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Il ne regrette rien

Dalia Chams, Mardi, 12 mars 2019

Eriane Youssef Saad (1899-1974) a écrit ses mémoires de révolutionnaire, lesquels nous plongent dans l’Egypte du début du siècle dernier.

Il ne regrette rien

Quelque 30 pages avant la fin de ses mémoires, publiés pour la première fois chez Dar Al-Shorouk en 2007, et actuellement en vente à l’occasion du centenaire de la Révolution de 1919, Eriane Youssef Saad décrit ses sentiments à chaque fois qu’il passe devant la prison de Torah, dans la banlieue de Hélouan. Les images de sa vie défilent comme un diaporama, notamment celles pas­sant en revue la période où il était détenu pour avoir tenté d’assassiner le premier ministre, Youssef Wahba pacha, alors que la Révolution de 1919 battait son plein. Son coup a été avorté, il a été traduit devant un tribu­nal militaire britannique et condamné à 10 ans de prison ferme, le 16 janvier 1920, mais il n’a jamais regretté son acte.

Etudiant en troisième année de médecine, il n’a que 19 ans quand il devient un héros national, du jour au lendemain. Issu d’une famille de dignitaires coptes, originaire de Mit Ghamr, dans le Delta, il a pris la déci­sion de tuer le premier ministre, copte comme lui. Car ce dernier a accepté d’entrer en négociation avec le comi­té présidé par Lord Alfred Milner, le ministre des Colonies britanniques, chargé d’examiner les revendications du peuple égyptien. Le leader de la révolution, Saad Zaghloul, avait invi­té à boycotter le comité Milner, et le jeune Eriane Youssef Saad ne voulait pas qu’un premier ministre copte brise l’unité de la nation en faisant des concessions, alors que chrétiens et musulmans ne faisaient qu’un.

« Les gens craignaient que Youssef Wahba pacha ne soit attaqué par un musulman, que son acte soit consi­déré comme religieux, et par la suite porter atteinte au mouvement patrio­tique », précise-t-il dans ses mémoires. Eriane Saad était donc prêt à se sacrifier. « Je n’avais pas besoin d’y penser longuement, ma décision était toute faite. Dès le début de la révolution, ma vie ne tenait qu’à un fil. (…) Ma visée était de mourir pour faire vivre le pays. Seule la patrie comptait à mes yeux. Et de toute façon, si je ne meurs pas aujourd’hui en pleine jeunesse, je mourrai une fois plus vieux », dit-il dans le livre, résumant cette efferves­cence qui animait les révolution­naires, luttant pour l’indépendance de leur pays, jusqu’à la déclaration de la Constitution de 1923.

« Si les historiens ont souvent insis­té sur le caractère pacifiste de cette révolution, menée par un peuple non armé, contre les troupes de l’empire britannique, je tiens à affirmer que cette révolution avait également une face violente, que certains révolu­tionnaires jugeaient inéluctable, pour répondre à la répression exercée par les colons », ajoute l’auteur qui, à travers tous les détails cités dans ses mémoires, nous jette sans ménage­ment dans un tourbillon d’événe­ments : des manifestations de rue aux grèves dans plusieurs secteurs, en passant par les étudiants à vélo qui circulent la nouvelle de l’arrestation de Saad Zaghloul à travers la ville, par les youyous de joie des femmes non voilées qui encouragent les foules depuis leurs balcons, et leurs voix angéliques qui se mêlent aux slogans scandés de part et d’autre. Bref, l’état de toute une nation qui réclame la liberté.

En prison

Ensuite, quand lui-même est privé de sa liberté, il nous emmène derrière les barreaux, où les rapports entre geôliers et détenus politiques sont assez spéciaux. Une grande compli­cité les lie, et le plus souvent on lui lance des paroles d’affinité : « Prenez soin de vous-même » ou « Bon cou­rage », etc. Même l’interrogatoire qu’il doit passer, en présence du pro­cureur général, est l’un des plus éton­nants. On se croirait bien dans une ambiance cartooniste et idyllique.

Eriane Saad dresse les portraits de ceux qu’il a connus en prison. Il regardait toujours le bon côté des choses, se disait fier de ses bras mus­clés, à force de tailler les pierres, en pleine montagne. Amnistié en 1924, sous le gouvernement saadiste, il n’a pas pu continuer ses études en méde­cine, mais fut désigné comme membre du Sénat jusque dans les années 1950. Ensuite, il a été nommé à la Ligue arabe. Après 1957, il s’est lancé dans un projet commercial de papeterie. Et c’est grâce à lui que le yoga fut introduit en Egypte, ayant traduit deux ouvrages-clés sur ce sport spirituel, qui l’a aidé davantage à émanciper son âme.

Mozakkérat Eriane Youssef Saad (mémoires de Eriane Youssef Saad), Dar Al-Shorouk, 2007. PP. 246.

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