Soleimani », déclare alors la plus haute autorité religieuse et politique de l’Iran.

Selon Mohammed Mohsen Abo El-Nour, président du Forum arabe pour l’analyse des politiques iraniennes au Caire, c’est la onzième fois que Khamenei préside la prière du vendredi depuis son élection comme guide suprême de la Révolution islamique en 1989. « Khamenei ne monte sur la chaire que dans des situations de crise. Et ce genre de discours constitue toujours une plateforme pour envoyer simultanément ses messages à l’intérieur et à l’extérieur de l’Iran », dit Abo El-Nour, avant d’ajouter que « ce prêche marque une jonction entre deux phases : l’avant et l’après-assassinat de Qassem Soleimani ».

Deux semaines riches en rebondissements

En fait, ce discours intervient où la tension monte en Iran, un pays qui a connu les deux semaines les plus mouvementées depuis sa fondation en 1979. Il y a eu d’abord l’assassinat de Soleimani par les Américains à Bagdad, le stratège du plan expansionniste iranien dans la région, ensuite le crash de l’avion ukrainien, puis une semaine de révolte contre le pouvoir et son armée d’élite, un bras de fer avec les Européens, qui ont déclenché le mécanisme du règlement de conflit prévu dans l’accord du nucléaire contre l’Iran (voir page 3), et finalement des manifestations en Iraq contre l’influence iranienne.

Selon Dalal Mahmoud, experte en affaires iraniennes, la crise de crédibilité que traverse la République islamique depuis les manifestations de novembre contre la hausse des prix, violemment réprimées, faisant des centaines de victimes, est approfondie par le crash de l’avion ukrainien. « La reprise des manifestations contre le régime iranien à des fréquences rapprochées montre clairement que le paysage politique iranien est en pleine ébullition et que les manifestations de janvier 2020 ne sont qu’une continuité de celles de novembre 2019 ».

L’Iran a déjà connu des contestations en 2017-2018 en raison de l’augmentation des prix du carburant. Selon Abo El-Nour, « la principale différence entre les manifestations de janvier 2020 et les précédentes c’est que cette fois-ci, les marches contre le régime ont été orchestrées par des étudiants. Ce qui indique qu’il y a un retour à l’esprit du mouvement vert de 2009 qui, en dépit de ses contradictions internes, a réussi à unifier la société iranienne ».

Iran : Le malaise
Cérémonie d'hommage aux victimes du crash de l'avion ukrainien à Toronto au Canada.

En persan, le locataire de la Maison Blanche a multiplié ces derniers jours ses tweets de soutien aux manifestants, et d’avertissements au régime à Téhéran. « Au peuple iranien courageux et qui souffre depuis longtemps : je suis avec vous depuis le début de ma présidence, et mon Administration sera toujours avec vous. Nous regardons de près vos manifestations et sommes inspirés par votre courage », a tweeté Trump. Selon Ahmad Sayed Ahmad, expert en relations internationales au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, « le président américain a tenté de tirer profit de la nouvelle contestation en Iran et d’instrumentaliser la crise du crash de l’avion ukrainien pour accroître la pression sur le régime iranien, et montrer sa confusion devant la communauté internationale et devant son peuple ». Avis partagé par Abo El-Nour, qui pense que « la stratégie américaine vise à transformer les scènes de confrontation avec l’Iran, dans d’autres pays, comme la Syrie et l’Iraq, en une confrontation à l’intérieur en Iran. Et ce, soit à travers le soutien politique ou financier que Washington apporte à l’opposition iranienne en exil, soit à travers la multiplication des plateformes en langue perse dans les médias et les centres de recherches américains pour envoyer des messages à l’intérieur en Iran ».

Différend au sommet ?

Les évolutions récentes sur la scène iranienne ont également dévoilé un différend entre les deux têtes au pouvoir en Iran : Rohani et Khamenei. Le départ précipité de Hassan Rohani, capturé par les caméras, à la fin de la prière du vendredi, sans saluer le guide iranien, semble être un message indirect pour exprimer son opposition aux propos menaçants de Khamenei. Dans son discours au gouvernement, prononcé au lendemain de l’aveu de responsabilité des autorités iraniennes du crash, Rohani, pour calmer la grogne des Iraniens, a appelé à l’« unité nationale », à « la transparence » et à « un changement dans le mode de gouvernement » en Iran. Des propos en contradiction avec la fermeté du discours de vendredi de Khamenei, à travers lequel le guide a dénoncé « des manifestations hostiles » et « non significatives ». Selon Dalal, en réclamant la création d’un tribunal spécial pour poursuivre les responsables du crash, Rohani accentue le fossé entre les deux courants, « puisqu’en Iran, le pouvoir judiciaire se trouve entièrement sous le contrôle du guide suprême et des Gardiens de la Révolution ».

Or, cette crise à multiples facettes intervient à l’approche des législatives du 21 février. Celles-ci s’annoncent d’ores et déjà tendues.

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