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A Kafr Al-Cheikh, le maïs remplace le riz

Ola Hamdi, Mardi, 29 mai 2018

La décision du ministère de l’Irrigation de limiter la culture du riz pour rationaliser l’eau pourrait affecter la production de cette denrée. Mais l’Etat propose aux paysans plusieurs alternatives.
Reportage au gouvernorat de Kafr Al-Cheikh.

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Kafr Al-Cheikh produit plus de 40  % du riz au niveau de la République. (Photos : Mohamad Moustapha)

140 km au nord de la capitale, et à 90 km à l’est d’Alexandrie, se trouve le gouvernorat de Kafr Al-Cheikh dans le Delta du Nil. Selon les chiffres officiels, ce gouvernorat produit plus de 40% du riz au niveau de la République. Cette année, il devra réduire la superficie des terres cultivées en riz. Celle-ci passera de 275000 feddans l’année dernière à 189 800 cette année. Ceci en vertu de la décision du ministère de l’Irrigation et des Ressources hydriques de réduire la superficie des terrains cultivés en riz pour faire face à la pénurie d’eau. C’est ainsi que Kafr Al-Cheikh est obligé cette année de réduire de 30% sa production de riz. Ici à Sidi Salem, le riz est considéré comme le seul gagne-pain et la vie en dépend complètement. Hadj Ramadan Attiya, 70 ans, arrive à dos d’âne malgré la chaleur du soleil dans son champ. Il attend l’arrivée de l’eau. Hadj Attiya est l’un des plus vieux paysans de la ville. Il peut cultiver le tiers de son champ en riz et les deux tiers en maïs ou en coton qui consomment moins d’eau. Mais même s’il en a le droit, il ne peut pas cultiver le riz à cause du manque d’eau. « Depuis deux ans, nous souffrons d’une pénurie d’eau. Pour cultiver le riz, il faut que l’eau submerge complètement les semis. Or, ma vie et celle de ma famille dépendent de la culture du riz », se plaint Attiya.

Il est 11h du matin, il n’y a qu’une seule route étroite qui mène vers les petits villages de Kafr Al-Cheikh, ce chemin est parallèle au canal d’Al-Ganabiya Al-Charqiya. Bien que le niveau d’eau y soit très bas, le canal est considéré comme étant l’âme de la province et la seule source d’eau. Ainsi, pour préserver l’eau, les habitants y mènent un travail de nettoyage permanent, surtout que ce canal irrigue l’une des cultures les plus consommatrices d’eau, le riz. 90 % des habitants de Kafr Al-Cheikh sont des agriculteurs, un métier qu’ils ont hérité de leurs ancêtres. Mahmoud, paysan de 45 ans, essaye de réparer la pompe à eau, dans une tentative désespérée d’augmenter la quantité d’eau. Hadj Mohamad, un autre agriculteur, attend avec espoir, mais malheureusement, la tentative n’apporte qu’une quantité insignifiante d’eau, de plus, celle-ci est usée et non traitée. « Nous avons respecté toutes les mesures et décisions du gouvernement. Mon champ fait partie des terres autorisées à cultiver le riz ou le coton, mais à cause de la pénurie d’eau, je ne peux cultiver ni l’un ni l’autre », indique Mahmoud.

Dans le village d’Al-Kafr Al-Guédid, les agriculteurs ont peu d’eau. Dans le champ de Hélal Saad Abdel-Réhim, des jeunes sont en train de répandre les semis de riz dans un champ, tout en chantant: « Grâce à Dieu nous avons pu irriguer le champ après une semaine d’attente. Hier, nous étions désespérés parce que la terre avait commencé à se dessécher. L’eau est un grand défi dans notre gouvernorat ». Abdel-Réhim, un paysan de 50 ans, n’est pas contre la décision gouvernementale de réduire la culture du riz, surtout que la pénurie d’eau dure depuis plusieurs années: « Nous soutenons l’Etat pour faire face à la pénurie d’eau, et nous respectons toutes les décisions qui sont dans l’intérêt général, mais nous sommes pauvres, nous n’avons ni assurance médicale, ni retraite, ni salaire. Nous demandons aux responsables de proposer des solutions alternatives qui ne nuisent pas à l’agriculteur ».

