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Amr Abdel-Ati : Trump, l’homme d’affaires, applique la technique du deal à la diplomatie

Ola Hamdi, Mardi, 17 juillet 2018

Amr Abdel-Ati, spécialiste des affaires américaines à Al-Ahram, estime que Trump change radicalement les fondements de la diplomatie américaine, tant envers les alliés que les ennemis traditionnels de Washington.

Amr Abdel-Ati : Trump, l’homme d’affaires, applique la technique du deal à la diplomatie

Al-Ahram Hebdo : Avant de quitter Bruxelles, Trump a lancé un discours rassurant à l’égard de l’Otan après avoir laissé planer le doute sur un éventuel retrait de l’alliance atlantique. Pourquoi ce revirement? Tente-t-il de calmer les inquiétudes européennes ?

Amr Abdel-Ati : Il est vrai que Trump a changé de ton, déclarant être « très satisfait » du sommet, mais les inquiétudes européennes envers la politique étrangère imprévisible de Trump persistent toujours. Il a exigé aux Européens de doubler leurs dépenses militaires en les portant à 4% du PIB au lieu de 2% comme objectif initial. Ce qui présente un grand défi pour beaucoup de pays européens qui peinent déjà à remplir leur engagement de 2%. Le fossé ne cesse donc de s’élargir entre Trump et l’Europe. Et les fronts de confrontation entre les deux sont aujourd’hui nombreux. Non seulement sur la vision de l’efficacité de l’Otan, mais aussi sur le commerce, notamment après la décision de Trump, en juin dernier, d’imposer des taxes douanières supplémentaires sur des produits européens. La politique américaine au Proche-Orient, notamment envers le nucléaire iranien, est une autre pomme de discorde. Le retrait de Trump de l’accord nucléaire a porté gravement atteinte aux intérêts des compagnies européennes qui travaillent à Téhéran. Bref, Trump a provoqué un changement radical dans les grandes lignes de la politique traditionnelle américaine envers ses alliés traditionnels, inchangeable depuis sept décennies, en essayant de leur imposer de nouvelles règles du jeu.

— Et quels sont les motifs de ce changement de cap ?

— « L’Amérique d’abord », ce slogan de campagne électorale de Trump devient aujourd’hui le moteur d’une nouvelle doctrine américaine sur la scène internationale. Cette doctrine trumpienne est à l’opposé de la vision traditionnelle de ses prédécesseurs sur le statut des Etats-Unis de « gendarmes du monde » qui défendent la mondialisation, et où assurer la sécurité de l’Europe est un élément-clé dans la diplomatie américaine. Pour Trump, l’Europe doit partager le fardeau et payer le prix de cette protection. Trump, l’homme d’affaires, applique parfaitement la technique de deal à la diplomatie. Il choisit ses alliés selon ses intérêts. C’est dans cet esprit de businessman qu’il régit des relations à couteaux tirés avec l’Europe et qu’il manifeste de nombreux signes de rapprochement avec la Russie. Faire des compromis est le moteur de Trump en se dirigeant vers Helsinki pour un tête-à-tête avec Poutine.

La diplomatie de Trump est motivée également par des enjeux électoraux. Les élections de mi-mandat s’approchent en novembre prochain et le président américain veut conserver par ces mesures sa base électorale.

— Quelles sont alors les options des Européens ?

— Bien sûr, les Européens ne vont pas rester les bras croisés. Ils vont chercher une alternative. On pourrait témoigner dans les jours à venir de la formation d’une forte alliance économique Chine-Europe pour faire front contre la guerre commerciale menée par Washington contre ces deux blocs. Quant à la défense, l’idée de la formation d’une force européenne commune est posée aujourd’hui sur la table comme une alternative au cas où Trump réduirait ses engagements envers l’organisation. Pourtant, les défis pour que cette force commune puisse voir le jour ne manquent pas.

— Qu’en est-il pour le sommet Trump-Poutine ? Comment le président américain essaye-t-il paradoxalement d’infléchir la diplomatie américaine envers la Russie, ennemie de longue date à l’Amérique ?

— Depuis la Guerre froide, les Etats-Unis considèrent la Russie comme une menace pour l’ordre mondial. Trump a même inscrit dans sa nouvelle « stratégie de la sécurité nationale », publiée en janvier dernier, que la Russie et la Chine étaient des menaces principales pour Washington. Ce qui se contredit complètement avec les tentatives de rapprochement de Trump envers son homologue russe. Lors du sommet de G7 tenu en juin dernier, Trump a plaidé pour le retour de la Russie, exclue du G8 après l’annexion de la Crimée en 2014. Les Européens voient donc d’un mauvais oeil ce rapprochement qui pourrait nuire à la sécurité de l’Europe. En fait, de nombreux dossiers sont au menu du sommet, ayant en tête la Syrie et le nucléaire iranien. Des spéculations vont bon train que le président américain va mettre sur table la reconnaissance de la Crimée en tant que partie intégrante de la Russie, en contrepartie que Poutine cesse de soutenir le régime iranien en Syrie et bloque la route devant le pétrole iranien d’atteindre le marché international à travers la Russie.

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