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Le difficile compromis

Amr Abdel-Ati *, Mardi, 06 novembre 2018

Conformément à la Constitution américaine, l’exécutif et le législatif se partagent le processus de la formulation de la politique étrangère. Ce qui peut donner lieu à un bras de fer entre les deux pouvoirs.

Le difficile compromis
Les élections de mi-mandat s'annoncent difficiles pour le président américain. (Photo : AFP)

Les élections de mi-mandat remettent sur le tapis de nombreuses questions concernant l’influence de la structure du Congrès américain sur le processus de prise de décision en politique étrangère. Qui a le dernier mot quand le président appartient à un parti et qu’un autre parti domine les deux Chambres du Congrès (le Sénat et la Chambre des représentants) ou bien quand un parti domine une Chambre et l’autre parti domine une autre Chambre ? Nombreuses sont les personnes préoccupées par ces questions au Moyen-Orient, car il est tout à fait possible que le Parti républicain (le parti de Donald Trump) perde sa majorité à la Chambre des représentants au profit du Parti démocrate, alors que jusque-là, les Républicains dominaient les deux chambres du Congrès.

Selon la Constitution, le régime politique américain repose sur le principe du contrôle et de l’équilibre (Check and Balance). La Constitution entrave les institutions politiques en octroyant à d’autres institutions de larges prérogatives pour les contrôler et les réprimer si elles abusent de leurs prérogatives ou si elles tentent de s’octroyer des prérogatives qui ne sont pas les leurs. Les prérogatives sont réparties entre les trois pouvoirs (législatif, exécutif et juridique) de sorte à ne permettre à aucun pouvoir de déterminer à lui seul la politique américaine. Mais la relation entre ces institutions ne se base pas seulement sur le principe de séparation des pouvoirs, il s’agit aussi de la relation entre des institutions séparées qui se partagent les pouvoirs : « Separated Institutions Sharing Power ». Nous sommes en effet devant un cas de séparation institutionnelle, mais de pouvoir partagé.

Selon la Constitution, les deux pouvoirs législatif et exécutif sont des acteurs à part entière dans le processus de l’élaboration de la politique étrangère. La Constitution a déterminé des prérogatives à chaque pouvoir, certaines sont propres à chaque institution, alors que d’autres sont conjointes aux deux. Par exemple, la Constitution stipule que le Congrès a le droit de déclarer la guerre (article 1, section 8), mais aussi que le président est le dirigeant suprême des forces armées (article 2, section 2). Cependant, l’Histoire révèle que les chefs d’Etat ont réussi à contourner le pouvoir du Congrès et à déclarer la guerre sous prétexte des mesures défensives pour protéger les intérêts des Etats-Unis.

Par ailleurs, la Constitution accorde au Congrès le pouvoir d’accréditer les sommes allouées au pouvoir exécutif pour exécuter ses politiques étrangères. Le Congrès est aussi chargé de veiller à ce que le pouvoir exécutif applique la politique étrangère convenue en convoquant les responsables exécutifs devant les comités des deux Chambres du Congrès spécialisées dans les affaires des relations internationales, de la défense et des informations, ce qui peut influencer la politique étrangère en formant l’opinion publique américaine qui joue à son tour un rôle important dans le processus de l’élaboration de la politique étrangère. Sans oublier son pouvoir d’émettre, en vertu de son droit législatif (article 1, section 7), des législations relatives aux relations économiques et étrangères ou des lois relatives aux aides accordées aux pays étrangers et aux organisations internationales. Ces législations, quand elles deviennent des lois, sont obligeantes pour le pouvoir exécutif et sont capables d’influencer le cours du processus de l’élaboration de la politique étrangère.

Les deux institutions exécutive et législative se partagent donc le processus de l’élaboration de la politique étrangère. Le fait qui a créé dans l’application pratique un état de choc et de conflit constitutionnel sur les prérogatives. En remontant dans l’Histoire, on découvre que la relation entre les deux pouvoirs se caractérisait par l’entente, le Congrès mandatait le président dans les questions de la politique étrangère. Et ce, après la Seconde Guerre mondiale, l’escalade de la concurrence entre les Etats-Unis et l’ex-Union soviétique et la montée des craintes de l’opinion publique américaine qui avait peur pour sa liberté et sa sécurité. Cette entente a duré jusqu’en 1973. Par la suite, le rôle du chef d’Etat dans le processus de l’élaboration de la politique étrangère a connu un recul au profit du Congrès avec le recul de la place du chef d’Etat dans le régime politique américain à la suite des défaites de la guerre du Vietnam, du scandale de Watergate et de la promulgation par le Congrès de la loi sur les pouvoirs de guerre en 1973.

Au terme de la Guerre Froide, le Congrès a repris son pouvoir durant les périodes où sont disparues les menaces contre la sécurité et les intérêts nationaux américains. Mais à la suite des attentats du 11 septembre 2001, le Congrès s’est soumis une autre fois à la présidence. Cependant, avec les décisions erronées de l’Administration de Bush Junior de lancer deux guerres qui ont coûté fort aux Etats-Unis en hommes et en argent en Afghanistan en 2001 et en Iraq en 2003, le rôle du Congrès est redevenu influent dans le processus de l’élaboration de la politique étrangère américaine envers les affaires du Moyen-Orient.

Impacts sur le Moyen-Orient

Si les Démocrates l’emportent, cela aura une influence directe sur la politique étrangère de l’Administration de Trump au Moyen-Orient, surtout que les deux partis ont coordonné leurs positions envers les questions chaudes de la région, à savoir la nécessité de mettre un terme à la guerre au Yémen, ou encore l'adoption d'une position américaine tranchante dans l’affaire de l’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi au sein du consulat de son pays à Istanbul. Ces deux questions étaient en effet au centre des déclarations et des commentaires des législateurs américains au cours des derniers mois, car elles formaient les principaux sujets de discussion dans les comités du Congrès chargés des affaires du Moyen-Orient.

Cependant, les pressions de l’institution législative augmenteront sur l’institution exécutive au cas où les Républicains perdraient la majorité dans l’une des deux Chambres du Congrès. En effet, le Congrès pourrait alors entraver les mouvements de l’Administration américaine au niveau de la politique étrangère, surtout avec l’approche de la concurrence entre les deux partis sur l'élection présidentielle de 2020 et la volonté de chacun de renforcer ses chances de victoire.

*Spécialiste des affaires américaines à Al-Ahram

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