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Le Rojava, un rêve qui vole en éclat

Ola Hamdi, Mardi, 15 octobre 2019

Après avoir souffert de marginalisation sous le régime Assad père et fils, les Kurdes de Syrie ont créé une zone semi-autonome à la suite du conflit déclenché en 2011. Forte de sa contribution dans la lutte anti-Daech, cette minorité milite pour préserver cette semi-autonomie, aujourd’hui menacée par l’intervention turque.

Le Rojava, un rêve qui vole en éclat
Des combattants de Daech retenus par les Forces Démocratiques Syriennes (FDS), dirigées par les Kurdes, en mai 2019. (Photo : AFP)

« Défendons le Rojava ! ». C’est le cri lancé par l’administration semi-autonome kurde, qui contrôle près de 30 % des territoires du nord de la Syrie. Dans un communiqué, cette administration a appelé à une mobilisation internationale pour empêcher le plan turc d’invasion du Rojava, appellation donnée au Kurdistan syrien. « Les menaces d’une telle invasion de la Turquie constituent un crime contre l’humanité qui ne concernent pas seulement les Kurdes, mais aussi les Arabes, les Turkmènes, les Syriaques, les Arméniens et les yézidis de la région », peut-on lire dans le communiqué. Le 9 octobre, les troupes turques ont franchi la frontière qui sépare la Turquie et le nord-est de la Syrie. Une semaine après, une dizaine de villes kurdes se trouve aujourd’hui sous les mains des Turcs.

« Les Kurdes de la Syrie affrontent une situation difficile après l’offensive turque du nord-est de la Syrie. Après avoir réussi à unifier leur province, en particulier dans l’est de l’Euphrate, sur les territoires libérés de l’emprise de Daech, leurs aspirations à l’autonomie commencent à s’évaporer », explique Ahmad Sayed Ahmad, expert des relations internationales au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram. Selon le spécialiste, les Forces Démocratiques Syriennes (FDS), l’alliance de combattants kurdes et arabes qui a joué un rôle majeur dans la lutte contre le groupe djihadiste Daech, se trouvent également dans une situation militaire difficile. « Les FDS mènent le combat sur deux fronts : d’un côté les forces terrestres du régime turc et de l’autre les restes de Daech. Ce qui pourrait entraîner vite l’épuisement de leur puissance militaire », ajoute Sayed Ahmad.

2011, une occasion manquée ?

Les Kurdes syriens représentent 15 % de la population syrienne, soit environ 3 millions de personnes. La plupart d’entre eux sont des musulmans sunnites, certains sont des yézidis, outre un petit nombre de chrétiens et de Kurdes alaouites.

Avec le lancement des manifestations populaires à la mi-mars 2011, la présence des Kurdes était marquante. A l’été 2012, l’armée syrienne a été contrainte de retirer toutes ses troupes des zones à majorité kurde du nord et du nord-est du pays, afin de consolider ses positions dans les grandes villes, notamment à Alep et dans la capitale Damas, menacées par les groupes armés. Ce retrait était en coordination avec les milices kurdes du Parti de l’union démocratique qui est la version syrienne du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), le pire ennemi de la Turquie, et plusieurs autres partis et forces moins importants.

Cet événement marque un tournant décisif pour la question kurde syrienne : les Kurdes s’organisent rapidement en partant du principe qu’il faut saisir l’occasion pour faire revivre un vieux rêve : celui d’établir leur Etat, reconnu par les Kurdes sous le nom de « le Kurdistan occidental » ou en kurde « le Rojava ». En 2013, le parti de l’Union démocratique kurde, dont l’aile militaire est constituée des unités de protection du peuple kurde, annonce la mise en place d’une administration autonome dans les zones sous contrôle kurde. Ils revitalisent par la suite leur langue et leur patrimoine. Avec la montée en puissance de Daech en Syrie, à l’été 2014, la coalition internationale qui luttait contre Daech recherchait un partenaire local capable de poursuivre les combats au sol à Raqqa, Deir Ez-Zor et Hassaké. « Washington a fourni des armes, des munitions, un entraînement militaire et un soutien logistique aux Kurdes. Les Américains les ont protégés du rival turc qui les guette de l’autre côté de la frontière », explique Rabha Seif Allam, chercheuse au CEPS à Al-Ahram, avant d’ajouter : « La coopération entre les Américains et les Kurdes en Syrie était une source de tension entre Washington et Ankara ».

Depuis octobre 2015, une nouvelle entité militaire a été créée sous le nom les Forces Démocratiques Syriennes (FDS), formées d’une majorité kurde et d’une minorité arabe. Celle-ci devrait représenter l’ensemble des habitants des zones attaquées par Daech en Syrie. Au total, 11 000 combattants kurdes sont tués dans la guerre contre Daech. Le 17 mars 2016, les Kurdes proclament une entité « fédérale démocratique » dans les zones contrôlées et qui comprennent notamment les trois « cantons » kurdes d’Afrin, de Kobané et de la Djézireh. Ils ont de nouveau appelé le régime syrien à « reconnaître » leur autonomie au sein de l’unité syrienne, en soulignant que « leur projet ne vise pas à diviser le pays ». Pourtant, le rêve d’autonomie des Kurdes est menacé après la conquête turque de Raqqa, en octobre 2017, et la perte d’Afrin, en mars 2018.

Mais qu’en est-il pour la Syrie de demain ? « Grâce à leur victoire sur Daech, les Kurdes sont devenus une partie intégrante de la scène politique syrienne », comme l’explique Sayed Ahmad. Toutefois, l’administration semi-autonome kurde a été exclue du Comité constitutionnel par le régime syrien à cause de leurs alliances avec les Américains. Formé de 150 membres, ce comité a été créé le 23 septembre par l’Onu. Son but : amender la Constitution syrienne approuvée en 2012, ou en rédiger une nouvelle. Des personnalités kurdes sont présentes sur les listes de l’opposition et de la société civile. La première rencontre de ce comité doit avoir lieu le 30 octobre à Genève.

Les Kurdes du Rojava réclament une « Constitution qui instaure des zones autonomes et dans laquelle la décentralisation sera inscrite ». Selon Ahmad Sayed Ahmad, le fait d’exclure les Kurdes du dialogue sur la Constitution « entravera la création d’une nouvelle Syrie pouvant accueillir tous les Syriens ».

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