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Sous le signe du dialogue

May Al-Maghrabi, Vendredi, 28 avril 2017

Le pape du Vatican effectue une visite pastorale, oecuménique et interreligieuse en Egypte les 28 et 29 avril. Celle-ci est placée sous le signe du rapprochement entre le Saint-Siège, Al-Azhar et l'Eglise copte orthodoxe.

Sous le signe du dialogue

« Un pape de paix dans une Egypte en paix », c’est sous ce slogan que l’Egypte accueille les 28 et 29 avril le pape du Vatican, François. C’est à l’invitation du président Abdel-Fattah Al-Sissi, du cheikh Ahmad Al-Tayeb, grand imam d’Al-Azhar, plus haute institution sunnite, du patriarche copte orthodoxe, Tawadros II, et des évêques de l’Eglise catholique égyptienne que le pape François se rend en Egypte. C’est la première visite d’un pape du Vatican en Egypte depuis celle de Jean-Paul II en 2000 (voir page 5). Il s’agit d’un voyage à la fois pastoral, oecuménique et interreligieux qui coïncide avec le 70e anniversaire du début des relations diplomatiques entre l’Egypte et le Vatican. L’agenda de la visite du pape est surchargé : il rencontrera le président Abdel-Fattah Al-Sissi, le grand imam d’Al-Azhar, et le pape Tawadros II (voir page 5). Un programme révélateur des enjeux de cette visite qui porte essentiellement sur trois axes : la consolidation du dialogue entre Al-Azhar et le Vatican, le rapprochement entre les deux Eglises orthodoxe et catholique, ainsi que la mise à profit des relations diplomatiques solides entre l’Egypte et le Vatican dans le domaine de la lutte antiterroriste. A cet égard, en signe de solidarité avec l’Egypte, le pape a maintenu sa visite en dépit des attentats qui ont visé le 9 avril deux églises orthodoxes, aux gouvernorats d’Alexandrie et de Tanta, faisant 46 morts.

Le gouvernement égyptien, Al-Azhar et les églises égyptiennes apprécient la visite du pape François : « L’Egypte attend avec impatience cette visite comme un message de paix, de tolérance et de dialogue entre les hommes de toutes les religions », affirme la présidence dans un communiqué. La présidence, qui rappelle que le président Abdel-Fattah Al-Sissi a rencontré le pape en 2014 lors d’une visite au Vatican, tient le pape François « en haute estime » et « admire sa stature morale et spirituelle ainsi que ses positions courageuses sur certaines questions internationales », a ajouté le communiqué. Le pape Tawadros II de l’Eglise copte orthodoxe a aussi salué la visite du pape du Vatican qui permettra, selon lui, plus de rapprochement entre les deux Eglises orthodoxe et catholique. « Il s’agit d’une confirmation des relations excellentes et constantes, entre catholiques et orthodoxes en Egypte », affirme le porte-parole de l’Eglise orthodoxe, le père Boulos Halim, à l’agence de presse catholique italienne SIR.

La dynamisation des relations entre le Saint-Siège et Al-Azhar en ce qui a trait au dialogue interreligieux est un enjeu important de la visite du pape. « C’est un coup de pouce au dialogue interreligieux ». C’est ainsi que l’institution sunnite d’Al-Azhar a commenté la visite prévue du pape du Vatican. A rappeler que le cheikh Ahmad Al-Tayeb, grand imam d’Al-Azhar, a été aussi reçu au Vatican au mois de mai 2016. Une rencontre qui avait marqué la reprise du dialogue entre Al-Azhar et le Saint-Siège interrompu depuis plus de 7 ans. Les deux dignitaires religieux avaient lancé un appel au monde entier afin de « mettre fin aux fleuves de sang causés par le terrorisme ». Le réchauffement des relations entre le Saint-Siège et Al-Azhar s’était surtout confirmé lors d’un séminaire commun au Caire en février 2017. Le Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux du Vatican et la commission du dialogue d’Al-Azhar s’étaient réunis pour parler de « la lutte contre le fanatisme, l’extrémisme et la violence au nom de la religion ». La rupture entre Al-Azhar et le Vatican était due aux déclarations de l’ancien pape Benoît XVI, en réaction à l’attentat commis le 31 décembre 2010, contre une église copte orthodoxe à Alexandrie, causant la mort d’une trentaine de chrétiens. Le pape avait notamment réclamé une protection internationale aux coptes d’Egypte. Officiellement, les relations entre le Vatican et Al-Azhar ont été rompues en janvier 2011. Or, à l’exception de Benoît XVI, les papes du Vatican ont, depuis les années 1960, exprimé leur grand attachement au dialogue avec les instances musulmanes. Depuis son arrivée, le pape François multiplie les messages de tolérance. « Je n’ai pas fait de choix entre chrétiens et musulmans, tous sont les fils de Dieu », avait-il dit. Selon Oussama Al-Azhari, conseiller à la présidence pour les affaires religieuses et prédicateur d’Al-Azhar, c’est surtout la convergence entre Al-Azhar et le Vatican depuis le pontificat du pape François, connu pour son ouverture, qui a favorisé la reprise du dialogue interreligieux. « Il existe une convergence de points de vue entre le Saint-Siège et Al-Azhar sur l’importance des institutions religieuses dans la lutte contre le terrorisme et le fanatisme. Les deux dignitaires religieux sont surtout d’accord sur le fait qu’il ne faut pas taxer une religion de terroriste. Et c’est ce qui distingue le pape François de son prédécesseur Benoît XVI dont les positions hostiles aux musulmans ont nui au dialogue entre Al-Azhar et le Vatican », pense Al-Azhari.

