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L'arme de l'économie

Aliaa Al-Korachi, Mardi, 26 avril 2016

Puissance financière de premier plan, l’Arabie saoudite menace les Etats-Unis de représailles économiques si une loi permettant d'inculper des dirigeants saoudiens, dans le cadre des attentats du 11 septembre, passe au Congrès.

L
Réunion du Conseil des travaux saoudo-américain : Washington est le deuxième partenaire commercial de Riyad.

De possibles conséquences coûteuses », a averti Adel Al-Jubeir, lors d’une visite à Washington le mois dernier, si un projet de loi qui permettrait de mener les dirigeants saoudiens devant des tribunaux américains pour les attentats du 11 septembre 2001 est adopté. Le chef de la Diplomatie saoudienne a menacé également de vendre massivement des actifs de quelque 750 milliards de dollars en bons du Trésor américain et autres biens détenus aux Etats-Unis. Une réaction choquante et inattendue pour Washington. C’est la Chine, premier détenteur des titres du Trésor américain, qui, jusqu’à présent, lançait ce genre de menace. La réponse de la Maison Blanche aux avertissements saoudiens n’a pas tardé : « Un marché financier mondial déstabilisé ne profiterait ni à un pays doté d’une économie vaste et moderne comme l’Arabie saoudite, ni aux Etats-Unis … Il est dans l’intérêt commun de l’Arabie saoudite et des Etats-Unis de protéger la stabilité du système financier international », a déclaré le porte-parole de la Maison Blanche, Josh Earnest.

Cette menace saoudienne pose plusieurs interrogations autour du montant des obligations saoudiennes aux Etats-Unis, mais aussi sur le gagnant et le perdant d’une telle démarche. Pour Ibrahim Al-Ghitani, expert en économie, cette menace représente une nouvelle tournure dans les relations entre les deux pays puisque c’est la première fois que le ton saoudien monte en intimidant le côté américain, avec le recours à la puissance économique que Riyad possède aux Etats-Unis et qui est sans doute « énorme et influente », dit Al-Ghitani, avant d’ajouter : « Toutefois, le volume des investissements saoudiens ou des autres pays du Golfe aux Etats-Unis est tenu top secret. Les chiffres officiels font toujours défaut sur leur part dans l’économie américaine. Je pense que les 750 milliards de dollars cités par les dirigeants saoudiens pourraient être bien supérieurs ».

Une puissance financière

Comme l'explique Al-Ghitani, le Royaume investit dans des domaines variés : l’énergie, l’immobilier, la technologie ... et les titres du Trésor américain restent un champ de prédilection. Selon Amr Abdel-Moati, spécialiste des affaires américaines au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, l’Arabie saoudite, dont l’économie est basée principalement sur les dépôts, est l’un des plus importants détenteurs des actifs américains. La Chine, le Japon et l’Inde se classent aussi au début de cette liste. Toutefois, selon l’agence Bloomberg, la part des titres du Trésor américain dont Riyad est le propriétaire n’est pas rendue publique, mais elle pourrait être l’une des plus grandes au monde. En novembre dernier, comme le rapporte l’agence, la part globale du groupe des 11 pays exportateurs de pétrole représentait 289 milliards de dollars, et la part saoudienne y est considérée comme la plus importante.

Déjà, l’année dernière, l’Arabie saoudite s’était débarrassée de réserves à hauteur de 100 milliards de dollars, afin de couvrir son énorme déficit budgétaire, le plus important depuis 25 ans, et soutenir la devise nationale. Géant pétrolier qui se conforme toujours aux besoins américains, en vertu de l’équation « sécurité en contrepartie du pétrole » (lire page 5), le Royaume saoudien possède ainsi la plus grande raffinerie aux Etats-Unis, Port Arthur, ainsi que 26 terminaux de distribution.

Sur le marché de la technologie, Riyad a également une forte présence. Le richissime prince Al-Walid Bin Talal est le deuxième actionnaire de Twitter avec 34 948 975 actions. Principal client de l’arme américaine au Moyen-Orient, Riyad participe largement à l’industrie militaire américaine. Le Conseil des travaux saoudo-américain , qui regroupe 1 100 hommes et femmes d’affaires, le plus grand rassemblement commercial dans l’histoire des deux pays, vient de dévoiler, à l’occasion du dernier sommet Salman-Obama, le taux des échanges commerciaux qui a grimpé de 26 milliards de dollars à plus de 74 milliards de dollars en 10 ans. Washington est le deuxième partenaire commercial pour Riyad, tandis que ce dernier occupe la 12e place sur sa liste.

Conséquence économique

Pour Abdel-Moati, il n’y a ni perdant ni gagnant dans cette affaire. « Des conséquences économiques graves pourraient frapper l’économie des deux pays », dit le politologue. Même avis pour Al-Ghitani, qui explique que du côté américain, le retrait massif des actifs saoudiens va donner un coup de fouet aux marchés financiers américains et déstabiliser le dollar, provoquant ainsi un manque de confiance dans l’économie américaine. Il va nuire considérablement aux réserves fédérales américaines et au marché de la dette américaine. Du côté saoudien, les répercussions d’une telle loi au Congrès pourraient être néfastes pour le Royaume puisqu’elles risquent de la classifier un « pays terroriste », et la placer sur la liste noire comme la Corée du Nord, ce qui nuira certainement à sa note de crédit et autorisera Washington à geler les actifs saoudiens. Il serait difficile pour Riyad de retirer massivement ses actifs en raison de plusieurs facteurs techniques. Premièrement, comme l’indique l’économiste, il s’agit de la date d’échéance de ces obligations qui pourrait se dresser comme un obstacle face à la liquidation des actifs qui risquent de perdre énormément de leur valeur. « Washington pourrait également promulguer une loi contre la sortie massive des actifs saoudiens », ajoute Al-Ghitani. Du point de vue économique, Riyad est étroitement lié au dollar. Une fois les actifs retirés, où le Royaume les placera-t-il ? C’est une autre problématique pour Riyad vu l’instabilité dont souffrent ces jours-ci plusieurs marchés européens, et même saoudien, récemment ébranlés par la chute du baril.

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