En fait, ce n’est pas la première fois que le ministère de l’Irrigation et des Ressources hydriques décide de réduire la superficie des terrains cultivés en riz. En 2015, le ministère avait pris la décision de réduire la superficie de riz à 700 000 feddans. Mais en raison du manque de riz sur le marché, il a dû augmenter la superficie à 1,76 million de feddans.

Les responsables réagissent

A Kafr Al-Cheikh, le maïs remplace le riz2
(Photos : Mohamad Moustapha)

Le sous-secrétaire du ministère de l’Irrigation à Kafr Al-Cheikh, Achraf Al-Mohamadi, répond aux plaintes des paysans concernant la pénurie d’eau en expliquant : « Nous avons un système d’irrigation par alternance, il s’agit d’ouvrir le canal pendant 4 jours et de le fermer pendant 6 jours pour pouvoir distribuer l’eau dans tous les villages et villes du gouvernorat de manière équitable. De même, le ministère du Logement élabore un plan de construction de stations de traitement des eaux usées ».

Et d’ajouter : « La décision de réduire la culture du riz est indispensable à cause de la quantité d’eau disponible, une bonne planification évitera les conflits entre les agriculteurs. En plus, les décisions sont prises en fonction de la nature du sol de chaque région. Il s’agit de changer la carte des cultures agricoles en proportion de nos ressources en eau. Nous ne sommes pas contre les agriculteurs. Nous cherchons l’intérêt général ». Abdel-Rafie Abdel-Azim, sous-secrétaire du ministère de l’Agriculture à Kafr Al-Cheikh, assure, lui, que cette décision a été précédée de nombreuses rencontres avec les paysans, en présence des représentants des associations agricoles, pour déterminer les régions qui seront autorisées à cultiver le riz pendant cette saison. « Nous avons présenté de nombreuses alternatives aux agriculteurs comme le maïs jaune, le coton, et le soja. Nous ferons en sorte que les semences soient disponibles dans les coopératives agricoles. Nous avons aussi conclu des contrats avec les paysans pour faciliter la liquidation des récoltes de soja. Par ailleurs, nous travaillons sur un plan pour faire de même avec le maïs jaune », affirme Abdel-Azim.

Le chef du syndicat des Paysans de Kafr Al-Cheikh, Ali Ragab Nassar, pense que réduire les cultures de riz n’est pas la meilleure solution car celle-ci n’est pas dans l’intérêt des agriculteurs qui souffrent depuis des années. « Nous sommes près de la mer où la salinité du sol est très élevée. Nous sommes au bout de l’estuaire du Nil et l’eau du Nil ne nous parvient pas. Nous sommes obligés d’irriguer avec des eaux usées. Le riz est la seule culture capable d’absorber la salinité du sol. Si on arrête de cultiver le riz, la salinité du sol augmentera et la terre mourra », explique Ali Ragab. Ce dernier poursuit qu’il a eu des pourparlers avec les responsables pour augmenter le nombre de terrains autorisés à cultiver le riz. Des pourparlers qui se sont révélés fructueux vu que la superficie des terrains cultivés en riz a augmenté de 22000 feddans au niveau du gouvernorat.

Répartition des terres cultivées en riz

Alexandrie : 2 000 feddans

Béheira : 106 650 feddans

Gharbiya : 40 600 feddans

Kafr Al-Cheikh : 189 800 feddans

Daqahliya : 182 550 feddans

Damiette : 42 000 feddans

Charqiya : 127 850 feddans

Ismaïliya : 2 750 feddans

Port-Saïd : 30 000 feddans

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