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Hébron, patrimoine mondial

Dalia Farouq (avec agences), Vendredi, 21 juillet 2017

Le Comité du patrimoine mondial de l'Unesco a inscrit, lors de sa 41e session, 21 nouveaux sites sur sa liste, dont la vieille ville d’Hébron. Ces nouvelles inscriptions portent à 1 073 le nombre total de sites déclarés patrimoine mondial.

Hébron, patrimoine mondial

Le comité de l’Unesco, réuni en Pologne du 2 au 12 juillet pour sa 41e session, a déclaré 21 nouveaux sites « zone protégée ». La vieille ville palestinienne d’Hébron, en Cisjordanie, en tant que site « d’une valeur universelle exceptionnelle en danger », a fait partie des heureux élus. L’Organisation onusienne a inscrit Hébron sur deux listes : celle du patrimoine mondial et celle du patrimoine en péril.

Douze membres du comité réunis à Varsovie, dans le sud de la Pologne, ont voté pour son inscription, 6 se sont abstenus et 3 ont voté contre. Etant donné l’abstention, la majorité requise était de dix voix. Le vote de vendredi est « un succès dans la bataille diplomatique menée par les Palestiniens sur tous les fronts face aux pressions israéliennes et américaines », a aussitôt déclaré le ministère palestinien des Affaires étrangères dans un communiqué. « Malgré une campagne israélienne frénétique visant à détourner et à minimiser les droits des Palestiniens, le monde a reconnu notre droit d’inscrire Hébron et la mosquée d’Ibrahim sous la souveraineté palestinienne », a ajouté le ministère, très heureux de cette décision.

Hébron : 5 000 ans d’histoire

Hébron, patrimoine mondial
(Photo ; AFP)

Hébron est l’une des plus vieilles villes du monde, datant de la période chalcolithique. Elle remonte à plus de 3 000 ans avant notre ère. La ville, qui se trouve dans le sud de la Cisjordanie, a été conquise par les Romains, les juifs, les croisés, les Mamelouks et les Britanniques.

L’utilisation d’une pierre calcaire locale a marqué la construction de la vieille ville d’Hébron, nommée en arabe Al-Khalil, au cours de la période mamelouke entre 1250 et 1517. L’élément central de la ville est le site de la mosquée d’Ibrahim ou le tombeau des Patriarches dont l’édifice se trouve dans l’enceinte construite au Ier siècle de notre ère pour protéger les tombes du patriarche Ibrahim et de sa famille. Ce lieu devint un site de pèlerinage pour les trois religions monothéistes : le judaïsme, le christianisme et l’islam. La ville était naguère située au croisement des routes commerciales. Des caravanes cheminaient entre le sud de la Palestine, le Sinaï, l’est de la Jordanie et le nord de la péninsule arabique. Bien que la période ottomane (1517-1917) ait étendu la ville dans les zones environnantes et apporté de nombreux ajouts architecturaux, en particulier la surélévation des maisons avec la construction d’étages supplémentaires, la morphologie globale de la ville mamelouke a persisté. Celle-ci a gardé l’organisation hiérarchique originelle de ces quartiers déterminés par les origines ethniques, la religion ou la profession des habitants, et les maisons sont toujours constituées selon le système arborescent traditionnel.

Hébron abrite aujourd’hui 200 000 Palestiniens et quelques centaines de colons israéliens, retranchés dans de multiples enclaves éparpillées un peu partout dans la ville, notamment près du lieu saint de la mosquée d’Ibrahim. Le site abriterait la dépouille d’Ibrahim, père des trois religions monothéistes, de son fils Isaac, de son petit-fils Jacob et de leurs épouses Sarah, Rebecca et Léa.

Selon l’Unesco, la liste du patrimoine mondial en péril est conçue pour informer la communauté internationale des menaces (conflits armés, catastrophes naturelles, urbanisation sauvage, etc.) pesant sur les sites et les biens protégés. Hébron, pour sa part, a été ces dernières années le théâtre de violences et de heurts meurtriers. Les Palestiniens estiment que le site est menacé en raison de la montée alarmante du vandalisme israélien visant les sites palestiniens dans la vieille ville. Les responsables israéliens estiment, de leur côté, que la résolution d’Hébron nie la présence juive.

