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La réconciliation palestinienne au défi des nouvelles réalités

Aliaa Al-Korachi, Mardi, 10 octobre 2017

Le Caire accueille, depuis mardi, de cruciales rencontres entre les factions palestiniennes, dont l'objectif est de parvenir à la réconciliation. Plusieurs facteurs locaux et régionaux poussent à l'optimisme, mais la tâche ne sera pas une sinécure.

La réconciliation palestinienne au défi des nouvelles réalités
Le gouvernement palestinien s'est réuni dans la bande de Gaza, le 3 octobre dernier, une première depuis 2014. (Photo : AP)

« Le Hamas va participer aux discussions du Caire et il n’y a pas de choix : soit on réussit, soit on réussit », vient de déclarer Taher Al-Nounou, membre du bureau politique du mouvement Hamas. Les représentants de deux groupes palestiniens, le Hamas et le Fatah, devraient se réunir au Caire, au cours de cette semaine, pour entamer des discussions autour des mécanismes de la mise en oeuvre de l’accord de réconciliation palestinienne signé au Caire en 2011. Cette rencontre bilatérale va être suivie, comme il est prévu, par une autre réunion plus large au niveau de toutes les factions palestiniennes, pour s’accorder autour de la formation d’un gouvernement d’union nationale.

Après une décennie de division politique et géographique entre le Fatah et le Hamas, les roues de la réconciliation tournent aujourd’hui très vite. En moins d’un mois, de grandes avancées s’enchaînent. Les discussions du Caire interviennent ainsi une semaine après que le premier ministre palestinien, Rami Hamdallah, eut finalement réuni son gouvernement dans la bande de Gaza mardi 3 octobre, une première depuis 2014. Deux semaines avant, le Hamas a pris une série de décisions pour le transfert du pouvoir : dissolution du comité administratif formé en mars dernier pour la gestion de Gaza, et invitation du gouvernement palestinien à assumer ses responsabilités à Gaza. Le Hamas a également donné son accord pour l’organisation d’élections générales et la formation d’un gouvernement d’union nationale.

Climat favorable à la réconciliation

Or, ce n’est pas la première fois que le Fatah et le Hamas annoncent un rapprochement. De l’accord de La Mecque signé en 2007 à l’accord de Gaza de 2014, en passant par deux accords du Caire 2005 et 2011, sans oublier la déclaration de Sanaa 2008 et celle de Doha en 2012, ces accords de réconciliation interpalestinienne ont été tous soldés dans le passé par des échecs. La question qui se pose alors : quelles sont les chances de la réconciliation cette fois-ci, après ces échecs successifs ?

Selon Tareq Fahmi, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire, la balance penche cette fois-ci vers un succès. « Il existe un climat général différent et plus favorable à la réconciliation, soit sur les plans interne, régional ou international. Il est fort probable que les discussions actuelles du Caire aboutissent », dit-il. Avis partagé par Mohamad Khamis Gomaa, spécialiste des affaires palestiniennes au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram. « Après dix ans de discorde, le contexte palestinien a tellement changé, et une réelle volonté politique se cristallise dans les deux camps pour en finir avec la division. Les deux factions se trouvent aujourd’hui sous pression interne. Le Hamas se trouve obligé d’opter pour plus de pragmatisme pour s’assurer une nouvelle place dans l’équation politique palestinienne, après avoir beaucoup perdu de sa popularité à cause de la situation catastrophique dans la bande de Gaza », explique Gomaa. Sur le plan régional le Hamas a perdu le soutien financier de ses alliés, notamment celui du Qatar et de la Turquie. « La flexibilité du Hamas s’est aussi manifestée en amendant sa charte fondatrice où il reconnaît les frontières de 1967. Puis il y a eu l’élection d’Ismaïl Haniyeh, ancien premier ministre faisant partie de l’aile pragmatique à la tête du bureau politique du Hamas en mai 2017 », continue Gomaa.

Quant au Fatah, Mahmoud Abbas, chef de l’Autorité palestinienne, ne veut pas rester, comme l’explique Fahmi, un demi-président qui ne contrôle pas tous les territoires palestiniens. « Cette réconciliation intervient à un moment très critique où le processus de la colonisation et de la judaïsation de Jérusalem s’accélère de manière continue. Pour Abbas, le rapprochement avec le Hamas réfutera le prétexte israélien pour ne pas reprendre les négociations, à savoir l’inexistence d’un interlocuteur palestinien unique », signale Fahmi.

