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Questions autour de la rénovation du centre-ville

Aliaa Al-Korachi, Jeudi, 07 septembre 2017

Le projet de rénovation du Caire khédivial, qui a vu le jour en 2013, en est à sa troisième et dernière phase. S'agit-il juste d'un lifting ou alors est-ce une restauration de fond ?

Questions autour de la rénovation du centre-ville
(Photos : Bassam Al-Zoghby)

Le palais Abdine se prépare à accueillir dans les jours à venir, dans son grand hall, la statue du khédive Ismaïl, le père du Caire moderne. Cette démarche s’inscrit, en fait, dans le cadre d’un vaste projet de développe­ment du Caire khédivial lancé depuis plus de 3 ans par le gouvernement. Construit entre 1867 et 1950, ce quar­tier, de forme triangulaire, avec la place Tahrir au sommet, et les deux places Opéra et Ramsès sur les deux côtés, vient de fêter ces jours-ci ses 150 ans. Les travaux de rénovation initiés par le gouvernement et des investisseurs privés battent leur plein. Le centre-ville reprend progressive­ment des couleurs. Et une centaine d’immeubles, aux différents styles architecturaux, retrouvent de nouveau leur éclat. « On a achevé jusqu’à pré­sent environ 40 % des travaux en rénovant 200 bâtiments d’un total de 500 immeubles classés comme archi­tecture unique dans le centre-ville », affirme Saïd Al-Bahr, directeur du projet.

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Les travaux de rénovation battent leur plein dans le centre-ville. (Photos : Bassam Al-Zoghby)

« Revitaliser Le Caire khédivial en l’érigeant en zone économique et touristique » est le moteur de ce pro­jet, comme l’explique Al-Bahr. Les travaux sont répartis en 3 phases.Deux phases sont déjà achevées avec un coût de 120 millions de L.E. Outre les bâtiments khédivaux, des rues et des places du Caire khédivial ont aussi fait peau neuve, notamment la rue Alfi, la rue Chawarbi, ainsi que les places Orabi, Ramsès, Ataba et Abdine. La troisième phase lancée ce mois en cours devrait témoigner de la réhabilitation du reste des immeubles khédiviaux et d’autres zones dont la plus importante est celle de la Bourse.

Le centre-ville, à lui seul, ren­ferme le tiers des bâtiments classés à caractère particulier sur le terri­toire national.

Après son âge d’or où Le Caire Khédivial fut nommé « le Paris du Nil » ou encore « le Paris de l’Orient », le patrimoine du centre-ville est passé par une longue période de négligence, notamment à l’époque de Nasser qui le considérait comme un symbole du colonialisme.

Ensuite, avec les politiques urbanis­tiques adoptées par le président Anouar Al-Sadate à la fin des années 1970, et qui donnaient une priorité aux investissements publics dans les nouvelles cités, le patrimoine du centre-ville n’a bénéficié d’aucun plan de développement. Un regain d’intérêt pour ce patrimoine a eu lieu avec l’apparition de l’Organisme national de l’harmonisation urbaine, créé en 2004. Celui-ci est chargé essentiellement de protéger le patri­moine au « style architectural parti­culier », en promulguant une série de lois pour la protection de ces immeubles.

Le lancement du projet en 2014

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La rénovation totale de l'immeuble khédivial dans la rue Emadeddine, lors de la 3e phase du projet, doit servir comme un guide pour les autres bâtiments. (Photos : Bassam Al-Zoghby)

Le lancement réel du projet a débu­té avec une décision gouvernementale pour évacuer tous les vendeurs ambu­lants du centre-ville, et empêcher les voitures de se garer. « Il était très dif­ficile de commencer le travail de développement et de réhabilitation, au milieu de l’embouteillage », affirme Al-Bahr, qui ajoute : « Le gouvernorat du Caire participe acti­vement à la réhabilitation du centre-ville en fournissant les experts et les entrepreneurs à tous les acteurs qui opèrent dans le centre-ville ».

Haidy Shalabi, directrice du dépar­tement de la protection des zones et des bâtiments historiques au sein de l’Organisme national de l’harmonisa­tion urbaine, explique : « On travaille main dans la main avec le gouverne­ment. L’organisme est considéré comme un consultant pour le gouver­norat et la seule autorité qui octroie les accréditations des plans de réno­vation. Ces plans doivent répondre à des critères et des réglementations précis concernant la forme, les cou­leurs et les matériaux utilisés ».

Qui finance ?

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La zone piétonne de la rue Al-Alfi a fait peau neuve.

