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Ayman Salama : Ce décret est considéré comme nul et non avenu

Racha Darwich, Mardi, 02 avril 2019

Dr Ayman Salama, professeur de droit international à l’Institut international des droits de l’homme à Strasbourg, explique le statut juridique du Golan et dévoile la véritable valeur du décret américain qui reconnaît la souveraineté israélienne sur le Golan.

Ayman Salama

Al-Ahram Hebdo : Quel est le statut du Golan dans le droit international ?

Dr Ayman Salama : Les hauteurs du Golan sont des territoires syriens occupés conformément aux prin­cipes de l’article II de la Charte des Nations-Unies, qui stipule que « les membres de l’Organisation s’abs­tiennent, dans leurs relations inter­nationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépen­dance politique de tout Etat, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations-Unies ». D’ailleurs, l’Organisation des Nations-Unies a toujours condamné les annexions israéliennes illégi­times, que ce soit en Cisjordanie, à Gaza, à Jérusalem-Est ou encore l’annexion du Golan syrien. Trois jours seulement après la ratification, le 14 décembre 1981, par la Knesset de la loi du plateau du Golan qui le place sous les lois, la juridiction et l’administration israéliennes, le Conseil de sécurité a promulgué, à l’unanimité de ses membres, la réso­lution 497 qui déclare la loi « nulle et non avenue et sans effet juridique sur le plan international ».

— Quelle est donc la valeur juri­dique du décret promulgué par Donald Trump, qui reconnaît la souveraineté d’Israël sur les hau­teurs du Golan ?

— En fait, il s’agit d’un simple décret présidentiel et non d’un ordre exécutif contraignant. Ce décret n’a aucune valeur juridique jusqu’à ce que le Congrès promulgue une légis­lation à cet effet, sinon, ce document demeure sans aucune valeur consti­tutionnelle. Les Etats-Unis sont considérés comme une tierce partie dans le conflit israélo-syrien. Par conséquent, il n’est pas de leur droit d’agir comme si le Golan leur appar­tenait. Le président américain n’est pas le président du monde, et le gou­vernement syrien ne l’a pas mandaté de jouer le rôle de courtier avec l’en­tité sioniste. Par ailleurs, toute légis­lation interne, tout jugement et tout décret présidentiel émis en contra­diction avec les règles du droit inter­national ne sont que de simples papiers sans aucune valeur juridique dans le droit international. Ils ne changent rien dans les fondements juridiques stables. Partant, ce décret est considéré comme nul et non avenu, et les hauteurs du Golan demeurent des territoires syriens occupés par la force. La construction des colonies et le transfert de mil­liers de colons israéliens dans le Golan ne peuvent être considérés comme des tentatives légitimes qui confèrent à Israël un quelconque droit juridique sur ces terres qui peut être consolidé par le décret du prési­dent américain. Ces actes sont consi­dérés comme illégaux, car ils repré­sentent une violation de tous les principes du droit international.

— Les Etats-Unis ont déclaré leur intention d’actualiser leurs cartes géographiques pour inclure le Golan parmi les territoires israéliens. Cette mesure peut-elle renforcer la position juridique du décret américain ?

— Non, pas du tout. Une carte en elle-même ne représente pas une preuve de la souveraineté d’un pays sur une région, une île ou un archi­pel. Seules les cartes incluses dans les accords et conventions interna­tionaux de délimitation des fron­tières représentent des preuves, car elles tirent leur valeur juridique du document international où elles figu­rent, et possèdent donc la même valeur juridique. Les Etats-Unis ont le droit de soumettre les cartes de leurs territoires au secrétariat général des Nations-Unies, mais pas les cartes d’un pays étranger, surtout si celles-ci représentent une violation des résolutions du Conseil de sécu­rité et de l’Assemblée générale.

— La reconnaissance de la sou­veraineté d’Israël sur le plateau a suscité une vague de protestations dans le monde. Comment les réac­tions officielles peuvent-elles chan­ger la donne ?

— Les condamnations internatio­nales et les protestations officielles sont d’une grande importance. Dès la signature du décret américain, l’Angleterre, l’Union européenne, la Ligue arabe, l’Onu ainsi que de nombreux autres pays et organisa­tions internationales ont exprimé le refus de ce décret en rappelant leur attachement et leur respect de la résolution 497 du Conseil de sécu­rité. De telles protestations offi­cielles coupent court à la légitimité de ce décret et sont à même d’isoler l’Administration américaine dans cette position. En effet, le silence de la Syrie, des Arabes et de la commu­nauté internationale aurait conféré une légitimité à ce décret américain. Dans le droit international, toute condamnation internationale ou pro­testation officielle, verbale ou écrite est l’expression de la volonté des pays et des organisations internatio­nales qui, dans ce cas, réfutent la légitimité du décret de Donald Trump.

— Quel recours juridique la Syrie peut-elle entreprendre ?

— Non seulement le gouvernement syrien, mais aussi tous les pays arabes, l’Organisation de la confé­rence islamique ainsi que toutes les organisations de la défense des droits de l’homme et toutes les organisa­tions de la société civile peuvent intenter un procès devant les tribu­naux fédéraux américains contre ce décret qui viole la Constitution améri­caine en premier lieu ainsi que les engagements internationaux des Etats-Unis, du fait que les engage­ments internationaux des Etats-Unis sont supérieurs à toute loi, à tout règlement ou à toute législation interne ou à tout décret présidentiel. De plus, la Constitution américaine stipule que le droit international est la loi des Etats-Unis. Ce qui signifie que les Etats-Unis placent le droit interna­tional ainsi que les accords et conven­tions internationaux au-dessus des législations américaines. D’ailleurs, la Cour suprême américaine a déjà, à plusieurs reprises, annulé des verdicts émis par des tribunaux américains de première instance contraires au droit international.

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