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Le sort de la Syrie entre les mains des grands

Abir Taleb avec agences, Mardi, 11 avril 2017

La frappe américaine contre Damas, les messages contradictoires lancés par Washington et la vive réaction de Moscou rappellent une fois de plus qu'un éventuel règlement de la crise syrienne n'est possible qu'à travers un accord américano-russe.

Le sort de la Syrie
(Photo : AFP)

Les historiens de l’avenir s’amuseront sans doute en tentant de décrire cette « folle semaine », celle où l’Administration américaine de Donald Trump a pris de court tout le monde, a surpris tout le monde et a brouillé les cartes en passant de la conciliation à l’hostilité envers le régime syrien de Bachar Al-Assad. C’est, en effet, en l’espace de quelques jours à peine que les Américains ont fait savoir que l’épineuse question du départ de Bachar Al-Assad n’était pas une priorité, puisqu’ils ont bombardé des positions du président syrien. Cela s’est passé dans la nuit du jeudi 6 au vendredi 7 avril. Des frappes punitives, en réaction à l’utilisation présumée d’armes chimiques par le régime syrien, quelques jours plus tôt (le 4 avril) dans une attaque contre la localité rebelle de Khan Cheikhoun (nord-ouest de la Syrie).

Depuis, c’est la confusion. Car dans les Etats-Unis de Donald Trump, on doit s’attendre à tout. Et comme l’a déclaré Kathleen H. Hicks, une ancienne collaboratrice du Pentagone qui travaille au Centre pour les études stratégiques et internationales, citée par le New York Times, « il n’y a pas de doctrine au sens classique du terme qui émerge sur la politique étrangère de Trump. Il y a en revanche des caractéristiques claires qui émergent à propos de l’homme lui-même : imprévisible, instinctif et indiscipliné ».

Et son entourage semble suivre la même voie. Les déclarations des responsables américains se suivent mais ne se ressemblent pas. « Il n’y a aucune option avec laquelle une solution politique peut intervenir avec Assad à la tête du régime », a déclaré, dimanche 9 avril, l’ambassadrice américaine à l’Onu, Nikki Haley, au programme L’Etat de l’Union diffusé par CNN. La veille, le secrétaire d’Etat américain, Rex Tillerson, disait vouloir discuter avec le président syrien.

Des signaux contradictoires qui tempèrent les réactions enflammées des premières heures ayant suivi les frappes américaines, évoquant un tournant majeur dans le conflit syrien, une volte-face américaine. Aujourd’hui, c’est plutôt l’expectative. Si Nikki Haley n’a pas précisé si l’Administration Trump — qui, jusqu’à présent, se gardait d’appeler au départ du président syrien — avait changé d’approche, elle avait déjà averti, deux jours plus tôt, lors d’une réunion d’urgence du Conseil de sécurité, que les Etats-Unis étaient prêts à lancer de nouvelles frappes contre le régime syrien. Ce qui a provoqué la colère des alliés de Damas, les frappes américaines ayant radicalisé le camp d’en face. « L’agression contre la Syrie outrepasse toutes les lignes rouges. Désormais, nous réagirons fermement à toute agression contre la Syrie et à toute violation des lignes rouges », a affirmé, dans un communiqué, la « chambre d’opération conjointe », un organe basé en Syrie qui regroupe la Russie, l’Iran et les forces « alliées » dont le Hezbollah libanais. Et les chefs des armées russe et iranienne d’exprimer leur volonté de poursuivre leur coopération militaire en soutien au président Assad, « jusqu’à la défaite totale des terroristes et de ceux qui les soutiennent ».

Menaces sans lendemain ?

Cela dit, tout ceci pourrait n’être que des réactions immédiates et des menaces sans lendemain. « On ne peut pas juger, à l’heure qu’il est, si cette frappe aura des conséquences substantielles sur la crise syrienne et les tentatives de règlement. En fait, tout dépendra de ce que va faire Trump dans la période à venir », explique le politologue Hicham Mourad, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire. Selon lui, « Trump ne pouvait rester les bras croisés après l’attaque chimique. Il était obligé de réagir, pour sauver la face en tant que président de la plus grande puissance mondiale. Mais cette frappe peut ne pas être suivie d’autres. Si c’est le cas, et c’est tout à fait probable malgré les menaces américaines, elle n’aura pas de portée importante. En revanche, si l’Administration américaine va plus loin, et que les alliés de Damas réagissent, alors les choses peuvent vraiment changer ».

Changer pour aller dans quel sens ? Telle est la question que l’on se pose désormais. En effet, la logique de confrontation née de l’attaque américaine n’arrange pas les choses. Elle a repositionné la problématique syrienne, la limitant une fois de plus au simple bras de fer entre les deux grandes mondiales, alors que ces derniers mois, la situation était plutôt différente, avec une Russie forte et omniprésente, et une Amérique de moins en moins intéressée par le conflit. Ce qui avait jeté les bases d’un possible règlement, même s’il devait se faire en faveur du régime syrien. Aujourd’hui, c’est en quelque sorte un retour à la case départ avec l’opposition Moscou/Washington, et un retour de la hautement délicate question de l’avenir de Bachar Al-Assad. « Mais qu’ils aillent plus loin ou non, les Américains ne peuvent changer seuls la donne. Rien ne peut être fait sans une concertation préalable avec la Russie. Ces derniers temps, les Etats-Unis étaient marginalisés de toute la question syrienne. Ils sont loin des discussions d’Astana, parrainées par Moscou et qui se penchent sur les questions militaires, et ils sont loin de Genève, où se tient le processus politique. Et malgré cette frappe, ils restent désavantagés par rapport aux Russes. Tout doit se faire par le biais d’un accord avec Moscou. Et je pense que, à terme, Washington et Moscou peuvent trouver un accord, avec à terme le départ de Bachar Al-Assad », explique Dr Hicham Mourad.

Priorité : Lutte antiterroriste

De même, selon l’analyste politique, « les Russes sont tout à fait capables de lâcher Assad à terme si leurs intérêts sont avec quelqu’un d’autre, ou s’ils parviennent à un accord avec les Américains : un départ à terme d'Assad en contrepartie de leur laisser la Syrie d’après-Bachar sous leur influence, le tout avec en toile de fond la lutte contre Daech. L’avenir d’Assad dépend uniquement du soutien des Russes. Aujourd’hui, il y a plus de possibilités de parvenir à un accord entre Russes et Américains qu’à l’époque de Barack Obama. Car au fond, au-delà de cette frappe, Trump s’en fout un peu de la Syrie, mis à part la question de la lutte antiterroriste ».

En effet, Rex Tillerson l’a répété : « La première des priorités (pour les Etats-Unis en Syrie) est la défaite du groupe Etat Islamique (EI) ». « Une fois que la menace de l’EI aura été réduite, voire éliminée, je pense que nous pourrons alors tourner notre attention directement vers la stabilisation de la situation en Syrie », a-t-il développé, en se déclarant « confiant de pouvoir prévenir une continuation de la guerre civile (à travers le pays) et amener les différentes parties à la table (des négociations) pour entamer le processus de discussions politiques ».

Ainsi, si le Moyen-Orient a toujours imposé ses dynamiques, à la fois complexes et tragiques, aux locataires successifs de la Maison Blanche, aucune administration n’a fait preuve d’autant de confusion que l’Administration Trump. A une exception près : le soutien inconditionnel à Israël. Car, faut-il le rappeler, Israël, la partie la plus préoccupée par la possible détention d’armes chimiques par Damas, a été le premier pays à se féliciter publiquement de cette frappe américaine en Syrie.

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