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Sinaï: Un business Florissant

Aliaa Al-Korachi, Mardi, 23 avril 2013

Depuis le blocus sur Gaza, les tunnels font partie du quotidien des Sinawis, transformant la vie sociale et économique de la péninsule.

Les tunnels
Tout passe dans les tunnels, même le bétail. (Photo: AP)

« On le ressent très bien : c’est nous qui sommes sous blocus et non les Gazawis », répètent la majorité des habitants du Sinaï, voyant leurs besoins en produits de première nécessité partir à travers les tunnels en destination de la bande de Gaza. Si au bout du tunnel, côté Gaza, soumis à un blocus israélien depuis plus de sept ans, il s’agit d’une question de survie, à l’autre extrémité du tunnel notamment au Nord-Sinaï, les habitants souffrent de graves pénuries.

Un réseau de tunnels, estimé à 1 200, passe en effet sous la ligne frontalière de 14 km entre Rafah et la bande de Gaza, pour trouver enfin un débouché à l’intérieur de l’une des maisons étendues au long de la frontière. Une couche de nouveaux riches s’est formée parmi les propriétaires, dont un grand nombre a accepté d’accueillir les tunnels en contrepartie d’énormes sommes d’argent. Les bédouins, même qui étaient au départ acculés à la contrebande, y ont trouvé un moyen de gagner leur pain. Et dans cette région pauvre et désertique, exclue du plan du développement national, le commerce des tunnels devient avec le temps un vrai business.

Tout y passe. Des produits alimentaires, des médicaments et des matériaux de construction tels que le ciment, l’acier, et la contrebande de voitures et de cigarettes. Le bétail est également transféré à travers ces tunnels. Outre le trafic de carburants qui affecte toujours le quotidien des Sinawis qui, eux, font des queues interminables devant les stations d’essence. Selon des estimations, plus de 800 000 litres de carburants par jour sont acheminés vers la bande de Gaza, sans compter les quantités saisies par les forces de sécurité.

Après la révolution de janvier, ce genre de business a connu un épanouissement. Cheikh Aref, l’un des chefs de tribus, explique que les tunnels n’ont pas seulement vu leur nombre tripler mais se sont agrandis de deux et trois étages aussi. Voire, les moyens de contrebande ont connu une innovation : un simple tuyau passant dans un trou d’un côté à l’autre de la frontière suffit pour transporter des tonnes de carburants.

Millionnaires sans capital

Salakawi, gardien d’un tunnel, (contacté par notre correspondant au Sinaï), dévoile des secrets de cet univers clandestin et explique comment devenir millionnaire en un laps de temps très court et sans capital. Ceux qui y travaillent sont nombreux : « Le chanceux », c’est le propriétaire de la maison dans laquelle débouche, un jour, un tunnel. Il devient tout de suite un associé et récolte un pourcentage fixe de 10 % du prix des marchandises transitant par le tunnel. Le gardien du tunnel est un autre acteur dans cette affaire. Il est chargé de gérer le processus de la contrebande et lui aussi reçoit sa part de l’opération. Des courtiers, des porteurs et des fournisseurs transportent via les tunnels des marchandises et des matières premières du fond de l’Egypte ... Une équipe énorme travaille 24 heures sur 24 dans ce commerce souterrain. Quant à la gestion du trafic des marchandises, elle se fait simplement dans certains cas, par téléphone. Ici, tout a son prix. Les « billets de passage » souterrains pour un clandestin coûtent de 100 à 250 dollars. Le passage d’une voiture coûte aussi environ 500 dollars. Le chiffre d’affaires journalier, comme l’indique Salakawi, pour son tunnel atteint 300 000 dollars. « C’est un gain halal », car il est au service de ses frères en Palestine.

Pour Salah Al-Boulok, membre du conseil d’administration de l’Organisme du développement du Sinaï, l’affaire n’est pas seulement un simple business : les tunnels ne sont « qu’un axe du mal ». La contrebande des armes provenant de Libye et des extrémistes, à travers ces tunnels, nuit à la sécurité nationale de l’Egypte.

Selon Abdallah Qandil, président de la Chambre de commerce du Nord-Sinaï, le montant annuel du chiffre d’affaires de « ce commerce illicite » est estimé à deux milliards de dollars. « Aucun sou ne rentre dans le trésor de l’Etat. Par contre, le Hamas possède une administration officielle pour gérer les tunnels. Un contrôleur dépendant de cette administration est présent à la sortie de chaque tunnel pour calculer les impôts qui en seront prélevés », annonce-t-il.

Au Sinaï, les impacts sont aussi énormes. Le commerce des tunnels réduit les chances devant ceux qui exercent des activités commerciales officielles. L’absence d’une volonté politique de faire sortir ce commerce à la lumière est pointée du doigt par Qandil. Selon lui, la solution est simple. « La création d’une zone de libre-échange dans la ville d’Al-Arich, loin de la frontière, fera des tunnels une histoire ancienne », conclut Qandil.

Les tunnels attirent la main-d’oeuvre

Mais il faut le dire. En attendant la solution, les tunnels offrent toujours des opportunités de travail pour les jeunes de ce gouvernorat. « Malgré le grand risque auquel sont exposés les travailleurs souterrains, les tunnels attirent la main-d’oeuvre non seulement du gouvernorat du Sinaï mais de beaucoup d’autres gouvernorats de l’Egypte aussi », dit Aref. Environ 25 000 travailleurs, selon des estimations des deux côtés égyptien et palestinien, font ce métier. Leur salaire quotidien varie entre 80 et 100 dollars par jour. « Pourquoi travailleraient-ils ailleurs ? », s’interroge Aref.

Aujourd’hui, et suite à l’attaque meurtrière de 16 soldats sur la frontière de Rafah en août 2012, les forces armées mènent des campagnes pour la destruction et l’inondation de ces tunnels. Disparaîtront-ils ? Difficile à affirmer puisque les partenaires des tunnels des deux côtés redoublent d’efforts pour vite les remettre en service.

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