Une ville sous haute tension

Hébron, patrimoine mondial
Les habitants d'Hébron s'attendent à une relance du tourisme après la décision de l'Unesco.

En un demi-siècle d’occupation israélienne, Hébron est devenue un lieu de conflit permanent et quasi quotidien. Les quelques centaines de colons protégés par d’autres centaines de militaires israéliens vivent dans un centre-ville devenu partiellement interdit d’accès aux Palestiniens.

A l’époque du mandat britannique sur la Palestine, une communauté juive vivait à Hébron avant d’être contrainte de partir à la suite du meurtre de 67 juifs en 1929. En 1994, un colon israélo-américain, Baruch Goldstein, a ouvert le feu dans la mosquée d’Ibrahim, tuant 29 fidèles musulmans en pleine prière avant d’être lynché. Actuellement, les échoppes du marché de la vieille ville sont en grande partie vides. Des filets ont été placés au-dessus des magasins pour protéger les Palestiniens des bouteilles et autres détritus que les colons leur lancent.

Alaa Shahin, membre de la municipalité d’Hébron, estime que le vote favorable de l’Unesco « aidera à soutenir le tourisme et les efforts des Palestiniens pour empêcher toute tentative de destruction des sites ».

Mohamad Abdel-Latif, adjoint du ministre égyptien des Antiquités, assure que c’est un pas en avant fait par l’Unesco, puisque l’Organisation onusienne assure ainsi que la mosquée d’Ibrahim est uniquement musulmane. C’est un message au monde entier affirmant le caractère arabe de cette ville antique et de sa mosquée. « Cette déclaration pourrait être utilisée, un jour, comme un document officiel dans le conflit israélo-palestinien. En Egypte, par exemple, nous avons utilisé des documents et des manuscrits historiques pour prouver au tribunal international que la ville de Taba, frontalière avec Israël, faisait bien partie du territoire égyptien », ajoute Abdel-Latif.

Patrimoine et politique

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A l'intérieur de la mosquéd d'Ibrahim.

Cette déclaration de la part de l’Unesco a causé, en fait, des réactions aiguës de la part d’Israël et des Etats-Unis. « Une autre décision délirante de l’Unesco. Cette fois-ci, ils ont estimé que le Tombeau des Patriarches à Hébron est un site palestinien, ce qui veut dire non juif, et que c’est un site en danger », a déclaré, de son côté, le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, dans une vidéo diffusée par ses services et mise en ligne sur sa page Facebook. Le porte-parole du ministère israélien des Affaires étrangères, Emmanuel Nahshon, avait auparavant qualifié la décision de l’Unesco de « souillure morale ».

L’ambassadeur d’Israël auprès de l’Unesco, Carmel Shama-Hacohen, intervenant immédiatement après le vote, a lancé une violente diatribe face à l’assemblée réunie. De la même façon qu’il l’avait déjà fait mardi dernier, lorsque le comité avait maintenu la vieille ville de Jérusalem sur la liste des sites en danger et que la représentante de Cuba avait demandé, comme il venait de le faire pour les victimes de l’Holocauste, une minute de silence pour les victimes palestiniennes du conflit.

En mai dernier, Israël avait également rejeté une résolution de l’Unesco concernant le statut de Jérusalem et considérant Israël comme une « puissance occupante », avant d’empêcher récemment des chercheurs de cette organisation d’effectuer une visite à Hébron.

Pour sa part, l’ambassadrice américaine auprès des Nations-Unies, Nikki Haley, a affirmé que cette initiative « discrédite encore plus une agence onusienne déjà hautement discutable », et que ce vote est un « affront à l’Histoire », a-t-elle ajouté dans un communiqué.

Les relations entre l’Unesco et Israël sont très mauvaises depuis 2011. Les Etats-Unis, mais également Israël, avaient alors suspendu leur contribution financière à l’agence onusienne qui se bat pour la préservation du patrimoine sans pouvoir échapper aux démêlés politiques qu’impliquent certaines décisions.

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