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Monseigneur Antonios Aziz : Nous vivons en fait une théorie d’intérêts

Loula Lahham, Vendredi, 28 avril 2017

Monseigneur Antonios Aziz, évêque émérite de Guiza, mais aussi docteur en droit et membre du comité de rédaction de la Constitution égyptienne, revient sur les attentats du dimanche des Rameaux et sur le danger de la montée de l’extrémisme. Entretien.

Monseigneur Antonios Aziz : Nous vivons en fait une théorie d’intérêts

Al-Ahram Hebdo : Dans un cli­mat marqué par la montée de l'ex­trémisme, comment voyez-vous la visite du pape François ?

Mgr Antonios Aziz : Quand les gens ne se rencontrent pas, leurs idées divergent complètement et leur coeur perd sa chaleur. Si je veux les rappro­cher, le premier pas que je dois faire c’est de vouloir rencontrer l’autre, différent. Je dois le voir, le saluer, lui sourire, aller chez lui, l’inviter peut-être à une promenade ou à un souper. Je m’entretiens avec lui, je lui parle de ce qui est commun et de ce qui rapproche, tout cela en vue d’une acceptation mutuelle. Le pape a un message spécial pour chacun et j’imagine que ce message sera du type : « Il y a un sujet que j’aimerais aborder avec toi et sur lequel j’aime­rais que l’on s’entende ». Et ce sujet dépasse la politique égyptienne, Al-Azhar et les orthodoxes. Il concerne le bien-être de l’humanité entière.

— Justement alors que plusieurs sceptiques pensaient le contraire, le pape François a confirmé sa visite en Egypte au lendemain des atten­tats du dimanche des Rameaux. Comment lisez-vous cette déci­sion ?

— Sa Sainteté voudrait exprimer sa profonde solidarité avec les chrétiens d’Egypte dans leur douleur, quelle que soit la conjoncture sécuritaire. En tant que catholique égyptien, je suis fier de voir que mon Eglise n’accep­tera jamais ni l’injustice ni la discri­mination et qu’elle est proche de son peuple souffrant. Le Saint-Père a même envoyé l’un de ses cardinaux les plus importants pour annoncer la confirmation de la visite et réconfor­ter le pape Tawadros II (des coptes orthodoxes).

— A la veille de l’arrivée du pape François, l’Egypte déplore les 46 victimes disparues dans les deux explosions du dimanche des Rameaux. Nous connaissons les auteurs du crime. Selon vous, que voudrait faire Daech du monde arabe ?

— Il faut voir aussi le dessous de l’iceberg. Le planificateur de Daech se rend compte très bien que quoi qu’il fasse, il est impossible de vider l’Orient de ses chrétiens.

— Qui est ce planificateur dont vous parlez ?

— Ce n’est pas un seul, mais plu­sieurs. Baghdadi n’est qu’un exécu­teur de ce que décident plusieurs pays et puissances mondiales. Je ne crois pas qu’il existe en Orient une théorie du complot. Nous vivons en fait une théorie d’intérêts. Celui qui a un inté­rêt est celui qui agit. Et l’intérêt est non seulement l’effritement de l’Egypte, mais de toute la région.

— Pourquoi veulent-ils incendier la région ?

— Quand deux personnes se bagar­rent, c’est la troisième qui gagne la bataille. L’Occident achète notre pétrole à un certain prix. Si nos nations sont divisées, et qu’il y a plu­sieurs autorités dans un même pays, il pourrait se procurer l’énergie avec moins d’argent … Beaucoup de choses trouveront des solutions si nous comprenons cela. Mais j’ai l’im­pression que nous ne voulons pas comprendre et que nous nous lamen­tons, la majorité du temps, sous pré­texte que l’Occident voudrait s’ingé­rer dans nos affaires internes et nous veut du mal.

— Pourquoi n’arrivons-nous pas à contrer cela ?

— Je suis heureux de voir, enfin, que les intérêts des Etats-Unis, au moins dans plusieurs sujets, conver­gent avec ceux de l’Egypte. Ce qui n’était pas le cas avec Obama. Mais rien n’est garanti pour toujours. Les ennemis d’hier peuvent devenir les partenaires d’aujourd’hui, et vice-versa. Et nous avons l’exemple de la Deuxième Guerre mondiale. Ceci est naturel dans le monde de la politique. A nous donc de défendre nos propres intérêts selon nos préférences. L’Egypte a cassé l’expansion de la chaîne qui voulait briser les frontières et lier tous les pays arabes dans une bulle de terreur et d’obscurantisme. Mais Dieu nous a sauvés de justesse.

— Pendant que certains com­prennent cette théorie, 90 % des chrétiens iraqiens ont émigré, des millions de Syriens ont quitté leur pays, et les chrétiens d’Egypte sont visés par le terrorisme ...

— Ces gens-là se rapprochent de Dieu par leur terreur et leur douleur. C’est un angle qu’il ne faut pas négli­ger. Ce grand sacrifice a escorté notre fête de Pâques avec beaucoup d’amertume. Mais l’étonnant cette fois-ci, c’est que j’ai remarqué que la douleur n’était pas seulement celle des chrétiens. La douleur de nos frères musulmans était aussi élevée, et surtout très vraie. Eux aussi étaient blessés par ces actes de barbarie. Et même si nous avions annoncé dans nos églises que nous n’allions pas recevoir de félicitations pour la fête, les musulmans n’ont pas arrêté d’af­fluer, juste pour partager notre souf­france. Leur message était : « Nous sommes de coeur avec vous ». Et c’était un message très sincère.

— Que pensez-vous de l’homélie du pape Tawadros II à la messe de Pâques ?

— Le pape Tawadros II est un saint homme. Quelqu’un qui possède beaucoup de foi et de patience. Il a donné une forte leçon sur le compor­tement du vrai chrétien devant la douleur : aigri, sérieux et strict. Tout en restant pasteur et chef spirituel. Et avec la visite de condoléances du président Abdel-Fattah Al-Sissi au Patriarcat copte orthodoxe, nous avons senti qu’il était président de tous les Egyptiens, même si nous vivons dans une conjoncture qui n’est pas idéale.

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