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Une nouvelle équation dans le conflit syrien

Mardi, 24 juillet 2018

Avec les récentes avancées militaires du régime syrien, la carte d’influence des acteurs régionaux en Syrie est en pleine reconfiguration.

Une nouvelle équation dans le conflit syrien
Des rebelles et des civils syriens arrivent à Hama en provenance de Deraa. (Photo : Reuters)

Par Malek Awny

La scène syrienne, et surtout le front sud-ouest, a dernièrement connu deux évolutions remarquables qui prévoient une fin prochaine de la guerre et de nouvelles équations sécuritaires et politiques. Ces évolutions ne vont pas seulement reformuler toute la scène syrienne, mais aussi la répartition des rôles et d’influences entre les forces régionales impliquées dans ce conflit. Premièrement, l’armée syrienne a réussi à contrôler plus de 90 % du gouvernorat de Deraa, « berceau de ce qu’on appelle la révolution syrienne », près des frontières jordaniennes. Aujourd’hui, les milices armées ne contrôlent plus qu’une petite région par l’intermédiaire de la faction nommée l’armée Khaled Ibn Al-Walid, fidèle à Daech. Deuxièmement, les éléments appartenant aux milices armées antagonistes au régime présents tout au long des frontières avec le Golan occupé se sont retirés. Ces derniers ont commencé à se retirer de la ville de Quneitra, le 20 juillet, et ce, conformément à un accord qui ressemble à de nombreux autres précédemment conclus concernant d’autres régions, stipulant la remise des régions qui étaient sous la domination de ces milices, ainsi que leurs armes lourdes, à l’armée syrienne en contrepartie d’une sortie sécurisée vers le gouvernorat d’Idlib, limitrophe de la Turquie.

Ce qui est remarquable dans ces deux évolutions n’est pas uniquement l’avancée rapide des forces de l’armée syrienne soutenue par une couverture aérienne russe. Et ce n’est pas la première fois qu’une telle évolution ait lieu depuis l’entrée en jeu des Russes en septembre 2015. Mais ce qui est le plus remarquable, c’est qu’Israël et les Etats-Unis ont accepté que l’armée syrienne domine ces régions vitales, d’un côté, pour la sécurité d’Israël, et de l’autre, pour la stratégie de la présence américaine en Syrie. Pendant environ 7 ans, les Etats-Unis avaient soutenu ce qu’on appelle l’opposition modérée au sud de la Syrie par des dizaines de millions de dollars sous forme d’armes, de formation, voire de salaires mensuels, et ce, dans le cadre d’un programme parrainé par l’Agence d’intelligence américaine. Puis, il y a un mois, Washington a annoncé à ces milices son intention de ne pas intervenir pour les soutenir face à l’offensive de l’armée syrienne. Et pour ce qui est d’Israël, il a attribué un soutien secret à des éléments islamiques extrémistes affiliés au front Al-Nosra, fidèle à Al-Qaëda, aux frontières du Golan occupé, pour garantir que les milices affiliées à l’Iran et qui font la guerre dans les rangs de Bachar Al-Assad n’occupent pas de positions limitrophes d’Israël.

L’équation du minimum

Ce revirement américain et israélien peut être qualifié d’« équation du minimum ». Une équation sécuritaire qui semble sur le point d’être appliquée sur tous les fronts de combat en Syrie qui consiste à accepter la carte de répartition des pouvoirs entre les différentes forces régionales engagées dans le conflit syrien, et qui garantirait le minimum d’intérêts pour chacune d’elles. Les principales caractéristiques de cette carte sont :

A. L’acceptation de l’occupation par la Turquie d’une bande à l’intérieur des territoires syriens et qui se prolonge de l’ouest de l’Euphrate jusqu’aux frontières du Liwa Iskenderun (province de Hatay), afin de garantir que le pouvoir kurde ne se prolonge jusqu’à ces régions.Mais il reste la problématique du nord de la Syrie, soit la province d’Idlib, où sont aujourd’hui regroupés des éléments de différentes organisations salafistes et djihadistes. La Turquie considère la situation actuelle à Idlib exemplaire pour ses intérêts en Turquie et dans toute la région, puisque cette ville constitue maintenant une zone d’isolation entre la Turquie d’une part, et l’armée syrienne et les milices qui la soutiennent de l’autre. Protéger ces éléments extrémistes représente une carte de pression importante entre les mains de la Turquie, à la fois pour tenter de réaliser d’autres ambitions en Syrie, comme une tentative d’étendre le contrôle de la Turquie à la ville d’Alep ou l’utilisation de ces éléments comme un outil dans la région ou même contre l’Europe. Ainsi, résoudre la situation d’Idlib après l’achèvement du contrôle du front sud-ouest ne sera pas facile, à moins d’avoir un consensus russo-américain décisif.

B. La domination par les Kurdes du nord-ouest de la Syrie jusqu’aux frontières iraqiennes, formant ainsi un mur d’isolation, à la place de Daech, face à l’extension du pouvoir iranien à travers l’Iraq et la Syrie. Il semble que le combat de l’est de la Syrie est l’un des combats importants qui n’a pas été définitivement tranché, puisque les milices iraniennes en Syrie ont réussi à dominer le passage de Boukamal avec l’Iraq, afin de garantir la continuité de l’existence d’un passage entre la Syrie et l’Iraq dominé par Al-Assad. Ainsi, l’objectif final américain, qui consiste à bloquer l’extension du pouvoir iranien à travers les frontières iraqo-syriennes, ne se réalisera pas.

C. Renoncer à l’objectif de renverser Al-Assad et lui permettre de dominer une autre fois les territoires syriens qui restent loin des régions de répartition du pouvoir. Et ce, en contrepartie de garanties russes de limiter l’expansion iranienne en Syrie. Il semble que les nouvelles dernièrement annoncées qu’aucune milice affiliée à l’Iran ne participerait aux opérations au sud de la Syrie expliquent clairement l’accord américain et israélien de l’expansion de l’armée syrienne jusqu’au front sud-ouest.

D. L’acceptation d’un rôle russe qui garantit les cartes de répartition du pouvoir et la baisse des menaces. Les indices ont commencé à apparaître dès l’entrée en jeu des Russes en soutien au régime de Bachar Al-Assad. D’ailleurs, il n’y avait eu aucune entrave réelle de la part des Etats-Unis.

Sept années amères de combats sanglants prouvent l’impossibilité de trancher la guerre en Syrie au profit d’une force au détriment de l’autre, alors que les Etats-Unis tiennent à ne pas trop s’engager à nouveau au Proche-Orient. En même temps, il s’est avéré que la carte de l’islamisme ne peut être un pari sûr ni pour Washington, ni pour les pays du Golfe, puisque les groupes extrémistes tentent de prolonger leur menace terroriste partout dans le monde.

Or, de nombreuses questions importantes, en premier lieu les moyens de réduire l’influence iranienne, ne sont pas encore tranchées. Par ailleurs, de façon générale, on peut dire que si on a opté pour l’accalmie de peur que la guerre ne devienne incontrôlable, le conflit en Syrie est loin d’être tranché. Il dépend encore de la réorganisation des ambitions régionales et mondiales. Il peut encore prendre de nouvelles formes, incluant la concurrence sur la reconstruction du pays et les futures orientations régionales du régime syrien.

*Directeur de rédaction de la revue Al-Siyassa Al-Dawliya

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