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Présidence palestinienne : Les embarras de la succession

Ahmed Eleiba, Mardi, 11 octobre 2016

La succession du président palestinien, Mahmoud Abbas, est désormais au centre d'importants débats, alors que son rival, Mohamad Dahlan, veut marquer son retour et que la réconciliation interpalestinienne est dans l'impasse.

Présidence palestinienne : Les embarras de la succession
(Photo : AFP)

Après l’hospitalisation, la semaine dernière, de Mahmoud Abbas, Abou-Mazen, (81 ans) dans un hôpital de Ramallah pour des examens cardiaques, la question de sa succession n’est plus confinée aux cercles politiques. Les déclarations rassurantes sur son état de santé n’ont pas suffi pour clore le dossier. Cet état de santé coïncide avec un plan « secret » monté par le « quartet arabe » qui prévoit une ère post-Abbas où la présidence de l’Autorité palestinienne reviendrait probablement à Mohamad Dahlan, le rival d’Abou-Mazen au sein du Fatah et ancien chef de la sécurité très contesté dans les territoires palestiniens.

Cet état coïncide aussi avec une situation interne très tendue, du fait que la Cour suprême a décidé de tenir les élections municipales en Cisjordanie écartant Gaza, dirigé par le Hamas. L’Autorité palestinienne a alors décidé de reporter indéfiniment la date de ce scrutin. (Lire page 5).

Selon Sobhi Esseila, chercheur au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, choisir le successeur de ce président octogénaire, au pouvoir depuis 11 ans, est une affaire d’autant plus épineuse en l’absence d’un « numéro deux » dans les hauts échelons de l’Autorité. « A l’époque de Yasser Arafat, il était connu qu’Abou-Mazen était le numéro deux, même si rien n’était officialisé. Cela a été suffisant pour éviter les conflits et la concurrence entre les dirigeants palestiniens. Aujourd’hui les choses sont beaucoup plus compliquées, à moins que Abbas ne décide de trancher l’affaire et prévenir la crise », ajoute le chercheur.

« Après la mort de Yasser Arafat, Abou-Mazen a été élu président de l’Autorité palestinienne et pris les rênes de l’OLP (Organisation de Libération de la Palestine). La succession a eu lieu en douceur, ce qui a préservé l’avenir et le système politique », rappelle, de son côté, le professeur de droit Jihad Al-Harazeen, lui-même membre du Fatah. Et d’ajouter : « La création d’un poste de vice-président doit passer par un amendement de la loi fondamentale, ce qui nécessite le vote des deux tiers des membres du Conseil législatif qui ne s’est pas réuni depuis 2007. Mais il serait également possible de convoquer le Conseil national palestinien ou le Conseil central de l’OLP pour prendre les décisions susceptibles de sauvegarder le système politique palestinien ».

Un deuxième problème se situe au niveau institutionnel, entre l’Autorité palestinienne, l’OLP et le mouvement Fatah, qui sont tous présidés par Abou-Mazen. Ce qui revient à dire qu’une éventuelle disparition de ce dernier affectera ces entités. « Abou-Mazen sera succédé par trois personnes, mais le problème sera toujours la concurrence entre ces personnes », prévoit Tarek Fahmi du CEPS d’Al-Ahram.

Cinq noms

Reste ensuite la position des pays arabes, leurs relations avec Abou-Mazen et avec celui ou ceux qui le succéderont. « Dans ce marché de candidats, la politique des axes peut refaire surface dans la région avec certains pays soutenant un candidat, et d’autres pays soutenant un autre candidat. Parce qu’en fait, les décisions palestiniennes cruciales ne sont jamais prises à l’intérieur de la Palestine », explique Mohamad Gomaa du CEPS. Les initiatives de réconciliation ne sont en effet jamais cessées de se multiplier. (Lire page 4).

