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Soudan : L’épreuve difficile de la transition

Aliaa Al-Korachi et Ola Hamdi, Mardi, 27 août 2019

Le 21 août, un Conseil souverain militaro-civil a été formé pour mettre en oeuvre la transition au Soudan. Celui-ci doit relancer l’économie et rétablir la paix. Les attentes sont énormes.

Soudan : L’épreuve difficile de la transition
(Photo : Reuters)

Sur les quais de la gare de la ville d’Atbara, berceau de la révolte contre le régime d’Al-Béchir, une ambiance festive règne. Avec des centaines de personnes à bord, le « train du Nil » prend la direction de la capitale Khartoum, pour célébrer le début de la transition politique. L’accord de transition, conclu début août, a été finalement signé le 17 août par le Conseil militaire et les leaders de la contestation, mettant fin à près de 8 mois de protestations qui ont mené, le 11 avril, à la chute d’Al-Béchir. Le 17 août, c’était aussi l’ouverture du procès de l’ancien président soudanais. Dans une cage en métal, cet homme, qui a dirigé le Soudan pendant 3 décennies, a comparu devant le tribunal de Khartoum pour « possession de devises étrangères, corruption et trafic d’influence » (voir page 7).

Avec deux jours de retard, les 11 membres du Conseil souverain au Soudan ont prêté serment le 21 août. Celui-ci, composé de 5 militaires et de 6 civils, dont 4 hommes et 2 femmes, devra superviser la période de transition vers un pouvoir civil qui durera 39 mois. Les militaires présideront cette instance pendant les 21 premiers mois, les civils prendront la relève les 18 mois suivants. La période de transition doit s’achever avec la tenue d’élections en 2022. « Il faut d’abord se mettre d’accord sur comment gouverner le Soudan plutôt que de penser à qui le gouvernera ? », a déclaré Abdallah Hamdok (voir portrait, page 6), le premier ministre soudanais, après sa prestation de serment lors d’une conférence de presse tenue au palais républicain et avant de préciser les priorités de son programme.

« Il faut réformer les institutions de l’Etat, établir une paix durable, construire une économie nationale basée sur la production et non sur les dons, et mettre en place une politique étrangère équilibrée », a déclaré Hamdok, qui doit annoncer la composition de son cabinet avant le 28 août. Une première réunion entre le Conseil souverain et le gouvernement est prévue le 1er septembre. Et après ? « Le plus dur commencera alors », commente Malek Awny, directeur de rédaction de la revue Al-Siyassa Al-Dawliya. « Le Soudan fait face à une épreuve difficile. La signature de l’accord de partage des pouvoirs est une étape positive, mais elle ne garantit pas, à elle seule, ni la paix, ni l’indépendance du Soudan », affirme Awny, avant d’ajouter : « Ce n’est que le début d’un processus long et compliqué qui devrait aboutir à une restructuration radicale d’un Etat fragile ».

Selon Ayman Abdel-Wahab, spécialiste des affaires africaines au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, de nombreux défis se dressent devant ces nouvelles institutions soudanaises mixtes. « Civils et militaires devraient parler d’une seule voix pour pouvoir formuler un nouvel agenda national cohérent au Soudan. Le consensus est la clé pour l’aboutissement de ce processus ».

Relancer l’économie

Remettre l’économie sur les rails est le défi numéro 1. Tous les indicateurs économiques sont dans le rouge. Le Soudan souffre à présent d’une inflation galopante, de pénuries généralisées et de chômage massif, alors que les caisses sont vides. « Placer le Soudan sur la carte du développement dans la région sera la lourde tâche du gouvernement de Hamdok. Sous Al-Béchir, le Soudan du Nord comme du Sud étaient incapables de suivre le rythme du développement accéléré dans les pays voisins comme l’Egypte et l’Ethiopie. Même le Rwanda et le Burundi ont réalisé des progrès considérables en matière de réforme économique », explique Awny.

