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La firme militaire commence à s’éroder

Mohamed Moussa, Mardi, 28 mai 2013

L'armée fait face à des pressions pour instaurer plus de transparence dans la gestion de ses activités. Son pouvoir économique pourrait se heurter à des volontés de réformes politiques.

Infrastructure
Le rôle économique de l'armée s'étend aux infrastructures. (Photo: Al-Ahram)

Le plus grand défi des armées des pays arabes est cette nouvelle audace des médias à diffuser des nouvelles jadis secrètes. Les médias débattent désormais de sujets tels que le financement de l’armée et son rôle politique, sous la pression d’une rue qui remet en cause les habituelles lignes rouges. Les révolutionnaires veulent désormais surveiller les activités économiques de cette institution.

Les armées des pays du Printemps arabe semblent de leur côté avoir appris la leçon et veulent désormais rester à l’écart du centre de gouvernance politique. Mais la réalité est que certaines armées, comme en Egypte, sont implantées dans le corps de l’Etat d’une manière telle qu’il est impossible de séparer le rôle traditionnel de leur rôle économique.

Yazid Sayegh, chercheur à Carnegie Endowment, affirme qu’en 1991 Moubarak a cherché à rallier des officiers supérieurs en leur accordant des postes de direction dans certains ministères et organismes pour s’assurer de leur loyauté. Cette « République des officiers » comme la qualifie Sayigh est toujours en place : l’institution militaire conserve une influence majeure dans les décisions politiques. Les officiers, explique le chercheur, « pénètrent les secteurs de la fonction publique, dirigent des universités, se trouvent dans des centres de recherche spécialisés, la surveillance de l’eau potable, les hôpitaux publics, etc. Divers organismes comme la radio et la télévision ou l’Autorité générale de l’enseignement sont aussi dirigés par des militaires ».

Le chercheur rappelle la nécessité de démanteler cette République des officiers, avant qu’elle ne se transforme en « un Etat caché entravant toute politique de réformes du gouvernement ».

1991, un tournant

Dans son livre Crise de l’Egypte nassérienne, Anwar Abdel-Malek affirme : « Beaucoup d’officiers qui ont rendu leurs uniformes ont obtenu des fonctions importantes, formant la majorité des diplomates, des dirigeants de sociétés étatiques et occupant des postes-clés dans le domaine de la culture ». Mais à l’époque nassérienne, les gains économiques des hauts gradés ne commençaient qu’après la fin de leur service. Après 1991, est apparue « la firme militaire », comme la définit le chercheur Robert Springborg, les propriétés de l’armée ont alors été classées « secret militaire ».

Déterminer 1991 comme le début de la République de l’armée revient à associer cette nouvelle « République » au programme de privatisation qui, selon Sayegh, a engendré « un développement capitaliste déformé » dont ont bénéficié certains officiers supérieurs. Mais « le processus d’intégration des officiers supérieurs par Moubarak les a en même temps éloignés de la réalité sociale et sans diminuer leur désir de conserver leurs acquis et les privilèges accumulés ». L’armée n’était pas contre la privatisation bien qu’elle l'ait regardée comme une « menace pour sa position économique. Elle s’est ainsi opposée aux réformes économiques », révèle l’ancienne l’ambassadrice américaine au Caire, Margaret Scobey, dans un télégramme au département d’Etat en 2005 sorti sur WikiLeaks. Scobey y définit les activités militaires comme « semi-commerciales ».

Dans les années 1990 et 2000, la « firme militaire » lance des projets dans différents secteurs : transport maritime, pétrole, gaz et énergies renouvelables. Le Groupe Khorafi du Koweït, par exemple, a rejoint depuis 2001 un certain nombre de projets de l’armée égyptienne, y compris la Société arabe pour l’industrie informatique, seul producteur d’ordinateurs en Egypte. Khorafi détient 71 % de ses actions, tandis que le ministère de la Production militaire détient en 10 %.

« Entre 2006 et 2008, par exemple, le général Ali Sabri, qui dirigera le ministère de la Production militaire, a supervisé un projet visant à développer la production des engrais et des traitements de l’eau pour un coût d’un milliard de L.E. Et les entreprises privées qui s’associent à l’armée profitent elles aussi de privilèges uniques, y compris un traitement préférentiel aux appels d’offres », dit le chercheur Robert Springborg.

Le scénario que la « firme » militaire puisse entrer en confrontation avec l’administration civile de l’Etat marquerait le début d’un retour de l’armée à ses fonctions traditionnelles.

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