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Syrie: Obama préfère attendre

Héba Nasreddine, Lundi, 06 mai 2013

Washington a affirmé que le régime syrien a probablement utilisé des armes chimiques, avant toutefois de mettre en garde contre toute « décision hâtive ». Pourquoi de telles déclarations ? Eléments de réponse.

Obama Syrie
«Si Washington ne sait pas qui a utilisé les armes chimiques, il pourrait s'agir de soucoupes volantes », se moquent ces manifestants syriens. (Photo: AP)

D’abord, des diplomates onusiens anonymes, puis Israël, affirment avoir des preuves de l’utilisation d’armes chimiques en Syrie. Tel-Aviv parle du gaz sarin. Quelques jours plus tard, les services de renseignements améri­cains ont conclu, « avec différents degrés de certitude, que le régime syrien a utilisé des armes chimiques à petite échelle », dit le secrétaire à la défense Chuck Hagel, avant d’ajouter que ces informations n’étaient pas « suffisantes » et que « nous ne pouvons pas confirmer comment l’exposition au sarin a eu lieu ». L’annonce est particulièrement para­doxale et suscite, outre l’effervescence de la communauté internationale, des interrogations sur les vraies intentions de Washington.

Le régime d’Assad, en employant l’arme chimique, aurait franchi la « ligne rouge » fixée en août dernier par Obama. « Si nous commençons à voir des quantités d’armes chimiques déplacées ou utilisées, cela chan­gera mon équation », a affirmé le président américain. Avant d’ajouter qu’il s’agirait là d’une « ligne rouge » qui aurait des « consé­quences énormes ». Le Pentagone a préparé, dès l’an dernier, diverses options pour faire face à une telle éventualité. Déjà, Israël et Washington travaillent, depuis, à différents scénarios militaires destinés à neutraliser les stocks d’armes chimiques syriens.

Une action multilatérale onusienne

L’action militaire est-elle de nouveau une priorité ? Jusqu’à présent, l’Administration américaine s’oppose à prendre des initiatives risquées. Les Etats-Unis viennent à peine de sortir de la guerre en Iraq et en Afghanistan, et ne veulent pas commettre la même erreur de l’Iraq qui a été envahi en 2003, sous prétexte d’armes de destruction massive qui n’ont jamais été retrouvées après le renversement de Saddam Hussein. « Obama ne veut agir que dans le cadre d’une action multilatérale approuvée par l’Onu, notamment face à la mise en garde de Moscou contre toute inter­vention en Syrie, son grand allié au Moyen-Orient. Si Obama devait le faire, ce ne serait sûrement pas sans le soutien d’autres pays », présume le politologue Nabil Abdel-Fattah.

Selon les observateurs, Obama est bien conscient que Bachar Al-Assad, contrairement à Saddam Hussein, est soutenu non seulement par son armée, à l’exception de quelques hauts gradés dissidents, mais aussi par la Russie, la Chine et l’Iran. « Il serait moins risqué de s’en prendre au régime si ce dernier était privé de ses alliés, comme c’était le cas en Libye, où Kadhafi était quasi isolé. Avec la Syrie, l’opération est complexe et risque de mal tourner », estime Abdel-Fattah, politolo­gue égyptien.

A ceci, Obama réclame des preuves supplé­mentaires établies avec certitude de la part des Nations-Unies avant d’agir, alors qu’il sait que de tels éléments sont difficiles à acquérir. Le régime syrien refuse de donner aux enquê­teurs de l’Onu un accès sans conditions aux sites où l’arme chimique aurait été utilisée. Une partie des inspecteurs, actuellement à Chypre, a déjà commencé une enquête, en examinant des victimes de récents bombarde­ments, qui ont pu quitter le pays.

Si Obama ne cherche pas par cette accusa­tion du recours à l’arme chimique, d’interven­tion militaire sur le coup, il semble pourtant cibler en partie la Chine et la Russie et si ces derniers éléments de preuve peuvent faire évoluer leur attitude. En partie aussi, selon les observateurs, il cherche à établir une zone d’exclusion aérienne en Syrie, qui servira de sanctuaire pour les rebelles, et veut encoura­ger ses alliés dans la région, comme la Turquie et la Jordanie pour créer des zones humani­taires sécurisées près de leurs frontières. Cette option, favorable par des parlementaires amé­ricains, présenterait l’avantage de fournir aux insurgés un refuge sûr dans lequel ils pour­raient s’organiser, tout en permettant aux pays occidentaux d’augmenter leur aide sans craindre qu’elle ne tombe dans de « mau­vaises mains ».

Des armes sont fournies à l’opposition

L’intérieur est une autre cible du discours paradoxal des responsables américains. Obama n’a pas tardé à suggérer la transgres­sion du régime d’Assad du droit international et de toutes les règles d’éthique et de sécurité, pour faire pression sur le Congrès afin d'ac­cepter enfin un armement de l’opposition syrienne. Le Congrès était longtemps scep­tique à l’idée de fournir des armes létales de crainte de tomber notamment entre les mains des radicaux islamistes. La CIA et le Pentagone y étaient déjà favorables pour rééquilibrer le rapport des forces sur le terrain. Jusqu’à main­tenant, la CIA supervisait quelques livraisons d’armes aux rebelles, notamment via la Jordanie, et les Etats-Unis fournissaient égale­ment une aide non létale aux rebelles. Aujourd’hui, des voix s’élèvent au Congrès pour une fourniture prochaine de missiles antiaériens ou antichars américains, qui pour­rait se faire en coordination avec la Grande-Bretagne et la France. Jeudi 2 mai, Washington a, pour la première fois, publiquement évoqué la possibilité de fournir des armes à la rébel­lion. « Il s’agit sans doute de la meilleure des pires solutions » pour mettre un terme à la crise en Syrie, selon Chuck Hagel. Une déci­sion définitive n’est pas encore prise. « Toutefois, les Etats-Unis se trouvent sérieu­sement engagés dans la recherche d’une solu­tion. S’ils ne réagissent pas tout de suite, ce manque d’action pourrait être interprété comme un signe de faiblesse par le régime syrien », conclut le politologue égyptien.

Le franchissement de « la ligne rouge » met effectivement les Américains dans l’embarras. Ils se voient obliger d’agir, mais ils ne sont pas motivés pour le faire. La guerre contre l’Iraq et l’Afghanistan et son échec pèsent de tout leur poids dans cette affaire .

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