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Les alliances libyennes sur des sables mouvants

Kamel Abdallah, Chercheur au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques d’Al-Ahram, Jeudi, 16 février 2017

Les négociations sur un amendement de l'accord de Skhirat risquent de pousser les parties du conflit à reprendre les armes

Les alliances libyennes sur des sables mouvants
Les principaux acteurs libyens n’ont jamais réussi à entretenir une alliance sur le terrain. (Photo : reuters)

L’accord politique signé par les parties libyennes, le 17 décembre 2015 à Skhirat (Maroc), a représenté un jalon important dans l’histoire de la crise politique et sécuritaire qui perdure en Libye depuis la chute du régime de Muammar Kadhafi en 2011. Mais cet accord n’a toutefois pas réussi à atténuer l’état de polarisation qui s’accentue depuis 2014. Ce fait est notamment dû aux positions de certains acteurs de poids qui rejettent l’accord dans sa forme actuelle et qui refusent de changer d’attitude vis-à-vis de leurs adversaires politiques. Tout au long des négociations, qui ont duré pendant plus d’un an, les parrains de l’accord ont compté sur la « reconnaissance internationale » susceptible, selon eux, d’amener les adversaires à rallier le processus politique soutenu par l’Onu et les puissances occidentales. Mais de leur côté, les parties libyennes contestataires se sont confortées dans un contexte régional plutôt hostile à cet accord. Pendant cette année de négociations, les principaux acteurs libyens n’ont réussi ni à soutenir un projet politique ni à entretenir une alliance sur le terrain.

Fissures internes

Au début, deux parties se disputaient la légitimité politique, il s’agissait de la « Conférence nationale générale » à Tripoli et du « Conseil des députés » à Tobrouk. Alors que la légitimité militaire était disputée par le général Khalifa Haftar qui a lancé la campagne dite Al-Karama (la dignité), le 16 mai 2014 sous le label de la guerre contre le terrorisme, et la coalition des milices Fajr Libya, formée le 13 juillet la même année en réaction à l’opération Haftar. Chacune de ces parties disposait d’un réseau d’alliés politiques et sécuritaires aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. Un an après, aucune de ces parties n’a échappé aux fissures internes. A l’ouest, la coalition de Fajr Libya s’est désintégrée, alors que de nombreux membres de la « Conférence nationale générale » ont rallié le « Conseil de l’Etat », une institution législative prévue par l’accord de Skhirat. Ce fut de même à l’est du pays : Ibrahim El-Jadhran, en charge de la sécurité des champs pétroliers dans le centre du pays, a déserté les forces d’Al-Karama et est devenu un ennemi juré du général Haftar. Celui-ci a par la suite réussi à recouvrir le contrôle des différents champs en septembre 2016, ce qui a beaucoup renforcé sa position militaire et politique. Alors que le Conseil des députés, dont une majorité des membres soutient l’accord politique, ne parvient pas à se réunir faute de quorum. De même, le mandat de ce conseil a pris fin en octobre 2015, et aucun plébiscite n’a eu lieu pour le prolonger, ce qui a accentué la crise de légitimité dans le pays.

Conformément à l’accord politique de Skhirat, c’est ce même accord qui confère leur légitimité aux institutions de l’Etat après la fin de leur mandat prévu par la déclaration constitutionnelle. L’accord a ainsi prévu un corps législatif bicaméral, qui comprend le Conseil de député (chambre basse), et le Conseil suprême de l’Etat (chambre haute), en tant qu’entité consultative. Quant à l’exécutif, il serait formé, toujours conformément à l’accord, d’un conseil présidentiel de 9 membres, et d’un gouvernement d’union nationale qui gérerait le pays en attendant la rédaction d’une nouvelle Constitution. Or, les dissensions persistantes ont obstrué le processus politique qui était censé sortir le pays de sa crise. Tout au long de l’année 2016, le Conseil des députés n’a pas pu se réunir pour se pencher sur la déclaration constitutionnelle et y inclure l’accord politique. Les alliances en place se sont modifiées. A l’ouest, les forces de Misrata ont mené une coalition militaire, sous la houlette du Conseil présidentiel du gouvernement d’union nationale, afin de reprendre la ville de Syrte à l’organisation de l’Etat Islamique (EI). Au bout de sept mois de combats, les forces de Misrata ont réussi à déloger les combattants de l’EI de leur principal bastion en Afrique du Nord. Une victoire qui ne manquera pas de confirmer l’importance de Misrata et sa place dans tout futur arrangement politique et militaire.

Controverse sur le commandement de l’armée

Désormais, la controverse concerne certains points de l’accord de Skhirat, notamment les clauses relatives au commandement de l’armée, les prérogatives des institutions du pouvoir exécutif, à savoir le Conseil présidentiel et le gouvernement d’union nationale, ainsi que les prérogatives du Conseil des députés et de son président actuel. L’obstacle contre lequel butteraient les futures négociations concernerait justement le commandement de l’armée, un droit disputé entre le général Haftar et le président du Conseil des députés, Aguila Salah, qui revendique aussi un droit de regard sur l’attribution des postes-clés de l’exécutif. A l’ouest du pays, les parties proches de Misrata et du Conseil suprême de l’Etat sont prêtes à considérer la participation de Haftar dans les futurs arrangements, alors que les partisans du grand mufti, Sadik Al-Ghariani, persistent dans leur refus du général. A l’est, le Conseil de députés serait prêt à la reprise des négociations, sans être en mesure de choisir ses négociateurs. Alors que le général Haftar poursuit ses opérations militaires, menaçant de temps en temps de déplacer les combats vers Tripoli.

Or, le discours sur la modification de l’accord politique est susceptible d’encourager les parties du conflit à relancer la guerre civile, dans l’espoir de consolider leur position sur le terrain et, du coup, leur place autour de la table de négociation. D’où la réticence de la communauté internationale à appeler à la rédaction d’un nouvel accord.

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