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Quand le sort de la Syrie se joue à Alep

Samar Al-Gamal, Mardi, 16 août 2016

Les affrontements entre les rebelles et les forces du régime de Bachar Al-Assad, épaulées par la Russie, se poursuivent à Alep. Chaque partie cherche à marquer un point avant le départ pour des négociations à Genève.

Quand le sort de la Syrie se joue à Alep
(Photo : Reuters)

C’est une bataille décisive, celle qui se déroule à Alep depuis le mois dernier. C’est, en effet, dans cette deuxième ville syrienne que se joue en grande partie le sort du régime, des rebelles, mais aussi de l’intervention russe en faveur de Bachar, même si elle n’aura pas le dernier mot dans le conflit qui fait rage en Syrie depuis 5 ans. Depuis toujours, il était presque évident que celui qui domine Alep domine la Syrie. C’est la capitale économique, et ce gouvernorat est de loin le plus peuplé avec ses plus de 4,5 millions d’habitants.

Depuis 2012, il est divisé en 4 parties dont 2 principales : les zones pro-régime à l’ouest et les zones rebelles à l’est, faisant une sorte d’équilibre entre les protagonistes. Les deux autres petites parties sont respectivement occupées par Daech et par les Kurdes. « Ainsi, Alep résume l’ensemble du conflit en Syrie et des belligérants qui y sont impliqués. Pendant longtemps, l’équilibre militaire était plus ou moins stable dans ce sens », explique Rabha Allam, spécialiste du dossier syrien au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram.

Mais cette situation a été renversée le 7 juillet quand les forces de Bachar ont pris le contrôle de la route du Castello, dans le nord-ouest d’Alep, le corridor qui achemine l’approvisionnement pour les rebelles. Un siège a ainsi été imposé par le pouvoir aux secteurs rebelles. En effet, depuis la « libération » de certaines zones de l’emprise d’Assad, celles-ci ont tenté d’assurer une sorte d’autosuffisance à travers la route commerciale avec la Turquie pour empêcher Assad d’imposer un blocus et de s’emparer d’elles de nouveau. Un mois plus tard, le 6 août, les rebelles ont réussi à briser le blocus et se sont emparés du quartier de Ramoussa, qui est à son tour la principale voie d’approvisionnement des quartiers gouvernementaux. Des affrontements meurtriers ont eu lieu pour parvenir à cette situation alors que chaque partie tente de s’emparer de la totalité de la ville et reprendre à tout prix l’avantage avant de partir aux négociations à Genève prévues à la fin du mois.

Qui fait quoi ?

D’un côté se trouve l’armée syrienne appuyée par des combattants étrangers, notamment iraqiens, iraniens et du Hezbollah libanais, et de l’autre se trouvent surtout les rebelles. Or, l’appellation est vague. « Par rebelles on veut dire des militaires qui ont fait défection en formant l’armée libre, mais celle-ci est la plus faible et ne dispose pas de suffisamment d’armements ou de sponsoring. Il y a aussi les brigades islamiques, une sorte de conseil militaire local qui était formé dans chaque zone pour s’auto-protéger, et qui se sont développées plus tard avec une teinte islamique modérée. Certains croient que leurs membres sont des Frères musulmans, mais elles réfutent cette accusation et sont probablement soutenues par la Turquie, le Qatar et l’Arabie saoudite, et ont pris des appellations différentes : Lewaa Al- Tawhid, le Front d’Al-Cham ou le Front islamique, et ont pris leurs distances vis-à-vis de l’armée libre et d’Al-Qaëda du Front Al-Nosra. Cette dernière est la plus organisée et la plus forte militairement et la plus présente sur le terrain », précise Allam.

Mais récemment, une alliance a été conclue sous le nom de l’Armée de la conquête, entre les rebelles et les djihadistes du Front Fateh Al- Cham (ex-Front Al-Nosra, qui a récemment annoncé sa séparation de l’organisation internationale d’Al-Qaëda). Et c’est cette armée qui affronte aujourd’hui le régime. Initialement, leur union avait pour objectif d’empêcher le blocus et d’assurer leur survie. Elle a par la suite dépassé ce stade dans l’espoir de contrôler la plus grande partie et isoler la zone du régime complémentaire de son prolongement vers l’ouest.

