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Gaza : Les nouvelles règles du jeu.

Jeudi, 27 juillet 2017

Le rapprochement entre Le Caire et le Hamas, d'un côté, et entre le Hamas et Dahlan de l'autre, est plus d'ordre tactique que stratégique.

Par : Mohamed Gomaa

Des nouvelles ont récemment circulé sur des arrangements entre le Hamas et le député Mohammed Dahlan, avec l’accord de l’Egypte. Ce qui, avec d’autres changements, a propulsé la bande de Gaza sur le devant de la scène et renforcé l’impression que les règles du jeu dans cette enclave palestinienne sont en train de changer. D’autant plus que ces événements se situent dans un contexte régional en pleine évolution. Il s’agit notamment des pressions arabes et égyptiennes exercées sur le Qatar pour l’obliger à arrêter son soutien aux groupuscules terroristes. Alors que du côté israélien, l’adage selon lequel mieux vaut faire la paix avec les Arabes qu’avec les Palestiniens est de plus en plus repris dans les discours politiques et médiatiques.

Ces données, ajoutées à la faiblesse stratégique du Hamas, ont donné lieu à toutes sortes de lectures et d’analyses soutenant que les portes sont désormais ouvertes pour refonder la réalité à l’intérieur et autour de Gaza.

Les principaux points des dits arrangements entre Dahlan et le Hamas consisteraient à confier au mouvement islamiste, qui ne déposerait pas les armes, le ministère de l’Intérieur et le dossier sécuritaire. Tandis que Dahlan s’occuperait de la mobilisation politique, diplomatique et financière, nécessaire pour consolider cette nouvelle réalité. Il a été également suggéré qu’un comité commun formé par le Hamas et Dahlan se soit chargé de la gestion du terminal de Rafah, alors qu’une équipe formée par Dahlan se soit occupée des postes-frontières avec Israël. C’est dans ce contexte que les deux parties seraient en train de préparer le grand retour à Gaza de Samir Macharaoui, le bras droit de Dahlan. En ce qui concerne la circulation des individus et des marchandises à travers Rafah, l’Egypte aurait promis l’ouverture en permanence de ce poste frontière conformément à l’accord conclu en 2005. L’Egypte aurait également promis de maintenir l’envoi de quantités suffisantes de diesel pour alléger la crise d’électricité à Gaza. En échange, le Hamas se serait engagé à coopérer dans la lutte contre les groupuscules terroristes qui sévissent dans le Sinaï. C’est ainsi que le Hamas a commencé, dès ce mois de juillet, à renforcer le contrôle de sa frontière avec l’Egypte, notamment au niveau des points de passage de Rafah et de Karm Abou-Salem.

L’importance de ces arrangements apparaît en contraste avec les décisions que l’Autorité palestinienne a récemment prises. Celles-ci comprennent la suspension des salaires des fonctionnaires affectés à Gaza (dont 6 154 ont été mis à la retraite par décret) et des allocations versées aux familles des détenus dans les prisons israéliennes, ainsi que l’arrêt de paiement des factures d’électricité fournie par Israël à la bande de Gaza. Il s’agit de tout un dispositif que l’Autorité palestinienne a déployé pour frapper les ressources financières du Hamas et saper sa popularité auprès des habitants de Gaza, de quoi permettre au président Mahmoud Abbas de faire valoir l’Autorité palestinienne en tant qu’entité politique unie sous sa houlette, malgré une décennie de divisions inter-palestiniennes.

Le rapprochement entre Dahlan et le Hamas représente une gifle pour Mahmoud Abbas, dans la mesure où il offre au Hamas une porte de sortie de sa crise actuelle et confirme sa position à Gaza et en tant qu’acteur régional. Pour Dahlan, ce rapprochement est susceptible de le renforcer au sein du Fatah, où son groupe s’est retrouvé marginalisé dans la foulée de la 7e conférence de ce mouvement tenu en novembre 2016. Dahlan serait désormais un concurrent potentiel à Mahmoud Abbas à la tête de l’Autorité palestinienne, ce qui pourrait accélérer la succession de ce dernier.