Concernant le financement, Shalabi précise que lEtat na rien payé. Les travaux de développement ont ététotalement financés par la sociétécivile, les hommes daffaires, le secteur bancaire et les compagnies publiques dassurance. Ces dernières, comme le souligne Shalabi, sont des acteurs incontournables dans le centreville, étant des grands propriétaires des immeubles khédiviaux. On cite par exemple Misr Real Estate Assets, branche dactivitéimmobilière, de la compagnie dassurance Misr Insurance Holding Company, créée en 2007. Cest lune des plus actives sur le terrain. Selon son site Internet, la sociétépossède 140 immeubles dans le centre-ville dont 68 sont classés patrimoine architectural particulier. Toutefois, Haidy Shalabi précise que «le manque de financement reste un grand défi, qui ralentit le rythme des travaux de rénovation. Ce qui oblige le gouvernement à se contenter de la rénovation des façades, sans pouvoir intervenir à l’intérieur des bâtiments dont la majorité sont vétustes ». Shalabi dévoile pourtant que parmi les travaux de la troisième phase de ce projet, est prévue «la rénovation totale (intérieure et extérieure) »de limmeuble khédivial numéro 15 situédans la rue Emadeddine, et qui doit servir comme guide pour la rénovation totale des autres bâtiments. Autre problème, qui menace la préservation de ce patrimoine et qui est considérécomme un grand obstacle devant les travaux de développement, comme lexplique Shalabi, cest lancienne loi des loyers qui permet au locataire de payer des sommes très faibles, décourageant ainsi les propriétaires dentretenir leurs immeubles.

Que fait la sociétéIsmaelia ?

En parallèle, sur le même chantier de travail, mais ne partageant pas les mêmes problèmes, le secteur privéprend aussi part dans les travaux de rénovation. La sociétéIsmaelia pour l’investissement immobilier, créée en 2008, et qui possède 22 immeubles dans le centre-ville, est également active sur le plan du renouvellement urbain au centre-ville, et marque un retour des investissements privés au centre-ville dirigés depuis des années vers les nouvelles cités. En fait, au départ, le rachat des immeubles khédiviaux par cette sociétéavait suscitéune grande polémique sur le but réel de cette société. Aujourdhui, comme lindique Mohamed Al-Taher, membre déléguéde la sociétéAl- Ismaelia, les doutes ont étédissipés, et une sorte de partenariat entre le secteur public et privécommence àse forger (voir entretien). Si les moyens financiers ne présentent pas de problème, ni même les négociations avec les locataires pour vendre leurs appartements àla société, «la rénovation de l’intérieur n’est pas une mission facile », comme lexplique Mohamed Al-Serougui, directeur des projets au sein de la sociétéAl- Ismaelia. «Les anciens bâtiments ne possèdent pas de plan, ce qui nécessite des études acharnées avant de pouvoir commencer la rénovation », déplore Al-Serougui. Les travaux de la sociétése concentrent actuellement dans la rénovation de limmeuble Viennoise qui est considérée comme «la grande oeuvre de la société », comme le précise Al-Serougui, qui va être utilisécomme un «Open Building », consacréessentiellement aux bureaux administratifs.

Quelle vision pour lavenir ?

Mais reste àsavoir si ces travaux de développement du Caire khédivial vont vraiment faire du centre-ville un pôle administratif, économique et culturel comme c’était le cas au XXe siècle. Pour Tareq Wali, expert urbaniste, le mot du développement utilisépar le gouvernement nest pas du tout «adéquat »àce qui se passe réellement sur le terrain. «Le gouvernement se contente d’un lifting du quartier qui est contesté. Une vision globale de l’avenir du centre-ville fait toujours défaut. Contrairement au secteur privé qui, lui, a un objectif bien clair, à savoir réutiliser les immeubles restaurés pour être rentables », dit Wali. Et dajouter : «Le développement d’un quartier doit englober toutes ses composantes : les édifices, les citoyens, les activités. Et la nécessité de se demander : quel est l’objectif des travaux du développement ? Quelle sera la nouvelle fonction du centre-ville ? ». Sintéresser au côtésocial du centre-ville nest pas évidemment inscrit dans le plan du gouvernement, comme lexplique Salah Zaki, architecte et professeur àlUniversitédAl-Azhar. «Le citoyen, qui est un acteur principal dans le processus, est le grand absent de la vision du gouvernement. Augmenter la sensibilisation des habitants au patrimoine khédivial est une condition fondamentale pour le succès des travaux du développement du quartier », ajoute-t-il. «Combler les lacunes techniques, sociales, financières et même législatives qui menacent la durabilité de la réhabilitation du centre-ville. C’est le but de la formation de la commission nationale pour la préservation du Caire patrimonial, qui a vu le jour en décembre 2016 par un décret présidentiel », comme l'indique Tarek Atia, porte-parole de la commission. Selon ce dernier, cette démarche démontre que la conservation de ce patrimoine figure parmi les priorités de lEtat àlheure actuelle. «Après 8 mois de travail, on est aujourd’hui en train de finaliser un rapport où on va essayer de formuler une vision globale et stratégique, comprenant des propositions de lois, des modèles de financement et de partenariat social, ainsi que les moyens susceptibles de régler les problèmes de la circulation, de la sécurité et du nettoyage du centreville », dit Atia, avant de conclure : «On va essayer également de trouver une certaine formule de coopération entre tous les acteurs qui opèrent au centre-ville pour garantir la durabilité du développement du Caire khédivial ».

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