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Les contradictions de Trump

Mardi, 15 octobre 2019

Le retrait des troupes américaines de Syrie a déclenché une vague de contestations internes sur la stratégie adoptée par Donald Trump en Syrie. La décision aurait également favorisé le déclenchement de l’offensive turque.

Les contradictions de Trump
Le retrait américain de Syrie a ouvert la voie à l'offensive turque. (Photo : AFP)

Amr Abdel-Ati*

« Il est temps pour les Etats-Unis de sortir de ces guerres ridicules et sans fin », a écrit le président américain sur Twitter le 7 octobre, soit deux jours avant le lancement de l’offensive turque dans le nord de la Syrie. Le retrait américain du Moyen-Orient est une promesse de campagne du président républicain. En décembre 2018, Donald Trump a ordonné, à la surprise générale, un retour « immédiat » des soldats américains, avant de revenir sur sa décision de retrait et préciser, quelques mois plus tard, qu’environ 400 de ces militaires resteront finalement sur le terrain « pour un certain temps ». Alors que la Turquie poursuit son opération, Washington a annoncé le 13 octobre le retrait de la totalité de ses troupes présentes en Syrie.

La décision de Trump de retrait du nord de la Syrie revient à 3 raisons : la première est que le Moyen-Orient ne représente plus une région d’intérêt à l’Oncle Sam. Aujourd’hui, le Moyen-Orient ne monopolise plus les marchés de l’énergie internationaux, et d’autres acteurs globaux sont entrés en jeu. La deuxième est que selon toute vraisemblance, le président américain ne veut plus enliser les forces américaines dans des luttes et des conflits moyen-orientaux. Après les coûts exorbitants et les pertes humaines et matérielles que les Etats-Unis ont assumés dans sa guerre en Afghanistan (2001) et en Iraq (2003), l’opinion publique américaine conteste l’idée des affrontements militaires à l’étranger et surtout dans le Moyen-Orient. D’autant que l’intervention militaire américaine au cours des deux dernières décennies a failli réaliser stabilité et paix. Au cours des trois dernières élections présidentielles, les Américains ont soutenu le candidat qui a promis d’adopter une politique étrangère moins interventionniste dans les affaires des Etats. La troisième est qu’aux yeux des Etats-Unis, la Syrie est moins importante, contrairement aux autres forces régionales comme l’Iran et la Turquie et internationales comme la Russie, pour des raisons historiques et géopolitiques.

Trump pointé du doigt

La décision américaine de ce retrait du nord de la Syrie a suscité une vague de contestation à l’intérieur des milieux politiques américains, et dans les rangs même des Républicains. Le sénateur républicain Lindsey Graham accuse Trump d’avoir « honteusement abandonné les Kurdes ». Le rapport élaboré par le groupe chargé d’étudier le cas de la Syrie, composé de membres des deux partis républicain et démocrate au Congrès, a mis en garde contre les dangers qui pourraient menacer la sécurité des Etats-Unis en Syrie en cas de retrait prématuré des forces américaines. Le rapport a signalé que le retrait immédiat pourrait faire ressusciter Daech, qui détient toujours des moyens et une volonté d’asséner des coups aux Etats-Unis. Raison qui était essentiellement derrière le refus du département d’Etat américain et du ministère d’Etat à la Défense de la déclaration du président américain de retrait en décembre dernier, justifiant cette décision par le fait que l’organisation de Daech avait été anéantie. Une chose qui a amené l’ex-ministre d’Etat à la défense, James Matis, à présenter sa démission.

D’autres analyses américaines avancent que le retrait américain de la Syrie ferait du Moyen-Orient une région explosive. Sachant que ces forces américaines obstruaient les efforts de l’Iran qui consistait à construire un pont terrestre reliant Téhéran à Beyrouth dans l’objectif de resserrer l’étau autour d’Israël.

Cette décision influencerait certes la présence américaine dans d’autres parties du monde. D’autant que, dans les dernières années, l’armée américaine préférerait régler les litiges sur le terrain en coopérant avec des partenaires locaux, au lieu de mobiliser son potentiel armé. Conséquence : les partenaires de Washington partout dans le monde auront une raison pour avoir des suspicions vers un allié qui renonce à eux aussi facilement.

Sur un autre front, la décision de retrait pourrait éventuellement aggraver les relations déjà tendues avec le vieux continent. Et ce, à l’heure où Washington a toujours besoin de ses partenaires européens pour gérer un nombre de défis internationaux (Iran, Chine et Russie).

Un feu vert américain ?

Ajoutons à ce qui a été précité que la décision a ouvert la voie à la récente offensive turque sur les Kurdes dans le nord-est de la Syrie. Pour s’en défendre, après avoir tergiversé, Donald Trump a soudain durci le ton lundi 14 octobre face à la Turquie, l’appelant à mettre fin à son opération militaire en Syrie et annonçant une série de sanctions. Les sanctions américaines visent d’actuels et d’anciens membres du gouvernement turc pour leur implication dans l’offensive militaire dans le nord de la Syrie. Dans un communiqué, le chef de la Maison Blanche a annoncé le relèvement de 50 % des droits de douane américains sur l’acier turc — six mois après leur abaissement — et la fin immédiate des négociations avec la Turquie autour de ce qu’il a qualifié d’accord commercial à hauteur de 100 milliards de dollars.

En même temps, Washington s’est défendu d’avoir donné un feu vert à Ankara pour trois raisons. Une justification qui a été bel et bien refusée par Washington pour trois raisons. La première : cette offensive visait l’allié principal des Etats-Unis dans sa lutte contre Daech. Outre le fait que la plupart de ses membres n’appartenaient pas au parti du Travail kurde considéré par la Turquie comme organisation terroriste. La deuxième : la Turquie voudrait saper les efforts américains dans la défaite de Daech en éloignant les forces démocratiques de la Syrie vers le sud. Quant à la dernière raison, elle se rapporte au comportement turc qui impacterait énormément la carte du conflit syrien. Un chaos stratégique et moral sera créé et viendrait s’ajouter à un conflit qui perdurait voilà 8 ans. Pour ces trois raisons majeures, l’Administration américaine ne soutenait pas l’invasion militaire turque du nord-est de la Syrie à laquelle elle ne procurerait aucune couverture politique ni militaire. L’Administration recourrait, en cas de besoin, à de rudes sanctions économiques contre Ankara.

Actuellement, les grands législateurs des Partis républicain et démocrate au Congrès travaillent sur un projet de loi visant à imposer des sanctions sur le président turc et certains membres de son cabinet et à mettre des contraintes à la vente des armes américaines à l’adresse d’Ankara et à toute coopération militaire. Le projet stipule que ces sanctions ne soient levées qu’après le retrait de l’armée turque des régions qu’elle a occupées, ou bien l’arrêt de tout acte unilatéral de la part d’Ankara pour favoriser un travail avec Washington.

*Spécialiste des affaires américaines à Al-Ahram

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