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Quand Trump joue l’arme du commerce

Racha Darwich, Mardi, 17 juillet 2018

Toujours sous le slogan « L’Amérique d’abord », Donald Trump poursuit sa guerre commerciale en imposant une série de taxes douanières contre ses partenaires commerciaux, notamment l’Europe et la Chine, suscitant exaspération et inquiétude.

Quand Trump joue l’arme du commerce
Selon la Banque Centrale de la Chine, la guerre commerciale pourrait ralentir la croissance du PIB de 0,2 point de pourcentage. (Photo : AFP)

« Les guerres commerciales sont bonnes et faciles à gagner », a tweeté Donald Trump avant de décider le 8 mars dernier d’imposer des taxes douanières de 25% pour l’acier et de 10% pour l’aluminium importés de l’Union Européenne (UE), du Canada et du Mexique. Depuis le début de l’année, Donald Trump, jugeant le commerce international déséquilibré et en défaveur des Etats-Unis, a multiplié les mesures protectionnistes à l’encontre de ses partenaires commerciaux, suscitant exaspération et inquiétude. Pour répliquer à ces taxes entrées en vigueur le 1er juin, l’UE a adopté à l’unanimité le 21 juin dernier des mesures de rétorsion contre des dizaines de produits américains. Elles visent à compenser à hauteur de 2,8 milliards d’euros les dommages engendrés par les taxes américaines. D’autres produits américains pourraient à l’avenir être également taxés par l’UE à hauteur de 3,6 milliards d’euros si l’UE l’emportait face aux Etats-Unis devant l’OMC. Face au slogan de Trump « L’Amérique d’abord », l’UE a répondu: « L’Europe unie ».

Comme l’UE, le Canada a pris des mesures de représailles à hauteur de 12,6 milliards de dollars entrés en vigueur le 30 juin dernier. Le Mexique aussi a décidé d’imposer des taxes douanières équivalentes sur divers produits importés des Etats-Unis dont certains aciers, des fruits et des fromages. Touchés, eux aussi, par la hausse des taxes sur l’acier, la Russie et le Japon ont informé l’OMC de leur volonté d’imposer, en représailles, des taxes sur les marchandises américaines, sans passer à l’action encore. En effet, le Japon s’inquiète particulièrement de la menace de taxes sur les importations automobiles vers les Etats-Unis.

Avec la Chine, un important bras de fer

Cependant, « la plus grande guerre dans l’histoire de l’économie », comme l’a qualifiée Pékin, a été déclenchée le 6 juillet entre les Etats-Unis et la Chine. A cette date, les Etats-Unis ont imposé des droits de douane de 25% sur un total de 34 milliards de dollars d’importations chinoises. Les nouveaux tarifs douaniers affectent 818 produits chinois dont des automobiles, des disques durs ou des composants d’avions. En réponse, Pékin a déclaré que des mesures de rétorsion étaient entrées en vigueur immédiatement après, précisant que des droits de douane complémentaires de 25% avaient été imposés sur un montant égal de produits américains. Ce n’est pas tout. Un second lot de taxes sur 16 milliards de dollars d’importations chinoises fait l’objet d’un examen et entrera en vigueur dans un délai de deux semaines des premières taxes. Au total, ce sont donc 50 milliards de dollars d’importations chinoises annuelles qui seront affectées par les mesures américaines. Les Etats-Unis ne devraient pas en rester là puisque Donald Trump a demandé à Robert Lighthizer, le délégué américain au commerce, « d’identifier 200 milliards de dollars de biens chinois en vue de taxes supplémentaires de 10 % ». Et le président américain s’est dit prêt à taxer 200 milliards de dollars de biens additionnels « si la Chine augmente à nouveau ses tarifs douaniers » en réaction. Ces mesures pourraient donc porter à 450 milliards la valeur des produits chinois taxés, soit la grande majorité des importations venues du géant asiatique (505,6 milliards de dollars en 2017).

Les prétextes de Trump sont nombreux. La Maison Blanche accuse la Chine, de « vol de propriété intellectuelle » et de « concurrence déloyale », alors que les produits contrefaits viennent concurrencer les biens américains. Trump prétend également vouloir redresser la balance commerciale qui penche fortement en faveur de la Chine. « L’Administration américaine ne comptabilise que le commerce des marchandises, sans prendre en considération le commerce des services dans lequel les Etats-Unis réalisent un large excédent commercial. Ces services incluent les produits culturels comme les films, les feuilletons et les livres, ainsi que les programmes informatiques et les prestations des droits de propriété intellectuelle et autres », précise Magdi Sobhi, expert économique au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram. Et d’ajouter que les exportations américaines de marchandises vers la Chine ont atteint, en 2017, 129,9 milliards de dollars. Un chiffre qui s’élève à 188 milliards si on y ajoute les exportations de services. C’est ainsi que le déficit budgétaire baisse de 375,6 à 335,7 milliards de dollars si l’on prend en considération le total du commerce entre les deux pays.

Par ailleurs, une grande partie des exportations chinoises vers les Etats-Unis sont produites par des compagnies mondiales qui investissent en Chine, dont la majorité est des compagnies américaines comme le géant Apple. « L’Administration américaine adopte une vision étroite qui ne prend pas en considération l’ensemble des relations commerciales et économiques avec ses partenaires. Elle choisit ce qui lui plaît et ce qu’elle annonce au peuple américain comme étant des gains, sous des slogans populaires, à l’instar de L’Amérique d’abord», explique Magdi Sobhi.

Politique risquée

La majorité des experts mettent en garde contre les dommages potentiels d’une telle politique commerciale protectionniste, non seulement sur l’économie américaine, mais aussi sur l’économie mondiale. L’imposition de taxes réciproques « va peser sur la croissance, la confiance (des ménages) et les marchés financiers », ont mentionné les économistes d’Oxford Economics. Aux Etats-Unis, les prix ont enregistré une légère hausse et des entreprises américaines ont averti qu’elles pourraient licencier, faute de rester compétitives, voire mettre la clé sous la porte.

Du côté chinois, un responsable de la Banque Centrale a déclaré que « la guerre commerciale va ralentir la croissance du PIB chinois de 0,2 point de pourcentage » en 2018, jugeant toutefois l’impact « limité ». En effet, Magdi Sobhi explique que « la Chine est en bonne position pour dépasser cette tempête, car l’économie de la Chine compte moins sur les exportations de manière générale et encore moins sur les exportations vers les Etats-Unis qu’il y a une décennie. Le taux des exportations par rapport au PIB chinois était de 31,1% en 2008 pour baisser à 18,8% seulement en 2017 ».

Les guerres commerciales ne sont donc pas aussi faciles que le pense Trump, « non seulement parce que toutes les parties sont perdantes, mais parce qu’elles représentent une menace pour le commerce international car ces guerres opposent les plus grandes forces commerciales de notre monde », conclut Magdi Sobhi.

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