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Nourhan Al-Cheikh : La Russie est aujourd’hui le maître de jeu diplomatique en Syrie

Aliaa Al-Korachi, Vendredi, 22 décembre 2017

Nourhan Al-Cheikh, professeure de relations internationales à l’Université du Caire et experte du dossier russe, estime que le retrait des troupes russes de Syrie est un signal fort que le régime de Bachar est aujourd’hui plus que jamais en position de force sur la scène militaire aussi bien que dans les négociations.

Nourhan Al-Cheikh
Nourhan Al-Cheikh

Al-Ahram Hebdo : Poutine a ordonné la semaine dernière le retrait de la majeure partie du contingent militaire russe en Syrie. Ce n’est pourtant pas la première fois que la Russie annonce un désengagement militaire. A votre avis, qu’est-ce qui va changer cette fois-ci ? Et quel est le bilan de deux ans d’intervention russe en Syrie ?

Nourhan Al-Cheikh : Ce retrait russe n’est jusqu’àprésent qu’un retrait partiel. Les opérations militaires se sont achevées, mais cela ne marque pas la fin de la présence militaire russe en Syrie. La Russie dispose toujours de deux bases militaires permanentes en Syrie : une base aérienne de Hmeimim et une installation navale àTartous. En 2016, la Russie avait déjàretiréune partie très limitée de ses troupes. Cette fois-ci, le retrait va être un peu plus grand et bien détaillé: Vingt-trois avions et deux hélicoptères russes, suivis par des unités de la police militaire, des démineurs et des médecins de l’hôpital de campagne. Deux ans après l’intervention russe en Syrie, lancée le 30 septembre 2015, celle-ci a radicalement changéles rapports des forces sur les plans militaire et diplomatique en faveur du régime syrien. Pour le côtérusse, les objectifs de cette intervention sont atteints sur le terrain. Le ministère russe de la Défense avait déjàdéclaré, le 5 décembre, que la mission de l’armée russe en Syrie était accomplie et que le territoire syrien était totalement libéréde Daech. Mais cela s’est fait au prix d’un lourd bilan humain. Cette intervention a tout de même sauvéla Syrie, en l’empêchant de se transformer en un second Afghanistan.

— Mais pourquoi Poutine a-t-il pris une telle démarche maintenant, sachant que malgré la défaite de Daech, la situation est loin d’être stable ?

—Outre la fin de Daech en Syrie, je pense qu’il existe deux autres raisons derrière cette décision. La première est interne. Cette annonce est, en effet, intervenue quelques jours après l’annonce du président russe de se représenter àl'élection présidentielle prévue en mars 2018. Donc, le retour des soldats russes, qui s’est passédans une ambiance festive, fait partie de la campagne électorale de Poutine, qui se présente ainsi comme celui qui a gagnéla guerre contre le terrorisme en Syrie. La deuxième raison est que Poutine a voulu par cette décision transformer son succès militaire en un règlement politique, accélérer les négociations de Genève, qui étaient en cours lors de l’annonce de ce retrait. Ce retrait était un message adresséàl’opposition syrienne sur la table des négociations de Genève, que les opérations militaires sont terminées, le conflit est tranchéen faveur de Bachar et qu’il est temps de passer au règlement politique. Celuici n’a pas étémalheureusement transmis àl’opposition.

— Oui, mais c’est la délégation gouvernementale qui est accusée d’être responsable de l’échec de Genève 8 ...

—Le retrait de la délégation de Bachar de Genève indique que le régime est aujourd’hui plus que jamais en position de force. Le régime syrien n’a plus besoin de négocier comme auparavant, avant l’intervention russe. En outre, la visite surprise de Poutine àla base aérienne russe de Hmeimim, en Syrie, oùil a rencontréBachar Al-Assad, a également étéun signal fort que le régime est stabilisé. Le tout dépend aujourd’hui de la position de l’opposition qui ne doit pas rater toute occasion pour le dialogue.

— Après l’échec de la 8e session de Genève, que pourraient apporter les rencontres de Sotchi ? Pensez-vous qu’on soit proche d’un règlement et que ce dernier soit dicté par Moscou ?

—Je pense que la diplomatie russe va être plus active pour parvenir àun règlement politique après la fin des opérations militaires. Après l’échec de Genève 8, la Russie est aujourd’hui le maître de jeu diplomatique en Syrie. Les yeux se tournent vers Sotchi, oùla Russie s’apprête àorganiser un congrès de dialogue national syrien. Mais jusqu’àprésent, ni la date exacte, ni les participants n’ont étédéterminés.

— Sotchi s’oppose-t-il à Genève, surtout lorsque l’on sait que l’émissaire onusien, Staffan de Mistura, a dit préparer Genève 9 ?

—Ces rencontres russes ne sont pas en opposition avec les pourparlers de Genève. Au contraire, elles pourraient paver le chemin vers une 9e session de Genève. En fait, la feuille de route russe en Syrie est basée sur un consensus entre Washington et Moscou autour du règlement du conflit syrien, publiédans un communiquéconjoint en marge du sommet Asie-Pacifique qui a eu lieu au Vietnam, en novembre dernier. Celui-ci parle d’une solution politique pour la crise syrienne, de la souverainetéde la Syrie, de la rédaction d’une nouvelle Constitution suivie d’élections.

— Le rôle russe est largement médiatisé alors que l’on parle moins de l’influence iranienne en Syrie. Y a-t-il un risque d’un renforcement de la présence iranienne en Syrie après le retrait russe ?

—L’influence de Téhéran existe avec force en Syrie et pourrait s’étendre encore plus dans la période àvenir. L’intervention iranienne a plus de légitimité, puisque ce sont les Syriens eux-mêmes qui ont fait appel aux Iraniens. Ils seront donc toujours là. Il existe une coordination complète dans les zones de désescalade entre Moscou et Téhéran. Aujourd’hui, la Syrie se prépare pour la période de reconstruction qui nécessite des flux d’investissements énormes. Ceux-ci vont provenir généralement de l’Iran et de la Chine. Quant àla Russie, elle ne va pas grandement profiter du processus de reconstruction, puisque ses investissements étrangers sont très limités.

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