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Vers un nouvel élan diplomatique ?

Samar Al-Gamal, Mardi, 25 septembre 2012

L’initiative de Mohamad Morsi sur la Syrie démontre une volonté de repositionner l’Egypte sur l’échiquier régional. Les obstacles sont pourtant nombreux. Analyse.

Vers un nouvel élan diplomatique ?

« Le régime de Bachar Al-Assad ne tombera pas », aurait admis le président égyptien lors d’une réunion avec ses conseillers. De retour d’une courte tournée en Europe, Morsi aurait ainsi changé de point de vue après des discussions avec ses interlocuteurs européens. C’est en tout cas ce qu’affirme l’un des 17 conseillers du chef de l’Etat qui préfère garder l’anonymat.

Al-Ahram al-arabipubliait dans les jours suivants ce qu’il qualifiait « d’entretien le plus hardi avec le président syrien jamais réalisé », malgré le démenti direct du ministre syrien de l’Information, qui évoquait une simple rencontre informelle avec 9 journalistes.

Les déclarations de Bachar Al-Assad lors de cet entretien ne manquaient cependant ni d’intérêt, ni de verve, en particulier concernant Riyad et Doha. « Tout à coup, ils ont de l’argent et ils croient qu’avec, ils peuvent s’acheter l’Histoire, la géographie et un rôle régional », aurait-il asséné.

Assad flirtait par ailleurs avec l’Egypte : « L’idée répandue selon laquelle l’Arabie saoudite, la Syrie et l’Egypte sont les pierres angulaires de la stabilité dans la région est fausse. Cela a toujours été et restera toujours la Syrie, l’Iraq et l’Egypte ».

Or, pendant les années de Moubarak, en particulier à partir du décès d’Assad père, l’axe de coordination régionale s’est déplacé, l’Iraq étant remplacé par l’Arabie saoudite, et la Syrie par la Jordanie.

L’Egypte de Mohamad Morsi tente de se forger une place dans la diplomatie régionale en formant un nouvel axe non arabe. Il s’est attribué pour mission première de contribuer à la résolution de la crise syrienne notamment en formant un « quartette » de médiateurs internationaux comprenant aux côtés de l’Egypte, l’Iran, la Turquie et l’Arabie saoudite.

Ces pays se sont réunis au Caire la semaine dernière. La Turquie a salué timidement l’initiative égyptienne, alors que l’Iran a exprimé sa joie de participer à cette initiative qui est — pour Téhéran — l’occasion de sortir de l’isolement international qui lui est imposé.

Enfin, l’Arabie saoudite a opposé une fin de non-recevoir à cette invitation, craignant probablement l’importance que l’Egypte et l’Iran pourraient prendre au niveau régional. Le roi Abdallah bin Abdel-Aziz aurait voulu par ce geste souligner la souveraineté de son pays, qui avait le premier organisé une réunion,il y a deux mois, avec les dirigeants de l’Egypte, de l’Iran et de la Turquie pour discuter de la question.

Lutte pour la suprématie

Nous sommes bel et bien entrés dans une période de lutte ouverte pour la suprématie alors que l’échiquier régional des pouvoirs est en plein remaniement.

La Turquie rêve d’une sorte de retour de l’Empire ottoman ou au moins de retrouver l’influence qui était la sienne à cette période de l’Histoire. L’Iran est la référence chiite, face à La Mecque de l’Arabie saoudite sunnite. A l’Est, se trouve l’Egypte d’Al-Azhar, et aujourd’hui des Frères musulmans, qui veut se démarquer des années de Moubarak, allié des Américains, voire même d’Israël.

Morsi cherche une ligne de politique extérieure indépendante et la crise syrienne pourrait la cristalliser. Mais fait-il le poids ? Et est-il conscient des enjeux régionaux ?

L’Iran considère qu’une intervention militaire en Syrie, son allié stratégique, démantèlera l’axe qui tente actuellement de faire barrage à l’Amérique et à Israël. La Turquie a également fait ses calculs et a décidé de rompre avec Damas. Elle cherche une issue rapide à la crise syrienne qui a fortement affecté son économie.

Les Saoudiens cherchent à retrouver leur influence historique en Syrie, qui remonte à l’indépendance de celle-ci, tout en appliquant la vision américaine. Dans l’entretien mentionné en début de cet article, Assad aurait par ailleurs déclaré que Riyad avant le début du conflit syrien « n’avait servi que de médiateur avec l’Occident qui n’apprécie pas l’axe de résistance contre le sionisme prôné par la Syrie ».

Quel était vraiment l’objectif de Morsi en lançant cette initiative pour la Syrie ? Le journaliste panarabe Abdel-Bari Atwan écrit : « Morsi veut jouer la carte de l’Iran pour faire pression sur les Etats-Unis, l’Arabie saoudite et les autres pays du Golfe, afin d’obtenir un soutien économique pour son pays ; et il a d’ores et déjà réussi ». Il rappelle ainsi l’offre de 6 milliards de dollars faite par Riyad au Caire et l’offre qatari de 16 milliards de dollars en investissements. Les Etats-Unis ont pour leur part donné leur feu vert au Fonds monétaire international pour un prêt de 4,8 milliards de dollars à l’Egypte.

Première visite en Iran

Le mois dernier, à l’occasion du sommet des Non-Alignés, Morsi s’est rendu à Téhéran après trente ans de rupture diplomatique. Il y a ménagé le régime des mollahs tout en condamnant celui d’Assad, provoquant le départ de la délégation syrienne en signe d’indignation. Samedi, intervenant à la télévision égyptienne, il déclarait : « L’Iran était une partie de la solution et non du problème ».

Mais sur le fond, les analystes semblent peu convaincus que ce genre d’initiatives puisse mener effectivement à une solution. Lakhdar Brahimi, émissaire de l’Onu, qui s’est joint aux discussions des ministres de la Ligue arabe la semaine dernière au Caire, qualifiait amèrement la recherche d’une solution pacifique de mission « quasi impossible ». La situation « s’aggrave tous les jours », constatait Brahimi de retour de Syrie, alors qu’il s’apprêtait à présenter son premier rapport sur la crise syrienne devant le Conseil de sécurité de l’Onu, en prélude à l’Assemblée générale de l’organisation.

Le Conseil de sécurité attend du diplomate algérien qu’il présente une stratégie de sortie de crise, alors qu’aucune initiative n’est réellement attendue. Tout au long de la semaine, les chefs d’Etat reparleront de zone d’exclusion aérienne et d’aide humanitaire, mais les diplomates reconnaissent que le sort de la Syrie se décide désormais sur place, par les armes et non dans les couloirs de l’Onu. A Damas, une vingtaine de partis de l’opposition tolérés par le régime se sont réunis dimanche en présence notamment des ambassadeurs de Russie et d’Iran.

Au pouvoir depuis le 30 juin, le président Morsi veut contrer l’influence de l’Arabie saoudite, qui garde ses distances face aux Frères musulmans. Mais il tient aussi à rassurer les pays du Golfe satisfaits par sa position vis-à-vis de Damas.

Morsi s’efforce de diversifier ses appuis diplomatiques pour rompre avec l’immobilisme de Moubarak. Il cherche à être visible et surprend là où personne ne l’attendait. Mais la coalition qui a pris forme à son initiative risque de rester lettre morte en attendant que se dessine un projet de politique étrangère égyptienne plus clair l

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