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Le Caire-Hamas : Le pragmatisme est de mise

Ahmad Eleiba, Jeudi, 27 juillet 2017

Après des tensions notables, les relations entre Le Caire et le Hamas connaissent un certain réchauffement. Une coopération basée avant tout sur la sécurité.

Le Caire-Hamas1

Les tensions entre l’Egypte et le Hamas sont-elles en train de se dissiper ? Le mouvement palestinien issu des Frères musulmans, ennemi du pouvoir égyptien, se rapproche du Caire. Des responsables politiques et sécuritaires du Hamas ont été reçus au Caire ces dernières semaines, dont certains pour plusieurs jours. Ce n’est d’ailleurs pas nouveau, puisque sous le régime de Moubarak, ces rencontres étaient monnaie courante, mais depuis que l’Egypte avait déclaré la confrérie des Frères musulmans organisation terroriste, les relations se sont nettement détériorées. Les nouveaux dirigeants du Hamas, notamment son nouveau chef du bureau politique, Ismaïl Haniyeh, ont commencé à adopter un discours modéré à l’égard de l’Egypte. Des évolutions qui ont eu pour résultat l’amélioration du quotidien des habitants de Gaza, suite à l’envoi par l’Egypte de cargaisons de carburant, via le terminal de Rafah, pour résoudre la crise d’électricité dans l’enclave palestinienne.

Bien que Le Caire se soit abstenu d’évoquer ce rapprochement qui se veut politique et sécuritaire, le Hamas, de son côté, l’a fortement médiatisé. Mais les attentats terroristes du vendredi 7 juillet au nord du Sinaï ont soulevé des interrogations sur une éventuelle implication du Hamas, d’autant plus que, selon des sources au Caire, quatre des assaillants provenaient de Gaza. Des allusions que le Hamas a rejetées. D’après Moussa Abou-Marzouk, un dirigeant du mouvement, le fait que l’Egypte ait envoyé 6 cargaisons de carburant le lendemain de cet attentat est en soi une réponse à ces allégations. Les termes « rapprochement » et « entente » reviennent souvent dans le discours du Hamas pour qualifier les relations actuelles avec Le Caire.

Alors que des responsables égyptiens proches du dossier restent réservés. L’un d’eux affirme que l’envoi de carburants et de vivres s’explique par « le sentiment de responsabilité de l’Egypte vis-à-vis de Gaza », ajoutant que l’Egypte « ne laissera jamais ce territoire s’effondrer ou ses habitants mourir de faim ».

Cela dit, les Egyptiens ne nient pas qu’il y ait une certaine amélioration des relations avec le Hamas. Ils situent cette amélioration dans un contexte palestinien plus large dans lequel ce mouvement est en train de changer aussi bien au niveau structurel que politique. En ce qui concerne les changements au sein du Hamas, les sources égyptiennes interrogées par l’Hebdo évoquent notamment le document politique publié au mois de mai dernier (où le mouvement islamiste dit accepter un Etat palestinien dans les frontières de 1967), ainsi que les nouvelles figures propulsées aux postes de responsabilité, comme Yahia Senoua, récemment élu à la tête du Hamas à Gaza.

Il ne s’agit pas selon Le Caire de restaurer les relations avec le mouvement de résistance palestinienne, mais plutôt de soumettre au mouvement palestinien une série de demandes que celui-ci devra remplir, notamment en ce qui concerne la sécurité dans le Sinaï. Il paraît que dans ce domaine, le Hamas donne des gages de bonne volonté. Ainsi, il a été convenu de créer une zone tampon du côté palestinien de la frontière avec l’Egypte où des caméras de surveillance seraient installées pour empêcher toute infiltration de part et d’autre de la frontière. Des projets qu’Ismaïl Haniyeh a confirmés dans ses déclarations.

L’affaire Dahlan

Des forces de sécurité palestiniennes se déployant à la frontière avec l
Des forces de sécurité palestiniennes se déployant à la frontière avec l'Egypte.

Ces changements dans les relations entre Le Caire et le Hamas ont été accompagnés d’autres évolutions au niveau des relations entre celui-ci et le député Mohamad Dahlan, ancien ennemi du Hamas, mais aussi du président Mahmoud Abbas, comme en témoignent ses récentes rencontres au Caire avec Yahia Senoua (lire page 4).

Ces rencontres auraient débouché sur des ententes selon lesquelles Dahlan s’engagerait à payer des compensations aux familles des personnes tuées ou blessées lors des affrontements interpalestiniens qui ont eu lieu en 2007, alors qu’il occupait le poste de chef de la sécurité préventive à Gaza. Les autres engagements concerneraient l’allocation de subventions à la bande de Gaza, la représentation équitable de l’enclave dans les postes de sécurité au nouveau cabinet (même si la gestion du terminal de Rafah devrait revenir à Dahlan), la réinsertion des fonctionnaires issus du Hamas qui ont été titularisés après 2007 et la sécurisation de leurs salaires, etc. Tout cela permettrait à Dahlan de rentrer à Gaza et de présider le nouveau gouvernement en gestation.

Moustapha Leddawi, politologue originaire de Gaza, fut parmi les premiers à appeler Dahlan à retourner à Gaza et à s’entretenir avec le Hamas. « La nouveauté c’est qu’il existe maintenant un concours d’intérêt entre les deux parties. Dahlan souhaite rentrer à Gaza, alors que le Hamas passe par une période difficile. Ce rapprochement pourrait n’être que tactique, mais il est tout aussi possible qu’il débouche sur une entente stratégique. Les habitants de Gaza sont préparés à un tel rapprochement vu la souffrance quotidienne qu’ils endurent », explique Leddawi. Au Caire, des sources proches du dossier affirment que « l’Egypte n’est pas intéressée par la création d’une autorité parallèle à Gaza ». Ce qui a été proposé, selon les mêmes sources, c’est de donner à Dahlan un statut de représentant de Gaza auprès de l’Europe et des pays du Golfe, et non pas un poste de chef de gouvernement.

Quant au côté palestinien du terminal Rafah, il resterait exclusivement sous le contrôle de la garde présidentielle de l’Autorité palestinienne, insistent les sources cairotes. « Le Caire accorde un même intérêt à la Cisjordanie et ne permettrait pas des changements structurels à Gaza sans l’aval d’Abou-Mazen. Ce dernier a d’ailleurs reçu des assurances dans ce sens lors de sa visite cette semaine au Caire », affirme Tareq Fahmi, du Centre national d’études proche-orientales.

Bref, les relations entre les factions palestiniennes sont gérées par leurs accords internes. De son côté, l’Egypte observe ces évolutions tout en assumant son rôle traditionnel dans le dossier palestinien. Au final, ces changements pourraient avoir des répercussions positives sur l’Egypte, notamment en ce qui concerne la sécurité et le contrôle des frontières.

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