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Ayman Al-Rakb : Les Palestiniens doivent mettre en échec le plan de paix américain

Osman Fekri, Mardi, 30 juillet 2019

Ayman Al-Rakb

Al-Ahram hebdo : Quels sont les résultats de la Conférence de Manama consacrée au volet économique du « deal du siècle » ?

Ayman Al-Rakb : La Conférence de Manama, organisée à l’appel des Etats-Unis, représente la deuxième version de la Conférence de Washington tenue en mars 2018 pour réunir le soutien financier à l’économie palestinienne. A travers la Conférence de Manama, les Etats-Unis ont tenté de trouver le financement du volet économique de leur plan de paix pour le Proche-Orient, appelé par Jared Kushner « l’opportunité du siècle ». L’Autorité palestinienne a affiché son refus ferme de cette conférence ainsi que de ses résultats, ceci en conformité avec sa position qui est de geler les relations avec l’Administration américaine actuelle après la reconnaissance par celle-ci de Jérusalem comme capitale d’Israël. Un refus que l’autorité a exprimé à haute voix via des marches qui ont défilé et des conférences organisées à l’intérieur et à l’extérieur de la Palestine. Nous acceptons tout soutien financier à condition qu’il ne se fasse pas au détriment des droits politiques fondamentaux du peuple palestinien. Nous avons confiance que les Etats qui ont signé présent à la rencontre de Manama, notamment les pays arabes, soutiennent les droits politiques du peuple palestinien. D’ailleurs, Riyad a refusé la déclaration de Kushner, selon laquelle l’initiative arabe est invalide et non applicable sur le terrain. Kushner a proposé une solution médiane entre l’initiative arabe pour la paix et la vision israélienne, sans même faire allusion à l’Etat palestinien. Chose qui a rendu la délégation saoudienne sceptique, d’autant plus que l’Arabie saoudite est le pays initiateur de l’initiative arabe pour la paix, qui avait été adoptée par le sommet arabe de Beyrouth en 2002.

Dans ce même contexte, nous sommes conscients qu’aucune force ne peut faire passer un projet politique contre le gré des Palestiniens qui, aujourd’hui, ont besoin d’un leadership capable de faire face à tous ces défis et d’unifier un peuple plus que jamais divisé.

— Comment voyez-vous l’approche américaine de faire passer l’économie avant la dimension politique de la cause palestinienne ?

— Nous refusons catégoriquement l’insistance américaine à adopter le concept de Netanyahu sur la paix économique et à ignorer tous les droits politiques des Palestiniens. L’Administration Trump n’a rien appris de celles qui l’ont précédée, en croyant que les circonstances actuelles vécues dans la région et en Palestine lui permettraient de mettre sur la table les idées qu’elle estime convenables, surtout après que Trump avait reconnu Jérusalem comme la capitale d’Israël, le 6 décembre 2017. Les Américains appliquent doucement leur plan. Après Jérusalem, il y a eu le gel des aides américaines à l’agence de l’Unrwa, suivi par la reconnaissance de l’annexion du Golan par Israël. Dans les prochains jours, Israël pourrait annexer des territoires de Cisjordanie. Le volet politique est donc appliqué directement sur le terrain de la réalité. Il est vrai que l’aspect économique est vital pour le secteur de Gaza qui est sous embargo, qui vit dans des conditions lamentables et qui n’a pas le luxe de refuser une aide économique. A titre d’exemple, est-il possible que Gaza refuse l’établissement d’une station de génération électrique pour remédier aux coupures d’électricité qui durent parfois 8 heures ? Ajoutons à cela d’autres problèmes dans les aéroports et les ports. Le volet économique est en train de prendre graduellement forme sous la houlette du fameux trio Kushner, Greenbellat et Friedman. Les résultats finaux ne seront annoncés qu’une fois les plans finalisés. C’est de cette façon que l’Administration Trump anéantira la volonté du peuple palestinien qui, depuis plus de 70 ans, continue de refuser tout projet ne lui garantissant pas ses droits les plus fondamentaux et légitimes, comme la mise en place d’un Etat indépendant, avec pour capitale Jérusalem. Ainsi, cette présumée paix économique sera échouée comme d’autres formes de paix l’ayant précédée.

— Comment concevez-vous le refus par Kushner de l’initiative de paix arabe ?

— Kushner a opté pour l’audace lors de la Conférence de Manama, en affirmant que l’initiative arabe de paix, vieille de 17 ans, n’était pas réaliste. L’initiative arabe représente les droits fondamentaux du peuple palestinien et est conforme aux résolutions 242 et 338 du Conseil de sécurité de l’Onu. Il n’est pas possible de renoncer ni à Jérusalem-Est, ni aux droits des Palestiniens au retour, qui ne seront garantis qu’à travers l’initiative. La tentative de trouver une configuration floue entre l’initiative arabe et la vision israélienne est un non catégorique à l’Etat palestinien, et un non au démantèlement des colonies des Territoires occupés. Elle signifierait également l’annexion d’une partie de la Cisjordanie par Israël et la mise en place d’une autorité autonome en Cisjordanie qui serait dirigée de manière décentralisée.

— Comment l’absence du côté palestinien a-t-elle impacté la légitimité de cette proposition américaine de paix ?

— Le côté palestinien était absent de la Conférence de Manama, parce qu’il considère que l’Administration américaine n’est plus le parrain du processus de paix et qu’elle doit revenir sur ses décisions à commencer par la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël, le transfert de l’ambassade américaine dans la ville et l’arrêt de l’acheminement des aides de l’agence de l’Unrwa. Malgré cette position, l’Autorité palestinienne continue sa coordination sécuritaire avec les appareils sécuritaires américains, c’est ce qui a été affirmé par le président Abbas à la veille des rencontres de Manama.

La présence palestinienne à cette conférence aurait été considérée comme une acceptation implicite de toutes les mesures prises par Washington. Alors que l’absence palestinienne a fait perdre à la conférence une partie de sa légitimité et les sympathisants n’ont trouvé d’autres choix que de défendre l’événement et ses résultats.

— Quelle sera la suite après Manama ? Et quelles sont les cartes de pression de l’Autorité palestinienne ?

— La rencontre de Manama a pris fin, mais la porte est grand ouverte devant le leadership palestinien et le peuple pour avorter ses résultats. L’avortement de ce plan ne se fera que par les Palestiniens eux-mêmes. Il faut, avant toute chose, que les efforts égyptiens prennent le dessus au niveau de la réconciliation et du retour à l’accord du Caire de mars 2005 qui prévoyait la réorganisation de l’Organisation de la Libération de la Palestine (OLP) pour qu’elle devienne la demeure de tous les Palestiniens partout où ils sont et la création d’un conseil national élu représentant tous les Palestiniens. Seul le peuple palestinien est capable d’avorter le plan américain. Ainsi, toutes ses factions doivent réaliser l’ampleur de ce danger imminent, avant qu’il ne soit trop tard. Le président de l’Autorité palestinienne doit commencer par lever les sanctions qui étouffent le secteur de Gaza, et ouvrir un dialogue audacieux avec toutes les couleurs de l’arc-en-ciel palestinien.

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