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Le scandale du blé détourné

Samar Al-Gamal, Mardi, 23 août 2016

La commission d'enquête du parlement nommée pour éclaircir l’affaire de corruption relative au stockage du blé poursuit son travail.

Le scandale du blé détourné
(Photo : Reuters)

Le blé est l’aliment de base du pays et le casse-tête permanent des différents gouvernements. Cette céréale qui produit le pain quotidien de quelque 90 millions d’Egyptiens et est subventionnée par l’Etat, se trouve au centre d’une immense affaire de corruption qui aurait coûté au trésor public, dans une première estimation, quelque 560 millions de L.E. (66 millions de dollars). Ce chiffre temporaire a été établi par le président d’une commission d’enquête parlementaire, Magdi Malak, et pourrait atteindre 5 milliards de L.E., selon lui, avec la révélation de plusieurs autres affaires et un mandat d’arrêt récemment émis par le procureur général.

L’affaire concerne une seule étape du stockage du blé, dont la consommation avoisine les 15 millions de tonnes par an, selon les chiffres officiels, et 18 millions selon les estimations officieuses. Dans ce processus, l’Egypte, premier importateur de blé au monde, importe environ 11,5 millions de tonnes (selon l’Organisation des Nations-Unies pour l’alimentation et l’agriculture, FAO), notamment de Russie et d’Ukraine. Un chiffre similaire à celui de l’année dernière, toujours selon la FAO. L’Egypte importait la majorité de son blé des Etats-Unis jusqu’au début des années 2000, avant de décider de diversifier ses sources en s’approvisionnant en Argentine et en France. Selon le ministère de l’Agriculture, l’Egypte n’importe que 9 millions de tonnes de blé, car en 2012, le GASC (General Authority for Supply Commodities), l’organisme qui gère les céréales, a réduit ses achats faute de moyens, stabilisant les importations autour de 8 millions de tonnes.

Pour combler le manque de céréales, le pays compte désormais sur sa production locale. Et pour encourager les agriculteurs à cultiver du blé, le ministère de l’Agriculture rachète ce blé local à 800 L.E. la tonne, soit à un prix plus élevé que le blé importé. « C’est le point de départ de cette corruption fleurissante que nous tentons de stopper », affirme Malak, dont la commission a révélé des livraisons fictives de blé dans des silos de stockage. « Nous avons visité 12 sites sur les 517 que compte le pays, et dans chaque site, nous avons découvert une différence entre la quantité réelle de blé stocké et la quantité annoncée sur les documents, pour un total de 200 000 tonnes de céréales, c’est-à-dire environ 40 % de l’ensemble du blé local. L’idée est simple : faire entrer des quantités fictives de blé local dans les silos et toucher l’argent. L’autre moyen consiste à mélanger une quantité de blé importé à celle produite localement et de la vendre en tant que blé égyptien, en empochant la différence », ajoute-t-il.

Nouveaux règlements

Pour stopper ce phénomène, le gouvernement a décidé d’imposer de nouveaux règlements, rendant le processus de vente du blé local encore plus compliqué. Les autorités ont décidé d’acheter uniquement les récoltes de blé des agriculteurs disposant des titres de propriété agricole de leurs terrains, ce qui exclut environ 30 % des terrains de blé cultivés. Le ministère de l’Agriculture voulait alléger cette condition dans certains cas, mais il s’est rétracté après la polémique créée par cette affaire de corruption. Le procureur général, Nabil Sadeq, a émis plusieurs mandats d’arrêt contre des personnes présumées impliquées dans l’affaire, dont certaines sont en fuite. Les députés pointent aussi du doigt le ministre de l’Approvisionnement.

Le pays, qui subventionne le pain à hauteur de 24 milliards de L.E. par an, a récemment décidé d’instaurer un nouveau système d’achat du pain subventionné et distribue désormais des cartes qui permettent à 70 millions d’Egyptiens sur 90 millions d’acheter 5 galettes par jour de pain subventionné. Le gouvernement, qui a commencé à diminuer les subventions accordées à plusieurs produits de base, n’a pas encore osé toucher au pain. Une proposition sur une libéralisation totale des achats de blé et de ventes du pain apparue l’année dernière a vite été écartée. Personne ne veut prendre le risque qu’il y ait une pénurie semblable à celle de 1977 ou celle de 2008, qui avaient provoqué de graves émeutes.

En dépit des efforts pour défendre la production locale, le blé égyptien, cultivé sur moins de 5 % du territoire et donnant officiellement une récolte d’environ 9,4 millions de tonnes, est loin de couvrir les besoins des Egyptiens. Hussein Abou-Saddam, président du Conseil suprême des agriculteurs qui regroupe un grand nombre de syndicats, estime : « Si le gouvernement a acheté 4 millions de tonnes, et que la moitié de la part restante est consommée et stockée par les paysans, alors plus de 2,5 millions de tonnes ont été vendues au marché noir » (lire page 4). « Ce chiffre est exagéré. Il faut s’appuyer sur les chiffres du broyage du blé pour connaître la consommation exacte, qui est loin de ce chiffre », rétorque Malak. Il pense que la récolte ne serait que de 6 millions de tonnes, dont 2 seulement sont achetées par le gouvernement. Personne ne semble savoir sur quel chiffre se fonder.

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