Ainsi, Alep est entrée de nouveau dans la ligne du conflit quand les Russes ont commencé à appuyer les forces d’Assad et encerclé les zones contrôlées par les rebelles pour les séparer d’Edleb et de la Turquie. « La Russie, outre sa volonté de protéger le régime de Bachar, dispose de bases militaires à l’ouest vers la Méditerranée à Tartous, Lattaquié et Ehmim. Elle a intérêt à protéger ses forces », estime Rabha Allam. « L’appui russe a permis de changer les règles du jeu plus ou moins stables depuis plus de deux ans en renouvelant l’espoir pour Bachar de reconquérir les zones qu’il avait perdues », explique de son côté un haut diplomate égyptien spécialiste du dossier syrien. Effectivement, la Russie avançait dans ses opérations sans grande perte, et les forces d’Assad avaient la haute main grâce à l’aviation face à une opposition qui n’a ni avions ni armes de défense aériennes. « Mais les résidents d’Alep ont inventé une technique qui consiste à brûler des pneus autour de la ville qui, du coup, a été couverte d’une fumée noire. Ce qui a fait que l’aviation a été incapable de viser les cibles. Ils ont réussi à les neutraliser poussant la Russie à s’arrêter quelques jours pour un recalcul, et du coup, l’opposition a pu avancer, car c’étaient deux troupes terrestres l’une face à l’autre », détaille la chercheuse.

Les calculs des uns et des autres

Or, concrètement, l’opposition ne peut pas maintenir longtemps les territoires qu’elle conquiert faute de moyens. « C’est juste un moyen de prouver sa force », dit le diplomate. Une intense reprise de combats a été pourtant enregistrée ces derniers jours avec des combats pour le moment au sud et au sud-est d’Alep, la véritable bataille pour la prise de la ville n’ayant pas encore été lancée. Et les affrontements risquent de prendre de l’ampleur. Est-ce que la Russie et les forces d’Al-Assad mènent une manoeuvre militaire et attendent la veille des négociations de Genève pour marquer une victoire militaire et changer la donne autour de la table ? « L’opposition était partie au dernier tour des négociations presque écrasée par les Russes. Cette fois-ci, Moscou refait son calcul après ses pertes enregistrées à Alep. Aujourd’hui, il y aura plus d’équilibre autour de la table. Mais tout reste tributaire de la Russie », pense le diplomate égyptien. Selon lui, les autres forces adoptent des positions fort distantes. « Les Américains veulent marquer une quelconque percée avant la fin du mandat du président Barack Obama et les Saoudiens préfèrent avancer au ralenti dans l’attente de l’arrivée probable d’Hillary Clinton à la tête de la Maison Blanche. Même l’envoyé spécial de l’Onu cherche à gagner du temps, car cela voudrait dire qu’il y a un processus en marche et qu’il n’a pas échoué dans sa mission », dit-il.

Un rapprochement russo-américain serait du coup à l’horizon. Il s’agit d’un accord concernant des opérations militaires conjointes contre les terroristes de l’Etat islamique à Alep, a apporté lundi l’agence russe RIA, citant le ministre russe de la Défense, Sergueï Choïgou. « Nous sommes dans une phase très active des négociations avec nos collègues américains », aurait déclaré Choïgou. « Nous avançons pas à pas vers un projet — et je parle seulement d’Alep — qui nous permettra de commencer à nous battre ensemble pour ramener la paix, afin que les gens puissent retourner dans leurs foyers ». Mais à Washington, le Département d’Etat s’est refusé à confirmer une telle collaboration. « Nous n’avons rien à annoncer à l’heure actuelle », s’est contentée de déclarer la porte-parole Elizabeth Trudeau.

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