Un message fort

Selon un communiqué du Vatican, le but de cette visite est de démontrer l’importance du dialogue oecuménique en soutenant la communauté copte, mais aussi en renforçant le dialogue interreligieux. « Le pape souhaite rappeler qu’islam et christianisme ne sont pas en guerre », souligne-t-on au Vatican. Le pape François veut aussi éviter les stigmatisations, refusant tout lien entre islam et violences. « Le maintien de la visite du pape après les attaques terroristes contre les églises coptes montre la volonté du Vatican de soutenir l’Egypte dans son combat contre le terrorisme », estime Naguib Guébraïl, avocat des droits de l’homme. « Il s’agit d’un message fort et dissuasif destiné aux groupes terroristes. Cette visite va avorter toutes tentatives des groupes terroristes de semer la haine et le sectarisme entre musulmans et chrétiens. Elle reflète la conviction du pape que l’Egypte reste l’un des meilleurs exemples de coexistence pacifique entre les religions. C’est ce qui explique l’engagement du pape François au dialogue interreligieux entamé depuis le début de son pontificat que ce soit avec l’Eglise orthodoxe ou avec Al-Azhar », indique Guébraïl. Un rapprochement inéluctable, selon lui, alors que le pays connaît une montée de l’extrémisme. Vision partagée par le penseur copte Kamal Zakher, pour qui l’importance de cette visite réside dans les messages qu’elle transmet à plusieurs parties et au fait qu’il s’agit d’une visite d’ordre religieux et diplomatique. « A un moment où l’Egypte est en guerre ouverte contre le terrorisme, la visite du pape du Vatican, autorité diplomatique et religieuse, est un appel tacite à tous les pays occidentaux de soutenir l’Egypte dans sa guerre. Et là, il ne faut pas minimiser l’impact du soutien du Vatican à l’Egypte, car cette prestigieuse institution religieuse est suivie par plus de 2,5 milliards de catholiques dans le monde. Le Vatican, même s’il n’a pas d’autorité politique, ses recommandations sont influentes dans les cercles politiques partout dans le monde », souligne Zakher. Il souligne aussi l’importance des relations diplomatiques entre l’Egypte et le Vatican établies il y a 70 ans. « Ces relations bilatérales ont été toujours positives et ont servi la cause égyptienne et régionale. A titre d’exemple, après la défaite militaire en 1967, le Vatican a joué un rôle important en faveur de l’Egypte et a incité les pays occidentaux à la soutenir Aujourd’hui, le Vatican jouit d’une autorité spirituelle plus large et influente dont peut profiter l’Egypte », pense Zakher. Il rappelle que depuis son arrivée, le pape François essaie de se rapprocher des instances musul­manes les plus raisonnables.

Rapprochement entre les deux Eglises

Le rapprochement entre les deux Eglises catholique et orthodoxe est un autre axe de la visite du pape du Vatican. Selon Zakher, la rencontre prévue entre le pape du Vatican et le pape Tawadros II, patriarche de l’Eglise copte orthodoxe, est un nou­veau pas vers le rapprochement entre les deux églises en profondes dissen­sions depuis le Ve siècle. Le pape Tawadros II a été reçu au Vatican en 2013 lors du 40e anniversaire de la rencontre historique entre son prédé­cesseur, le pape Chénouda III, et le pape Paul VI au Vatican en mai 1973. Le pape Chénouda III avait alors pro­posé que chaque 10 mai soit célébré « l’amour fraternel qui unit l’Eglise catholique et l’Eglise copte ortho­doxe ». Une visite qui avait marqué le début d’un rapprochement entre les deux Eglises et préparé le terrain après des siècles d’incompréhension et de méfiance. La création en février 2013 du Conseil des Eglises d’Egypte regroupant les Eglises orthodoxe, catholique, évangélique et épiscopale a été un autre pas franchi vers l’unité interchrétienne. Cette institution ecclésiastique a été créée dans le but d’approfondir la coopération entre les églises locales. Zakher estime que dans ce contexte la rencontre entre le pape François et le pape Tawadros II aura des résultats importants et per­mettra de renouer le dialogue théolo­gique. « Il était important que les deux Eglises dépassent leurs diffé­rends et cherchent un terrain commun d’entente. Un rapprochement entre les deux Eglises a été constaté sur le plan spirituel et pastoral. Mais dans la pratique, beaucoup peut encore être fait, au niveau pastoral et carita­tif », souhaite Zakher.

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