La situation est donc celle d’un concours d’intérêt entre le Hamas et Dahlan, mais qui représente aussi des bénéfices pour l’Egypte pour au moins deux raisons. D’un côté, le spectre d’une nouvelle guerre à Gaza est écarté, ainsi que le danger qu’une telle guerre puisse représenter pour la sécurité dans le Sinaï, et d’un autre côté, le Hamas s’est engagé à coopérer dans le combat contre le groupe Wilayet Sina, actif dans la péninsule.

Intérêts conflictuels

Or, la mise en application de ces arrangements risque de créer une situation qu’Israël pourrait exploiter au service de son agenda. Réduire l’avenir de Gaza à des centrales électriques et des installations d’eau potable et d’égouts et à d’autres infrastructures encouragerait des pays arabes et étrangers à y investir. Parmi ces projets figure celui proposé par le ministre israélien du Transport, Yisrael Katz, de créer une île artificielle au large de la bande de Gaza. Tout ceci est susceptible de séparer définitivement ce territoire de la Cisjordanie pour en faire une entité autonome, ce qui signifierait l’arrêt du processus politique israélo-palestinien.

C’est là justement que se brouillent les calculs palestiniens et égyptiens. En effet, beaucoup craignent les retombées à long terme de ce scénario aussi bien sur le projet national palestinien que sur les intérêts de l’Egypte. C’est que le maintien du lien entre les territoires palestiniens occupés permet aux Palestiniens de profiter du poids démographique de Gaza (40 % de la population) pour contrer les excès de l’extrême-droite israélienne qui s’emploie à vider de son sens la solution des deux Etats. Alors que si Gaza s’isole, Israël pourrait facilement engloutir la Cisjordanie en multipliant la construction des colonies et donner lieu à la solution d’un seul Etat.

Si de telles craintes sont légitimes, il ne faut cependant pas perdre de vue la différence entre les arrangements tactiques, et par conséquent provisoires, et les orientations stratégiques durables. Il est clair que les parties engagées dans ces arrangements ne sauront se rencontrer autour d’une même stratégie, étant donné que ce qui les sépare est beaucoup plus important que ce qu’elles partagent. Pour les parties concernées, ces arrangements ne sont donc pas plus qu’un passage obligatoire, une manoeuvre à visées contradictoires. Il est improbable que le rapprochement entre le Hamas et Dahlan se maintienne. Leurs intérêts peuvent se rencontrer, mais beaucoup de facteurs empêcheront que leur rapprochement se transforme en partenariat. Les positions de principe de chacune des deux parties sont contradictoires, vu que l’objectif ultime, qui concerne le leadership national, dépasse Gaza. Le Hamas ne pourrait pas faire complètement confiance à Dahlan, dont le pouvoir grandissant est à craindre. Le clash viendra un jour ou l’autre. Quant à Abou-Mazen, il ne restera pas les bras croisés, alors que son autorité fait face à un défi de cette taille. Il a déjà fait preuve de doigté par le passé face aux innombrables pressions intérieures et extérieures. Surtout que l’intérêt de Donald Trump à relancer le processus de paix lui a donné confiance.

A l’échelle régionale, l’Egypte et les Emirats arabes unis, principaux soutiens de Dahlan, saluent ces nouvelles évolutions qui permettraient de supplanter la place qu’occupait le Qatar à Gaza. Mais il se trouve que ces deux pays sont très hostiles à l’islam politique, et de ce fait, il leur sera difficile d’approuver des arrangements à long terme au risque de confirmer l’autorité du Hamas sur la bande de Gaza.

En dernière analyse, cette nouvelle situation indique que Le Caire, après une décennie de divisions palestiniennes, semble en être venu à la conclusion que certains risques sont inévitables.

Chercheur au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d'Al-Ahram.

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