Or, Abou-Mazen a ses raisons pour s’accrocher au pouvoir sans rien céder de ses prérogatives. « Le Caire pense qu’il serait temps pour désigner un successeur à Abou-Mazen pendant que ce dernier est au pouvoir, afin de ne pas laisser le champ ouvert à toutes les possibilités », affirme une source qui a préféré garder l’anonymat. « Le Caire propose au moins cinq personnalités, dont notamment Mohamad Dahlan, principal concurrent de l’actuel président. Mais cela ne veut pas dire que Le Caire ira jusqu’à l’imposer », ajoute cette source qui prévoit néanmoins que Dahlan sera le prochain président, « sans minimiser le poids d’autres personnalités comme le chef des renseignements, Magued Farag ».

Selon les rumeurs circulant au Caire, les relations avec Abou-Mazen ne sont pas au beau fixe. « Il y a un an ou plus, Le Caire a abordé avec Abou-Mazen le sujet de sa propre succession, jugeant que les circonstances exigent de telles préparations », poursuit la même source. « La rivalité entre Abbas et Dahlan est une importante clé pour comprendre l’étendue de la crise. Le Caire a toujours favorisé une réconciliation pour mettre un terme à leur querelle vieille de plusieurs années et qui a récemment donné lieu à un échange public d’accusations. Mais il paraît que cette réconciliation n’aura jamais lieu », ajoute la source. « Dahlan vise le leadership du Fatah, mais tout le monde sait que s’il devient leader du Fatah, Dahlan pourra facilement étendre son contrôle aux autres entités, malgré la présence d’autres dirigeants, plus âgés, et qui ne sont pas en bonnes ententes avec lui », toujours d’après la même source. Pour finir, Abbas peut jouer la carte de la nomination d’un vice-président, ce qui est très probable. « Le Caire serait favorable au choix de Saëb Erakat, ou du moins quelqu’un dans son cercle étroit. Mais cette démarche, si elle est prise sans consultations, risque sans doute de faire voler en éclats les ententes en place », conclut la source.

Une conférence organisée par Dahlan ?

Dahlan a souhaité organiser de son côté une conférence au Caire, à laquelle il inviterait des dirigeants du Fatah. D’après la presse palestinienne, cette idée a envenimé les relations entre l’Egypte et Abou-Mazen, surtout que les Emirats arabes auraient donné leur aval à la tenue d’une telle réunion. Toutefois, les déclarations des sources interrogées par l’Hebdo n’ont pas permis de confirmer la tenue de ladite conférence. « Il pourrait s’agir d’une réunion restreinte dans un centre de recherche », a déclaré l’une de ces sources. Ce qui signifie que Le Caire ne souhaite pas couper les ponts avec aucune des parties.

Loin de Dahlan, des sources au Caire ont avancé d’autres noms comme Nasser Al-Qoudwa, « une personnalité respectée par toutes les parties ». Sauf que sa candidature ne sera jamais facile en présence d’autres dirigeants historiques « estimés au Caire » tels que Nabil Chaath et Jibril Al-Rajoub, selon ces sources.

Le Hamas, qui suit de près la situation, n’a d’affinité avec aucun des candidats à la succession d’Abou-Mazen. Dans une interview récente, Mahmoud Al-Zahar, un faucon du Hamas, a brièvement commenté la candidature de Dahlan : « Inacceptable. Beaucoup de sang nous sépare, on ne pourra jamais le pardonner ».

La succession d’Abou-Mazen est une affaire compliquée d’autant plus que celui-ci estime qu’il est encore trop tôt d’en parler. « Le choix est le nôtre. Et nous sommes les seuls à prendre les décisions. Personne n’a autorité sur nous », a-t-il déclaré récemment en fustigeant certaines capitales qui financent l’AP, mais sans les nommer. La difficulté se situe également au niveau des entités et mouvements palestiniens. Les chances d’un rapprochement entre Dahlan et Abou-Mazen semblent minimes, et le moment venu, d’autres protagonistes pourraient faire jouer leurs cartes. Pourtant, un rapprochement entre Abou-Mazen et le Hamas est plausible dans ce contexte. Le Hamas serait plus proche de lui que Dahlan, qu'on accuse d’avoir tué le président Arafat. Le président palestinien a ainsi récemment multiplié les déclarations sur la formation d’un gouvernement d’unité qui inclut le mouvement de résistance, et la décision d’annuler les élections au lieu d’écarter Gaza semble être un pas vers ce rapprochement .

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