Sortir le Soudan de la liste noire américaine des pays accusés de soutenir le terrorisme est un autre enjeu majeur de la période de transition pour que Khartoum puisse normaliser ses relations économiques avec les pays du monde, explique Amani Al-Taweel, cheffe du département des études africaines au CEPS d’Al-Ahram. En avril dernier, Les Etats-Unis avaient indiqué être prêts à retirer le Soudan de cette liste si « le Conseil de transition, introduisait un changement fondamental au niveau de la gouvernance ». Amani Al-Taweel pense que cette promesse américaine révèle qu’il existe une volonté internationale de soutenir le Soudan dans la phase à venir, d’autant plus que le premier ministre, Hamdok, un ex-économiste de l’Onu, est en mesure d’établir de bonnes relations sur la scène internationale. Une délégation des forces de la liberté et du changement dirigée par Mohammed Naji s’apprête à se rendre aux Etats-Unis pour réclamer la sortie du Soudan de la liste de soutien au terrorisme, car la présence du Soudan sur cette liste constitue un frein à la relance économique.

Autre défi : « Reconstruire les institutions de l’Etat et démanteler certaines entités islamistes enracinées dans la société soudanaise et qui détiennent le contrôle des secteurs-clés de l’économie », précise Abdel-Wahab. Les Frères musulmans observent le silence. Ils n’ont pas dévoilé jusqu’à présent leur intention exacte. Mais il est clair qu’ils parient sur les prochaines élections. « Les forces traditionnelles au Soudan se préparent pour l’après-transition. Mais cela ne les empêche pas de semer, de temps en temps, la zizanie et d’inciter les Soudanais à redescendre dans les rues », ajoute l’expert. Amani Al-Taweel dévoile que, selon des sources soudanaises, les hauts responsables âgés de 50 à 60 ans, notamment ceux qui appartiennent au Front islamique, seront démis de leurs fonctions.

Les zones rebelles

Mais le défi le plus urgent pour le Soudan c’est plutôt de « conserver ce qui reste des territoires du Soudan », explique Awny. Les groupes rebelles qui contrôlent une partie du territoire soudanais au Darfour, dans la région du Nil bleu et au Sud-Kordofan, ont été les grands absents de la cérémonie de signature. Le Front révolutionnaire soudanais, qui réunit ces groupes, a soutenu la contestation, mais a rejeté la déclaration constitutionnelle. Il exige de participer au gouvernement et réclame plus de garanties concernant le processus de paix. Les six premiers mois de la période de transition sont réservés aux négociations avec les mouvements rebelles en exil, qui n’ont pas été explicitement inclus dans l’accord de partage du pouvoir. « Ce qui ouvre la voie à un processus de négociations difficile et compliqué, notamment avec la multiplication des interventions étrangères dans le pays qui poussent vers le scénario d’un Soudan fragmenté », explique Awny.

Briser l’isolement international

La signature de l’accord de partage du pouvoir, saluée par la communauté internationale, rouvre la porte aux relations internationales pour le Soudan, isolé sur la scène internationale sous le régime d’Al-Béchir. La politique étrangère adoptée par Al-Béchir et ses alliances régionales et internationales a coûté très cher aux Soudanais, qui ont été soumis pendant de longues années aux sanctions à cause des face-à-face du régime déchu avec les puissances internationales. Les politiques incohérentes d’Al-Béchir ont également provoqué des désaccords avec beaucoup de pays arabes, en raison de ses relations avec les régimes qatari et turc, ainsi que ses positions envers les Frères musulmans. Abdallah Hamdok a promis, lors de son premier discours, de mettre en place une politique étrangère équilibrée fondée sur les intérêts du Soudan, et de s’ouvrir davantage sur son voisinage arabe.

Vers quelle transition le Soudan se dirige-t-il ? La question est difficile. La durée de la phase transitoire est longue. Mais au final, « c’est la maturité politique des élites soudanaises qui sera déterminante pour mener à bien le processus de transition », conclut Abdel-Wahab.

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