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Une subvention high-tech

Nourane Chérif, Mardi, 23 août 2016

Le pain est tellement essentiel aux Egyptiens qu’on l’appelle « la vie » en dialecte national. La question de son prix et de sa subvention a été partiellement résolue par l’adoption d’un système de cartes à puce.

Une subvention high-tech
La carte à puce a mis fin aux longues files d'attente. (Photo : Reuters)

Ayant provoqué de graves émeutes en 1977 et en 2008, le pain, dont le prix est un élément fondamental sur le plan politique égyptien, a contribué aux dernières vagues de révolutions qui ont déferlé sur les pays arabes en 2011. Cinq ans plus tard, après que le slogan « Pain, liberté, justice sociale » eut été martelé sur la place Tahrir, des réformes ont été introduites à son système de subventions.

Le nouveau système introduit par le ministre de l’Approvisionnement, Khaled Hanafi, à la mi-2014, dans le cadre d’un nouveau système des subventions sur l’alimentation, vise à rationaliser la distribution du pain et à limiter la part par personne de pain subventionné à 5 galettes par jour, au lieu de 20 sous l’ancien système. Selon Fathi Al-Charkawy, député et membre de la commission parlementaire qui enquête sur l’affaire de corruption impliquant plusieurs sociétés de stockage de blé, « c’est grâce à l’ancien ministre de la Solidarité et de la Justice sociale, Gouda Abdel-Khaleq, que ce nouveau système a vu le jour, c’est lui qui a lancé l’idée ».

Seules les familles qui détiennent une carte d’approvisionnement à puce ou « carte intelligente » auront accès au pain dont le prix est subventionné. En présentant sa carte à puce, glissée dans le lecteur, chaque personne peut acheter 5 galettes par jour, en ne payant chaque galette, d’environ 100 grammes, que 5 piastres, prix fixé depuis 1980.

Quant aux boulangers, ils ont intégré le système bancaire afin de pouvoir toucher environ 31 piastres du gouvernement, pour compléter le coût de revient. Avant, l’Etat vendait la farine à prix cassé aux boulangeries, chacun avait un quota de sacs à environ 8 livres égyptiennes pour 55 kilogrammes. Mais ce même sac valait sur le marché noir entre 120 et 130 livres. Sous le nouveau système, le prix de la farine est libéralisé, il est vendu au prix du marché, et le boulanger ne touche l’aide de l’Etat qu’après avoir vendu le pain. Ce qui limite la fraude.

Dans le budget de l’Etat actuel, le gouvernement a consacré plus de 42 milliards de livres égyptiennes au nouveau système de subventions sur la nourriture, dont plus de 23 milliards consacrés à la farine et au pain. Le ministre Hanafi affirme que le nouveau système a permis de stopper le gaspillage à hauteur d’environ 12 milliards de livres égyptiennes.

Pour l’instant, la réforme du pain subventionné facilite l’approvisionnement grâce à la carte à puce, mais suscite l’insatisfaction de ceux qui n’en disposent pas. « Les personnes qui ne possèdent pas de carte ou qui veulent plus de 5 galettes par personne doivent payer la galette à 36 piastres », précise le député Yasser Omar, sous-secrétaire de la commission parlementaire du budget et de la planification.

Des lacunes à combler

« L’ancien système était hors contrôle : le pain subventionné pouvait être acheté par tout le monde, beaucoup de personnes qui n’en avaient pas besoin en profitaient. La modification du système de subvention était ainsi une nécessité incontournable », estime Hania Cholkamy, chercheuse auprès du Social Research Center de l’Université américaine du Caire. Pour Omar, « l’une des réalisations les plus importantes de ce nouveau système, c’est qu’il a mis fin aux longues files d’attente devant les boulangeries. Avant l’application de ce système, pour acheter son pain subventionné, il fallait faire la queue dès l’aube ». Cholkamy aussi pense que « le nouveau système représente une entrée à marche forcée dans la modernité. Avec les bases de données informatiques qu’il construit, le nouveau système pourra être considéré comme un pas vers la transparence. En plus, il aide le gouvernement à découvrir les modes de consommation répandues au sein de la société, et par suite, aide à élaborer les politiques publiques ».

La nouvelle carte ne sert pas à acheter uniquement du pain : chaque détenteur a le droit à un quota qui peut aussi être utilisé, via un système de points, pour acheter d’autres produits dans les épiceries subventionnées. « Malgré l’importance du système et le changement révolutionnaire qu’il a introduit, il souffre de grosses lacunes », tempère toutefois Omar. « Il y a des citoyens qui continuent de profiter du pain subventionné, bien qu’ils n’en aient pas besoin et qu’ils ne méritent pas d’en profiter. C’est illogique que, selon les chiffres officiels, 86 millions d’Egyptiens profitent d’une carte à puce, ainsi le fait que presque tous les Egyptiens aient besoin de la subvention est incroyable. Il est clair que le système est piraté ». La distribution des cartes à puce n’est en effet pas liée au numéro unique d’identification nationale de chaque citoyen, ce qui ouvre la voie à plusieurs fraudes. « Certains réussissent à posséder plusieurs cartes en même temps, et ainsi, acheter plus que les 5 galettes par jour », explique Cholkamy.

Selon Omar, « la première étape à prendre, afin de garantir la réussite de ce système, sera la définition de celui qui a droit à la subvention, il faut que cela soit attribué selon des critères sociaux ». Pour Cholkamy, « le facteur décisif, afin de combler les lacunes de ce nouveau système, est la nécessité de tolérer un certain degré de suivi et de contrôle populaire ; le gouvernement ne pourra pas assurer efficacement tous les rôles en même temps ». De même, « l’Etat doit appliquer les politiques sociales d’une manière décentralisée qui prend en compte les besoins variés des différents gouvernorats. Par exemple, en raison de la hausse des prix des produits de base dans les gouvernorats frontaliers, les citoyens ont besoin essentiellement de produits alimentaires subventionnés, et non pas du pain », conclut-elle.

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