L’Egypte, garant officiel

Les chances de réussite proviennent également, comme l’explique Fahmi, du changement de « la nature du rôle égyptien qui a évolué de rôle de médiateur à un rôle de garant officiel de l’application de la réconciliation sur le terrain ». Mahmoud Abbas a même déclaré qu’il n’accepterait l’intervention de quiconque dans les affaires palestiniennes « sauf l’Egypte ». Les services de renseignements égyptiens ont joué, en fait, un rôle-clé au cours des mois derniers, pour réunir les deux parties palestiniennes, en faisant la navette entre Gaza et la Cisjordanie. « Toutes les données indiquent que l’Egypte a une forte intention de faire réussir cette fois-ci la réconciliation, et en a témoigné la présence du chef de renseignements égyptien, Khaled Fawzi, lui-même dans la bande de Gaza. Cela a été suivi par un discours prononcé par le président Abdel-Fattah Al-Sissi en faveur de la réconciliation et son importance sur l’échelle régionale », dit Mohamad Kamel, chercheur au CEPS, avant d’ajouter : « L’Egypte a deux buts stratégiques : la réconciliation palestinienne et la relance du processus de paix ».

Le contexte international a été aussi évolué, ajoute Kamel, en estimant que l’Occident s’est tourné maintenant vers le dossier palestinien, vu que le combat contre Daech en Iraq est presque terminé. Le chercheur pense également que Washington n’oppose plus son veto à la réconciliation, puisque le président américain, Donald Trump, a son propre projet pour relancer le processus de paix, nommé « L'accord du siècle », qui n’avancera pas sans que toutes les factions palestiniennes se réunissent en une seule entité.

Les réactions de Tel-Aviv sont différentes cette fois-ci, selon Kamel, de celles affichées suite à la signature de la réconciliation de 2014 : « Pour Tel-Aviv, la réconciliation pourrait éviter un nouveau conflit armé avec le Hamas ».

Encore du pain sur la planche

Bien que les circonstances soient plus propices cette fois à la réconciliation qu’auparavant, « le plus dur reste à faire », juge Fahmi. Et d’ajouter : « Le chemin vers la réconciliation est semé d’embûches, puisque les questions épineuses n’ont pas été encore débattues ». Fonctionnaires, point de passage, élections et sécurité, armes de la résistance, sont des dossiers problématiques qui ont été renvoyés aux discussions du Caire. Pour Gomaa, l’optimisme qui règne aujourd’hui doit être cependant pris avec « prudence ». Selon le chercheur, le diable se cache dans les détails. « Le principal enjeu c’est de parvenir à une formule satisfaisant toutes les parties », dit-il.

Parmi les détails, à titre d’exemple, les salaires des 45 000 fonctionnaires recrutés par le Hamas depuis sa prise du pouvoir à Gaza pour remplacer plus de 70 000 employés de l’Autorité palestinienne qui, eux aussi, continuent à recevoir leur salaire. « Comment éviter un gonflement de l’appareil administratif palestinien ? C’est un défi de taille », estime Mohamad Kamel, spécialiste des affaires palestiniennes au CEPS. « Il faut aussi se mettre d’accord sur une date pour les élections législatives et présidentielle. Qui va gérer les passages et les frontières du Gaza avec l’Egypte ou avec Israël ? Quels sont les mécanismes de l’intégration du Hamas au sein de l’OLP ? Et comment va se faire l’unification des institutions exécutives, administratives et judiciaires de Gaza et de la Cisjordanie ? », se demande Kamel.

Et puis il y a le dossier miné des « armes de la résistance », (voir page 5). Selon Kamel, il ne fera pas partie de l’ordre du jour des discussions du Caire et sera reporté aux sessions ultérieures. Selon les prévisions, ce sujet pourrait même être reporté jusqu’à parvenir à un règlement politique avec Israël. Pour le Hamas, les armes de la résistance sont « une ligne rouge ». Quant à Abbas, il n’acceptera pas de « reproduire l’exemple du Hezbollah » à Gaza.

Malgré ces défis, « on est cette fois-ci loin de retourner à la case départ. Mais le règlement de ces dossiers risque de prendre beaucoup de temps », conclut Gomaa.

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