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Tiran et Sanafir, une affaire à multiples dimensions

Ahmad Eleiba, Mardi, 20 juin 2017

Le parlement égyptien a approuvé, mercredi dernier, la rétrocession des îles de la mer Rouge de Tiran et Sanafir à l’Arabie saoudite. Les répercussions régionales de cet accord sont multiples.

Tiran et Sanafir, une affaire à multiples dimensions
(PHOTO : AP)

La dimension régionale a toujours été présente dans l’affaire des îles de Tiran et Sanafir que l’Egypte est en passe de rétrocéder à l’Arabie saoudite, que ce soit lors de la création de l’Etat d’Israël en 1948 et les décisions de l’ancien président Gamal Abdel-Nasser de fermer le détroit de Tiran, lors de l’agression tripartite en 1956 et le déploiement d’une force onusienne dans le Sinaï, ou encore lors de la signature des accords de Camp David en 1979 en vertu desquels le Sinaï a reçu un statut sécuritaire particulier, dans la zone C. Avec la rétrocession des îles de Tiran à l’Arabie saoudite, il incombe désormais à cette dernière de veiller au respect de ces accords. Le chef de la diplomatie égyptienne, Sameh Choukri, a affirmé que l’accord de délimitation des frontières maritimes entre l’Egypte et l’Arabie saoudite (en vertu duquel les deux îles ont été rétrocédées à cette dernière), était le fruit de 11 séances de travail entre les deux pays entre les années 2010 et 2015. Cela dit, la dimension régionale reste l’aspect évident de cet accord.

Dès son annonce en avril 2016, le vice-prince héritier a envoyé une missive au premier ministre égyptien, Chérif Ismaïl, affirmant que son pays respecterait les engagements égyptiens figurant dans les accords de paix avec Israël, en référence notamment à la présence des forces multinationales, la non-utilisation militaire des îles et la liberté de navigation dans le Golfe de Aqaba. Ce qui revient à dire que l’Arabie saoudite deviendrait une partie prenante des accords de Camp David avec l’Egypte et Israël. Parallèlement, Moshe Yaalon, ministre israélien de la Défense au moment de la signature de l’accord égypto-saoudien, a affirmé qu’Israël avait reçu un engagement écrit de la part de l’Arabie saoudite soulignant que Riyad respecterait les termes des accords de paix de 1979. « Notre approbation était nécessaire ainsi que l’accord des Américains qui ont pris part au traité de paix », a ajouté Yaalon. « Nous sommes parvenus à un accord entre les quatre parties — les Saoudiens, les Egyptiens, Israël et les Etats-Unis — pour transférer la responsabilité des îles, à condition que les Saoudiens remplacent les Egyptiens dans l’annexe militaire de l’accord de paix », a-t-il poursuivi. A ce propos, des analystes politiques au Caire s’attendent à des arrangements à l’échelle régionale entre l’Egypte, l’Arabie saoudite, Israël et les Etats-Unis. Ils s’appuient sur un nombre d’indices, dont notamment le discours du président égyptien lors de sa récente visite aux Etats-Unis, où il a évoqué « l’accord du siècle ». Bien que les détails dudit accord n’aient pas été révélés, ses contours ont sans doute été définis lors du Sommet islamo-arabo-américain. L’Iran a été désigné, lors de ce sommet, comme le principal danger pour la sécurité régionale que ce soit pour les Arabes ou pour Israël. Le général Mohamad Kachkouch, expert en sécurité et professeur à l’Académie militaire Nasser, explique que « le projet sécuritaire régional a germé avec l’ambition du Caire de former une armée arabe unie ». Or, aujourd’hui, une autre coalition, plus souple, est en train de se former sous la houlette des Etats-Unis pour faire face à l’Iran. « Il faut voir aussi les coalitions qui se forment dans le camp opposé, surtout entre l’Iran et la Russie qui travaillent ensemble en Syrie depuis ces cinq ans », souligne le général.

Tiran et Sanafir, une affaire à multiples dimensions
(PHOTO : AFP)

D’après le chercheur saoudien, Anouar Achki, directeur du Centre de recherches du Moyen- Orient pour les études politiques stratégiques à Djeddah, ce sont les Etats-Unis qui s’occupent des arrangements entre les pays du Golfe et Israël. C’est ainsi que selon lui, Washington a géré le dialogue relatif aux îles de Tiran et Sanafir. « La politique américaine vis-à-vis du Golfe a changé, l’Administration Trump réalise l’importance de cette région. Les Américains ont reconsidéré l’attitude de l’Iran. Ce pays est présent en Syrie, au Yémen et en Iraq, et représente une menace pour la sécurité du Golfe et celle d’Israël. Washington a donc décidé d’intervenir pour protéger ses alliés dans le Golfe et Israël à travers le déploiement de systèmes antimissiles afin de parer à une éventuelle attaque iranienne », explique-t-il. D’après ce même chercheur, une solution de la cause palestinienne serait au coeur de ces arrangements sécuritaires. « Il y a le camp des Israéliens pacifistes qui émerge, l’Arabie saoudite s’est prononcée sur le processus de paix et le Hamas, de son côté, a publié un document reconnaissant les frontières de 1967, tout cela représente de nouvelles évolutions », note-t-il. Le fait que les îles de Tiran et Sanafir soient le pilier de ce système de défense régional a suscité l’intérêt pour des règlements similaires impliquant d’autres « îles stratégiques ». Il s’agit notamment de l’île de Socotra qui fait l’objet d’arrangements en cours entre le Yémen, les Emirats arabes unis et les Etats-Unis, et des îles de Farasan en Arabie saoudite dont la sécurité sera renforcée.

Les agissements de l’Iran qui aurait joué un rôle dans les récentes attaques de navires militaires dans le détroit de Bab Al-Mandeb risquent d’accélérer la mise en place de ce nouveau système de défense régional au large de Tiran et Sanafir, mais aussi des autres îlots.

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