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Magdi Sobhi : L’Iran continuera à exporter du pétrole de manière détournée

Racha Darwich, Mardi, 14 mai 2019

L’économiste Magdi Sobhi explique les répercussions des sanctions américaines sur le secteur pétrolier iranien et les cours mondiaux du pétrole après l’annulation, début mai, des dérogations accordées à 8 pays d’acheter le pétrole iranien.

Magdi Sobhi

Al-Ahram Hebdo : Quel sera l’im­pact de la dernière décision de Trump de « réduire à zéro » les exportations de pétrole iranien sur les cours mondiaux ?

Magdi Sobhi : Je ne pense pas que les cours enregistrent une hausse de plus de 5 dollars pour atteindre entre 70 à 75 dollars le baril. D’aucuns craignent que l’arrêt des exportations iraniennes et la baisse de la produc­tion vénézuélienne ne mènent à la flambée des cours du pétrole. Cependant, ce manque peut être large­ment compensé par la production de la Russie, de l’Arabie saoudite, des Emirats arabes unis et du Koweït, qui ont un excédent de près de 3 millions de b/j. En effet, avant l’imposition des sanctions, les exportations iraniennes atteignaient près de 2,5 millions de b/j, alors qu’aujourd’hui, l’Iran n’ex­porte plus que 0,5 million de b/j.

— Comment peuvent réagir les principaux pays producteurs de pétrole pour faire face à cette baisse de la production mondiale ?

— Jusqu’à présent, l’Arabie saou­dite a annoncé qu’elle n’allait aug­menter sa production qu’en cas de demande suffisante. En effet, en novembre dernier, Donald Trump avait annoncé l’arrêt des exportations pétrolières iraniennes, puis il a accor­dé des dérogations à 8 pays pour acheter le pétrole iranien, alors que des pays producteurs comme l’Arabie saoudite et la Russie avaient forte­ment augmenté leur production. Le fait qui a conduit à une baisse de 40 % des cours du pétrole. Le prix du baril a alors chuté de 86 à 52 dollars en décembre dernier. L’Opep et les pays producteurs du pétrole se sont alors réunis une autre fois et ont décidé la baisse de la production de 1,2 million de b/j. Cette fois-ci, l’Arabie saoudite ne veut pas commettre la même erreur et s’empresser d’augmenter la pro­duction sans une demande suffisante sur le marché. Elle s’est dit prête à compenser le manque de la produc­tion iranienne en cas de demande de son pétrole. Elle s’attache à un critère important qui n’est pas les prix, mais les réserves des pays consommateurs qui doivent rester fixes autour des réserves des cinq dernières années et ne pas augmenter au-delà ; car toute augmentation aura une influence négative sur les prix.

— Pensez-vous que Trump réus­sisse vraiment à « réduire à zéro » les exportations iraniennes de pétrole ?

— Je ne pense pas qu’il puisse atteindre vraiment l’objectif de zéro importation, mais les exportations ira­niennes ne pourront pas dépasser le chiffre actuel estimé à 0,5 million de b/j. Il est vrai que l’Iran essaie de pousser les Européens à conclure un accord pour l’importation du pétrole iranien, mais vu l’intransigeance amé­ricaine, la conclusion d’un tel accord semble impossible. Les Européens ne peuvent pas s’aventurer à entrer dans un affrontement ouvert avec Trump à cause du pétrole iranien, surtout que la production mondiale est suffisante.

— Quelle est donc la stratégie de l’Iran pour contrer les sanctions américaines ?

— L’Iran va jouer le même jeu qu’il avait joué durant la période des sanc­tions de 2012 à 2015. Il continuera à exporter son pétrole de manière détournée, sur le marché noir. Il exporte son pétrole à travers des navires privés qui ne portent pas le drapeau iranien, donc difficile de poursuivre. Il se peut aussi qu’il se soit apprêté à la crise en stockant du pétrole sur des navires en mer qui peuvent s’orienter vers n’importe où. Mais l’Iran perd beaucoup, car pour détourner les sanctions, il présente d’énormes réductions pour encoura­ger les compagnies à prendre le risque d’importer le pétrole iranien. Mais il ne pourra pas exporter plus que les 0,5 million de b/j, bien que sa capacité productive atteigne près de 4 millions de b/j et qu’il avait réussi à en expor­ter durant la période de 2012 à 2015 près d’un million.

— A quel point l’Iran peut-il compter sur ses alliés comme la Chine et la Russie ?

— La Chine et la Russie ne pour­ront pas aider l’Iran en ce qui concerne le pétrole. Elles pourront peut-être l’aider dans d’autres domaines. La Chine a déjà de nom­breux problèmes avec les Etats-Unis, elle ne va se chercher de nouvelles hostilités avec Washington en ache­tant le pétrole iranien.

— Qu’en est-il de la Turquie ?

— Dès l’annonce de Trump d’an­nuler les dérogations, la Turquie a proclamé une position audacieuse en déclarant qu’elle allait continuer à importer le pétrole iranien et que l’imposition de sanctions unilatérales était illégale. Mais elle n’aura certai­nement pas le courage d’importer le pétrole de manière déclarée, elle pourra avoir recours à la fraude à travers les frontières. Mais importer franchement le pétrole iranien et défier les sanctions américaines est quasiment impossible.

— Un an après l’imposition des sanctions américaines à l’Iran, quel est leur impact sur l’économie ira­nienne ?

— L’économie iranienne se trou­vait dans une situation précaire avant même l’imposition des sanctions américaines. En novembre 2018, la monnaie iranienne avait perdu 26 % de sa valeur et l’inflation avait enre­gistré un taux record de 35 % par rapport à l’année précédente. Ce qui avait soulevé de larges manifestations populaires à travers tout le pays en décembre et janvier derniers, en pro­testation contre la détérioration des niveaux de vie. Il est donc certain que les sanctions sont venues aggraver de plus en plus les choses. En effet, le budget iranien compte à 40 % sur les exportations du pétrole vu que celles-ci représentent 85 % des exportations totales de l’Iran.

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